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Pour établir cette exactitude de la justice chrétienne, Jésus-Christ pose un beau principe: que la parole de Dieu est inviolable, et s'ac complira jusqu'au moindre trait.

Il regarde ici en particulier ce qui avoit été prédit de lui dans la loi et dans les prophètes; et c'est pourquoi il dit: Je viens tout accomplir. Dans ce qui a été prédit dans la loi, il y a les grands traits : la naissance de Jésus-Christ, sorti d'une vierge, ses souffrances, sa croix, sa résurrection, la conversion du monde et des gentils, avec la réprobation et le juste châtiment des Juifs. Voilà les grands traits; mais ce n'est pas tout. Il y a l'iota, et les moindres traits, qui doivent aussi s'accomplir. Il faut qu'on divise ses vêtements: il faut qu'on joue sa tunique sans couture. Voyez quelle précision dans une distinction si subtile et si exacte : c'est l'iota, c'est le petit trait. Il sera vendu; ce peut être un grand trait: mais ce sera trente deniers; mais on achètera le champ d'un potier : c'est l'iota, c'est le petit trait, qui ne doit point échapper non plus que les autres. C'est ainsi qu'il faut qu'il ait soif, et qu'il soit abreuvé de vinaigre. I souffrira: voilà le grand trait; mais ce sera hors la porte de la ville: voilà l'iota. Il sera immolé comme l'agneau pascal; mais ses os ne seront pas brisés sur la croix, non plus que ceux de cet agneau : voilà l'iota, et ainsi du reste. Jésus-Christ veut dire encore plus généralement, que tout ce qui est dit en figure et en ombre dans la loi, sera accompli en vérité dans l'Evangile, jusqu'aux moindres circonstances. Tout, jusqu'aux moindres choses, est significatif dans la loi tout, jusqu'aux moindres choses, sera accompli dans l'Evangile. Vous ne lierez pas la bouche du bœuf qui foule le grain 1. Saint Paul l'applique aux prédicateurs. Il en est ainsi de ces autres traits : Vous ne ferez point euire l'agneau dans le lait de sa mère. Quand vous prendrez la mère dans le nid, vous la laisserez aller en gardant ses petits3. Que vos habits ne soient point tissus de laine et de lin. Ayez des bordures et des franges dans vos habits. Tous ces petits traits ont de grandes significations, pour inspirer aux chrétiens la douceur, la modération, la simplicité, la droiture, et toutes les autres vertus.

Et ce que Jésus-Christ conclut de là, c'est qu'il ne faut pas oublier les moindres préceptes : car si tout ce que Dieu dit pour son Fils doit être accompli jusqu'au moindre trait, et qu'il n'en doive échapper aucun; il faut aussi accomplir tout ce qu'il a dit pour nous.

Et voyez jusques à quel point. Le ciel et la terre passeront; mais mes paroles ne passeront pas . Si le soleil tout d'un coup alloit disparoître; et que ce flambeau du monde s'éteignît au milieu du jour :

1 Deut., xxv. 4.-21 Tim., v. 18.— 3 Deut., XIV. 21.- - 4 lb., xx11. 6, 7, 11, 12. — 5 Matth.,

XXIV. 25.

si le ciel se mettoit en pièces, ou se retiroit comme un rouleau qui se renveloppe en lui-même : si la terre manquoit sous nos pieds, et qu'un fondement si solide fût tout d'un coup réduit en poudre : quel malheur ! tout seroit perdu pour nous. Le malheur est bien plus grand, et tout est perdu bien davantage, si le moindre des commandements de Jésus-Christ n'est pas observé.

Que si on ne les observe pas, Jésus-Christ, qui a dit qu'ils seroient inviolablement observés, sera-t-il menteur? A Dieu ne plaise! car il y a une condition, que si on manque à les observer, on sera puni. Donc si vous faites la faute, et que vous évitiez le châtiment, JésusChrist se sera trompé : mais si vous ne faites pas la moindre faute, dont il ne soit parlé au jugement, et qu'il y faille rendre raison non-seulement des paroles d'injustice et de médisance, mais encore des inutiles; la vérité de Jésus-Christ demeure ferme.

La peine rectifie le désordre : qu'on pèche, c'est un désordre; mais qu'on soit puni quand on pèche, c'est la règle. Vous revenez donc par la peine dans l'ordre, que vous éloigniez par la faute. Mais que l'on pèche impunément, c'est le comble du désordre ce seroit le désordre, non de l'homme qui pèche, mais de Dieu qui ne punit pas. Ce désordre ne sera jamais, parce que Dieu ne peut être déréglé en rien, lui qui est la règle.

Comme cette règle est parfaite, droite parfaitement, sans la moindre courbure: tout ce qui n'y convient pas y est brisé, et sentira l'effort de l'invincible et immuable rectitude de la règle.

