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SUR L'ÉVANGILE.

LETTRE

Ecrite aux religieuses de la Visitation de sainte Marie de Meaux, en leur adressant les Méditations sur l'Evangile 1.

Je vous adresse, mes filles, ces méditations sur l'Evangile, comme à celles en qui j'espère qu'elles porteront les fruits les plus abondants. C'est pour quelques-unes de vous qu'elles ont été commencées; et vous les avez reçues avec tant de joie, que ce m'a été une marque qu'elles étoient pour vous toutes. Recevez-les donc, comme un témoignage de la sainte affection qui m'unit à vous, comme étant d'humbles et véritables filles de saint François de Sales, qui est l'honneur de l'épiscopat et la lumière de notre siècle. Je suis, dans le saint amour de Notre-Seigneur,

Mes filles,

A Meaux, ce 6 juillet 1695.

Votre très-affectionné serviteur,

J. BENIGNE, évèque de Meaux.

AVERTISSEMENT.

De tous les sermons de Jésus-Christ, les plus remarquables par la circonstance du temps, sont :

Premièrement, celui qu'il a fait sur la montagne au commencement de sa prédication, où sont compris les principaux préceptes de la loi nouvelle, et où l'on voit quel en est l'esprit ;

Secondement, ceux qu'il a faits sur la fin de sa vie, depuis son entrée triomphante en Jérusalem, jusqu'à sa mort: dont le plus remarquable est encore celui qu'il fit au temps de la cène; et depuis, jusqu'à la nuit de son agonie dans le jardin des Oliviers.

Nous allons distribuer par journées la lecture du sermon de Notre-Seigneur sur la montagne, et de ceux dont nous venons de parler en sorte qu'à chaque journée on puisse employer à de pieuses méditations un quart d'heure le matin, et autant le soir.

A chaque vérité qui sera proposée, il faut s'arrêter un peu, en faisant un acte de foi: Je crois ; cela est vrai: celui qui le dit est la vérité même. Ainsi il faut regarder cette vérité particulière qu'il a révélée, comme une parcelle de la verité qui est Jésus-Christ même : c'est-à-dire, qui est Dieu

4 L'original de cette lettre est conservé par ces saintes filles, avec l'ouvrage même, comme un dépôt précieux, et comme une preuve honorable de l'affection singulière qu'avoit pour elles leur saint évêque, qu'elles regardoient comme leur vrai père, et qu'elles pleurent encore tous les jours. (Note de l'édition originale.)

IV.

1

même; mais Dieu s'approchant de nous, se communiquant et s'unissant à nous. Car voilà ce que c'est que Jésus-Christ.

Il faut donc considérer cette vérité particulière qu'il a révélée de sa propre bouche; s'y attacher par le cœur; l'aimer : parce qu'elle nous unit à Dieu par Jésus-Christ, qui nous l'a enseignée, et qui nous a dit qu'il étoit la voie, la vérité, et la vie1.

SERMON

DE NOTRE-SEIGNEUR SUR LA MONTAGNE.

Matth., chap. v, vi, vi.

PREMIER JOUR.

Abrégé du sermon. La félicité éternelle proposée sous divers noms dans les huit béatitudes. Matth., v. 1, 12.

Tout le but de l'homme est d'être heureux. Jésus-Christ n'est venu que pour nous en donner le moyen. Mettre le bonheur où il faut, c'est la source de tout le bien; et la source de tout mal est de le mettre où il ne faut pas. Disons donc : Je veux être heureux. Voyons comment: voyons la fin où consiste le bonheur voyons les moyens d'y parvenir.

:

La fin est à chacune des huit béatitudes : car c'est partout la félicité éternelle sous divers noms. A la première béatitude, comme royaume. A la seconde, comme la terre promise. A la troisième, comme la véritable et parfaite consolation. A la quatrième, comme le rassasiement de tous nos désirs. A la cinquième, comme la dernière miséricorde qui ôtera tous les maux, et donnera tous les biens. A la sixième, sous son propre nom, qui est la vue de Dieu. A la septième, comme la perfection de notre adoption. A la huitième, encore une fois, comme le royaume des cieux. Voilà donc la fin partout; mais comme il y a plusieurs moyens, chaque béatitude en propose un; et tous ensemble rendent l'homme heureux.

Si le sermon sur la montagne est l'abrégé de toute la doctrine chrétienne, les huit béatitudes sont l'abrégé de tout le sermon sur la montagne.

Si Jésus-Christ nous apprend que notre justice doit surpasser celle des seribes et des pharisiens, cela est compris dans cette parole: Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. Car, s'ils la désirent comme leur véritable nourriture, s'ils en sont véritablement affamés; avec quelle abondance la recevront-ils, puisqu'elle se pré

1 Joan., XIV. 6.

sente de tous côtés pour nous remplir? Alors aussi nous garderons jusqu'aux moindres des préceptes, comme des hommes affamés qui ne laissent rien, et pas même, pour ainsi parler, une miette de leur pain.

