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III JOUR.

Seconde béatitude: Etre doux. Matth., v. 4.

Bienheureux ceux qui sont doux. Apprenez de moi que je suis doux, sans aigreur, sans enflure, sans dédain, sans prendre avantage sur personne, sans insulter au malheureux, sans même choquer le superbe, mais tâchant de le gagner par douceur; doux même à ceux qui sont aigres n'opposant point l'humeur à l'humeur, la violence à la violence; mais corrigeant les excès d'autrui par des paroles vraiment douces.

Il y a de feintes douceurs, des douceurs dédaigneuses, pleines d'une fierté cachée : ostentation et affectation de douceur, plus désobligeante, plus insultante que l'aigreur déclarée.

Mais considérons la douceur de Jésus-Christ dont le Saint-Esprit parle ainsi dans Isaïe: Mon fils, mon serviteur que j'ai élu, mon bienaimé où j'ai mis ma complaisance: je mettrai en lui mon esprit, et il annoncera la justice aux nations. Il ne sera point contentieux: il ne criera point, et on n'entendra point sa voix dans les places publiques; il ne brisera pas le roseau cassé, et n'éteindra pas la mèche qui fume encore 2. C'est ce qu'Isaïe en a vu en esprit; c'est ce que saint Matthieu a trouvé si beau, si remarquable, si digne de Jésus-Christ, qu'il prend soin de le relever.

Il est doux envers les plus foibles : quoiqu'un roseau déjà foible soit rendu encore plus foible en le brisant; loin de prendre aucun avantage sur cette foiblesse, il se détournera pour ne pas appuyer le pied dessus. Faites-en autant à votre prochain infirme. Loin de chercher l'occasion de lui nuire, prenez garde que par mégarde, et comme en passant, vous ne marchiez sur lui, et n'acheviez de le rompre. Mais quel est ce prochain infirme, si ce n'est le prochain en colère, et le prochain qui s'emporte? Il est brisé par sa propre colère, et ce foible roseau s'est cassé en frappant; n'achevez pas de le rompre en le foulant encore aux pieds. C'est encore ce que veut dire la mèche fumante. Elle brûle; c'est la colère dans le cœur : elle fume; c'est quelque injure que le prochain irrité profère contre vous. Gardez-vous bien de l'éteindre avec violence; écoutez ce que dit saint Paul: Ne vous vengez point, ne vous défendez point, mes bien-aimés; mais donnez lieu à la colère. Laissez-la fumer un peu, et s'éteindre comme toute seule. Si elle fume, c'est qu'elle s'éteint : ne l'éteignez pas avec force; mais laissez cette fumée s'exhaler et se perdre inutilement au milieu de l'air, sans vous blesser ni vous atteindre.

C'est ce que fait le Sauveur, lorsqu'il souffre tant d'injures sans A Matth., XI. 29.—2 Is., XLII. 1, 2, 3. -3 Matth., XII. 18, 19, 20.-4 Rom,, XII. 19.

s'aigrir. Vous êtes possédé du malin esprit, lui dit-on. Qui est-ce qui songe à vous faire mourir 1? et il répond sans s'émouvoir : Je ne suis point possédé du malin esprit; mais je rends honneur à mon Père, et vous me déshonorez. Et encore en un autre endroit, lorsqu'on lui fait le même reproche: Vous vous fâchez contre moi, parce que j'ai fait un miracle le jour du sabbat, pour guérir un homme3. Vous le voyez; il n'éteint pas la mèche fumante; mais il la laisse s'évaporer, pour voir si ces malheureux, lassés d'accabler d'injures un homme si humble et si doux, ne reviendront point en leur bon sens.

Telle a été en général la conduite du Fils de Dieu; en particulier dans sa passion. Quand on le maudit, il ne maudit pas : quand on le frappe, il ne se plaint pas ".

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Si j'ai mal parlé, dit-il à celui qui lui donnoit un soufflet, faitesle-moi connoître si j'ai bien dit, pourquoi me frappez - vous ? Il lui appartient de dire: Apprenez de moi que je suis doux. Il est comparé à un agneau, le plus doux des animaux, qui se laisse non-seulement tondre, mais encore mener à la boucherie sans se plaindre".

On est bien heureux dans sa douceur, et on possède la terre. La terre sainte promise à Abraham est appelée une terre coulante de lait et de miel. Toute douceur y abonde; c'est la figure du ciel et de l'Eglise. Ce qui rend l'esprit aigre, c'est qu'on répand sur les autres le venin et l'amertume qu'on a en soi-même. Lorsqu'on a l'esprit tranquille par la jouissance du vrai bien, et par la joie d'une bonne conscience, comme on n'a rien d'amer en soi, on n'a que douceur pour les autres; la vraie marque de l'innocence, ou conservée, ou recouvrée, c'est la douceur.