Mais si les menaces sont accomplies, les promesses le seront aussi. Viens, chrétien, à ton crucifix: regardes-y toutes les prédictions accomplies, jusqu'aux plus petites. Dis donc en toi-même : Tout s'accomplira et le bonheur qui m'est promis ne me manquera pas. Je verrai Dieu, je l'aimerai, et je le louerai durant les siècles des siècles: et tous mes désirs seront rassasiés, toutes mes espérances accomplies: Amen, amen.

XII JOUR.

Excellence de la justice chrétienne au-dessus de celle des païens et des Juifs. Matth., v. 20, 47.

Jésus-Christ, qui jusqu'ici a donné plus en général la forme et les caractères de la vie chrétienne, commence ici les préceptes particuliers et il donne pour fondement cette belle règle ', que la justice chrétienne doit surpasser celle des plus parfaits d'entre les Juifs, et les docteurs de la loi. Prenons donc garde ici à bien entendre la perfection de la loi évangélique, dont nous avons juré l'observation dans notre baptême.

Matth., v. 20.

Pour nous y obliger, Jésus-Christ a pris soin de nous élever à la perfection de la justice chrétienne par trois degrés.

Premièrement, il faut s'élever au-dessus des plus sages des païens. C'est pour cela qu'il a dit: Les païens ne le font-ils pas1? Voulant dire, Vous devez donc faire davantage. On vous parle de mépriser les richesses les sages païens ne l'ont-ils pas fait? D'être fidèle à vos amis les païens ne l'ont-ils pas été ? D'éviter les fraudes et les tromperies les païens ne les ont-ils pas détestées? De fuir l'adultère : les païens les plus licencieux n'en ont-ils pas eu de l'horreur?

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Le second degré est de s'élever au-dessus de la justice de la loi, et de ceux qui connoissent Dieu. Et cela encore par trois degrés, en évitant trois défauts de la justice judaïque. Le premier, c'est qu'elle n'étoit qu'extérieure: Vous autres pharisiens, vous êtes soigneux de laver l'extérieur du vaisseau et c'est pourquoi il les appeloit des sépulcres blanchis 2. Voyez la justice de ce pharisien dans saint Luc: Je ne suis pas, disoit-il 3, comme le reste des hommes. Et en quoi excellez-vous donc? Je jeûne deux fois la semaine : je paie la dîme de tout ce que j'ai de bien. Il ne vante que l'extérieur et ceux-là lui ressemblent, qui ne s'attachent qu'aux observances extérieures. Dire son bréviaire, aller à l'église, assister au sacrifice, à matines, à l'oraison, prendre de l'eau bénite, se mettre à genoux, sans prendre l'esprit de tout cela; c'est une justice pharisaïque qui semble avoir quelque exactitude, mais qui s'attire de Jésus-Christ ce juste reproche Ce peuple m'honore des lèvres; mais son cœur est loin de moi. C'est une fausse justice. Mais que dirons-nous de ceux qui n'ont pas même cette justice et cette exactitude extérieure, si ce n'est qu'ils sont pires que les pharisiens et que les Juifs?

Le second défaut de la justice judaïque, c'est, comme dit saint ,qu'en ignorant la justice par laquelle Dieu nous fait justes, et cherchant à établir leur propre justice, se croyant justes par euxmêmes, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu parce qu'ils ont cru faire le bien par eux-mêmes; au lieu de reconnoître que c'est Dieu qui l'opère en eux.

Saint Paul avoit eu cette justice: mais voyez comment il en parle ® : Ma conduite étoit sans reproche selon la justice de la loi. Remarquez ces paroles, sans reproche: on ne pouvoit, ce semble, porter la perfection plus loin; et cependant il ajoute aussitôt après: Mais ce qui m'étoit un gain selon la loi, je l'ai estimé une perte à cause de la connoissance éminente que j'avois de Jésus-Christ, pour qui tout m'a été une perte, et comme du fumier et de l'ordure; afin de gagner Jésus-Christ, et avoir

1 Matth., v. 47.—2 Ib., xxIII. 25, 27. — 3 Luc., XVIII. 11, 12. — 4 Matth., xv. 8. — 5 Rom., X. 3.-6 Philip., 111. 6, 7, 8, 9.

en lui, non pas ma propre justice qui vient de la loi, mais la justice qui vient de la foi en Jésus-Christ; justice qui vient de Dieu par la foi.

Voilà donc le second défaut de la justice judaïque : c'est qu'on se croyoit juste par soi-même : ce qui fait que cette justice est impure, et n'est qu'ordure, selon saint Paul, parce qu'elle n'est qu'orgueil. Etudions-nous donc à l'éviter, en rapportant humblement à Dieu le peu de bien que nous faisons.

Mais le troisième défaut de la justice des Juifs, c'est que les œuvres en étoient fort imparfaites, en comparaison de la perfection où l'homme est élevé par l'Evangile. On y est obligé à une plus grande perfection que ceux qui faisoient bien. Et pourquoi? A cause de la connoissance éminente qu'on a de Jésus-Christ, disoit saint Paul; et c'est une des vérités que Jésus-Christ renferme dans cette parole : Si votre justice n'est plus abondante que celle des docteurs de la loi et des pharisiens, etc. '.