Si l'on vous recommande de ne pas maltraiter votre prochain de parole, c'est un effet de la douceur, et de cet esprit pacifique à qui est promis le royaume et la qualité d'enfant de Dieu.

Vous ne regarderez pas une femme avec un mauvais désir : Bienheureux ceux qui ont le cœur pur et vous l'aurez parfaitement pur lorsque vous l'aurez purifié de tous les désirs sensuels.

Ceux-là sont heureux, qui passent leur vie plutôt dans le deuil et dans une tristesse salutaire, que dans les plaisirs qui les enivrent.

Ne jurez point: dites: Cela est, cela n'est pas. C'est encore un effet de la douceur : qui est doux, est humble: il n'est point trop attaché à son sens, ce qui rend l'homme trop affirmatif: il dit simplement ce qu'il pense, en esprit de sincérité et de douceur.

On pardonne aisément toutes les injures, si l'on est rempli de cet esprit de miséricorde, qui nous attire une miséricorde bien plus abondante.

On ne résiste pas à la violence, on se laisse même engager à plus qu'on n'a promis; parce qu'on est doux et pacifique.

On aime ses amis et ses ennemis, non- seulement à cause qu'on est doux, miséricordieux, pacifique; mais encore parce qu'on est affamé de la justice, et qu'on la veut faire abonder en soi-même, plus qu'elle n'est dans les pharisiens et dans les gentils.

Cette faim qu'on a pour la justice fait aussi qu'on la veut avoir pour le besoin, et non pour l'ostentation.

On aime le jeûne, quand on trouve sa principale nourriture dans la vérité et dans la justice.

Par le jeûne, on a le cœur pur, et on se purifie des désirs des

sens.

On a le cœur pur, quand on réserve aux yeux de Dieu ce qu'on fait de bien qu'on se contente d'être vu de lui; et qu'on ne fait pas servir la vertu comme d'un fard pour tromper le monde, et s'attirer les regards et l'amour de la créature.

Quand on a le cœur pur, on a l'œil lumineux, et l'intention droite. On évite l'avarice et la recherche des biens, quand on est vraiment pauvre d'esprit.

On ne juge pas, quand on est doux et pacifique; parce que cette douceur bannit l'orgueil.

La pureté de cœur fait qu'on se rend digne de l'Eucharistie, et qu'on ne prend pas comme un chien ce pain céleste.

On prie, on demande, on frappe, quand on a faim et soif de la

justice: on demande à Dieu les vrais biens, et on les attend de luí, quand on n'aspire qu'à son royaume et à la terre des vivants.

On entre volontiers par la porte étroite, quand on s'estime heureux dans la pauvreté, dans les pleurs, dans les afflictions qu'on souffre pour la justice.

:

Quand on a faim de la justice, on ne se contente pas de dire de bouche Seigneur, Seigneur; et on se nourrit au dedans de sa vérité. Alors on bâtit sur le roc, et on trouve le solide pour affermir dessus tout son édifice.

Les béatitudes sont donc l'abrégé de tout le sermon; mais un abrégé agréable: parce que la récompense est jointe au précepte; le royaume des cieux, sous plusieurs noms admirables, à la justice; la félicité, à la pratique.

II JOUR.

Première béatitude: Etre pauvre d'esprit. Matth., v. 3.

Pour venir au détail, Jésus-Christ commence en cette sorte: Bienheureux sont les pauvres d'esprit, c'est-à-dire, non-seulement ces pauvres volontaires qui ont tout quitté pour le suivre, et à qui il a promis le centuple dans cette vie, et dans la vie future, la vie éternelle; mais encore tous ceux qui ont l'esprit détaché des biens de la terre; ceux qui sont effectivement dans la pauvreté sans murmure et sans impatience; qui n'ont pas l'esprit des richesses, le faste, l'orgueil, l'injustice, l'avidité insatiable de tout tirer à soi. La félicité éternelle leur appartient sous le titre majestueux de royaume; parce que le mal de la pauvreté sur la terre, c'est de rendre méprisable, foible, impuissant; la félicité leur est donnée comme un remède à cette bassesse, sous le titre le plus auguste, qui est celui de royaume.

A ce mot: Bienheureux, le cœur se dilate, et se remplit de joie. Il se resserre à celui de la pauvreté; mais il se dilate de nouveau à celui de royaume, et de royaume des cieux. Car, que ne voudroit - on pas souffrir pour un royaume, et encore pour un royaume dans le ciel; un royaume avec Dieu, et inséparable du sien, éternel, spirituel, abondant en tout, d'où tout malheur est banni?

O Seigneur, je vous donne tout, j'abandonne tout pour avoir part à ce royaume; puis-je être assez dépouillé de tout pour une telle espérance! Je me dépouille de cœur et en esprit : et quand il vous plaira de me dépouiller en effet, je m'y soumets.

C'est à quoi sont obligés tous les chrétiens. Mais l'humble religieuse se réjouit d'être actuellement dessaisie, dépouillée, morte aux biens du monde, incapable de les posséder. Heureux dépouillement, qui donne Dieu !

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