Voilà donc la justice chrétienne élevée de deux degrés au-dessus de la justice des sages païens, au-dessus de la justice des Juifs. C'est pourquoi et les païens et les Juifs s'élèveront contre nous, les Ninivites, la reine de Saba, Sodome et Gomorrhe, dont nous aurons surpassé les iniquités; nous qui devions surpasser la justice des plus sages. C'est ainsi qu'il se faut former une grande idée de la justice chrétienne.

Mais voici encore quelque chose de plus excellent et c'est le troisième degré et la perfection. C'est que la justice chrétienne se doit élever au-dessus d'elle-même. Non, mes frères, disoit saint Paul, je ne crois pas encore avoir atteint la justice où je tends; ni que je sois parfait je poursuis ma course, comme un homme qui ne croit pas avoir obtenu ce qu'il souhaite. Unum autem; mais tout ce que je fais, tout mon but, toute ma pensée ; c'est qu'oubliant ce qui est derrière moi : voyez tout le progrès qu'il a fait ne lui est rien, il ne s'y arrête pas, il ne s'y repose pas, je m'étends à ce qui est devant. Entendez ce mot, il s'étend: il fait effort: il sort en quelque manière de luimême il se disloque lui-même, en quelque sorte, par l'effort qu'il fait pour s'avancer.

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Voilà donc le vrai chrétien, le vrai juste. Il croit n'avoir rien fait : car s'il croit être suffisamment juste, il ne l'est point du tout. Il faut done toujours avancer, et sortir continuellement de son état. Soyez parfaits comme votre Père céleste. Ayez-en du moins la volonté : car c'est renoncer à la justice que de se reposer dans celle qu'on a ; comme si on étoit assuré qu'elle fût suffisante; d'autant plus que si vous n'avancez, vous reculez. Vous regardez en arrière, contre le ▲ Matth., v. 20.-2 Philip., 11. 12. 13.3 Matth., v. 48.

précepte de l'Evangile. Et que décide le Sauveur? que vous n'êtes pas propre au royaume de Dieu 1.

Voilà pourquoi il disoit, qu'il falloit avoir faim et soif de la justice. Ce n'est pas un désir ordinaire; c'est un désir comme celui qui nous porte à nous nourrir, et à vivre : désir ardent et invincible, que vous devez sans cesse exciter. En quelque état que vous soyez, vous devez toujours avoir cette faim et cette soif: parce que la capacité de votre intérieur est infinie, comme l'est aussi la justice que vous cherchez. Sur ce fondement de la perfection de la justice chrétienne, JésusChrist bâtit tout l'édifice, c'est-à-dire tous les préceptes de son Evangile, pour nous élever au-dessus des païens, des Juifs, et de nousmêmes. Ce qu'il a compris dans cette parole: Soyez parfaits comme votre Père céleste; et ce que son apôtre a exprimé de la manière que

nous avons vue.

XIII JOUR.

Haine, colère, parole injurieuse : quelle en est la punition. Matth., v. 21, 22. Après cette belle préparation, après cette belle idée de la justice chrétienne, Jésus-Christ commence à régler ce qu'on doit au prochain, et il nous apprend jusqu'où l'on doit éviter de lui nuire. Saint Jean dit que celui qui hait son frère est un meurtrier 2. Jésus-Christ le répute tel. C'est pourquoi il dit que ce n'est pas seulement en le tuant qu'on se rend digne d'être puni par le jugement; mais encore si on se fâche contre lui ; et que si on témoigne son indignation par quelque parole de colère ou de mépris, on merite d'étre condamné par le conseil, on est digne d'une plus grande peine; mais que si on s'emporte jusqu'à l'appeler insensé, on n'évitera pas le feu éternel 3.

Il faut ici peser ces trois degrés : se mettre en colère; témoigner sa colère par quelque parole d'emportement; dire des injures atroces, et traiter son frère de fou; et les comparer avec les trois peines : le jugement, le conseil, le feu.

Le jugement emportoit la peine capitale, puisqu'il est attribué, selon les anciens, au meurtre, que la loi punissoit de mort irrémissiblement. Mais Jésus-Christ, pour faire voir combien la justice humaine étoit foible en comparaison de la divine qu'il venoit déclarer aux hommes, met le jugement, c'est-à-dire la peine capitale des jugements humains, pour le plus foible degré, qui est la colère. Il veut donc dire, que la colère contre un frère est par elle-même un péché digne de mort devant Dieu. Et ainsi il ne faut pas douter qu'on ne commette un péché mortel, lorsqu'on demeure volontairement aliéné de son frère : ce qui arrive lorsqu'on demeure fàché contre

1 Luc., IX. 62. — 2 1 Joan., III. 15. — 3 Matth., v. 21. 22.

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