L'homme est si porté à l'aigreur, qu'il s'aigrit très-souvent contre ceux qui lui font du bien. Un malade, combien s'aigrit-il contre ceux qui le soulagent? Presque tout le monde est malade de cette maladie-là c'est pourquoi on s'aigrit contre ceux qui nous conseillent pour notre bien, et encore plus contre ceux qui le font avec autorité, que contre les autres. Ce fond d'orgueil qu'on porte en soi en est la cause. Bienheureux donc ceux qui sont doux, ils posséderont la terre, où abonde toute douceur, parce que la joie y est parfaite.

IV JOUR.

Troisième béatitude: Etre dans les pleurs. Matth., v. 5.

Bienheureux ceux qui pleurent'; soit qu'ils pleurent leurs misères, soit qu'ils pleurent leurs péchés, ils sont heureux, et ils recevront

1 Joan., VII. 20. — 2 Ibid., VIII. 49. — 3 ĺbid., VII. 23. — 4 1 Petr., II. 23. — 5 Joan., XVIII. 23. — 6 Matth., XI. 29. —7 IS., LIII. 7. — 8 Exod., 111. 8, et alibi. —9 Matth., v. 5.

la consolation véritable, qui est celle de l'autre vie, où toute affliction cesse, où toutes les larmes sont essuyées 1.

Abraham disoit au mauvais riche: Tu as reçu tes biens en ce monde; et Lazare a reçu ses maux : c'est pourquoi il est consolé, et tu es dans les tourments. Il est heureux, car il a souffert avec patience: son état pénible le forçoit souvent à pleurer des maux extrêmes, et il n'avoit point de consolation du côté des hommes: le riche impitoyable ne daignoit pas le regarder. Mais parce qu'il a souffert avec patience, il est consolé: Dieu l'a reçu dans le lieu où il n'y a point de douleur et de peine.

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Le monde se réjouira, et vous serez affligés mais votre tristesse sera changée en joie 3. C'est la promesse du Sauveur à ses disciples. La tristesse et la joie viennent tour à tour: qui s'est réjoui sera afAligé; qui s'est affligé sera réjoui: Bienheureux donc ceux qui pleurent, car ils seront consolés.

Mais parmi tous ceux qui pleurent, il n'y en a point qui soient plus tôt consolés que ceux qui pleurent leurs péchés. Partout ailleurs la douleur, loin d'être un remède au mal, est un autre mal qui F'augmente; le péché est le seul mal qu'on guérit en le pleurant. Pleurons sans fin, pécheurs, tous tant que nous sommes : que nos yeux soient changés en sources intarissables, dont le cours perpétuel creuse nos joues, comme parle le Psalmiste. La rémission des péchés est le fruit de ces pieuses larmes. Ah! mille et mille fois heureux ceux qui pleurent leurs péchés car ils seront consolés.

Mais ceux qui pleurent d'amour et de tendresse, qu'en dironsnous? Heureux, mille fois heureux! Leur cœur se fond en euxmêmes, comme parle l'Ecriture, et semble vouloir s'écouler par leurs yeux. Qui me dira la cause de ces larmes? qui me la dira? Ceux qui les ont expérimentées souvent ne la peuvent dire, ni expliquer ce qui les touche. C'est tantôt la bonté d'un père : c'est tantôt la condescendance d'un roi : c'est tantôt l'absence d'un époux: tantôt l'obscurité qu'il laisse dans l'âme lorsqu'il s'éloigne, et tantôt sa tendre voix lorsqu'il se rapproche, et qu'il appelle sa fidèle épouse: mais le plus souvent c'est je ne sais quoi qu'on ne peut dire.

V JOUR.

Quatrième béatitude: Avoir faim et soif de la justice. Matth., N. 6. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront Tassasiés. Faim et soif, c'est une ardeur vive, un désir avide et pressant, qui vient d'un besoin extrême.

Cherchez le royaume de Dieu et sa justice. La justice règne dans 1 Apoc., XXI. 4. — 2 Luc., XVI. 25. — 3 Joan. XVI. 20. — 4 Matth., VI. 33.

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les cieux elle doit aussi régner dans l'Eglise, qui est souvent appelée le royaume des cieux. Elle règne lorsqu'on rend à Dieu ce qu'on lui doit : car alors on rend aussi pour l'amour de Dieu tout ce qu'on doit à la créature qu'on regarde en lui. On se rend ce qu'on se doit à soi-même : car on s'est donné tout le bien dont on est capable, quand on s'est rempli de Dieu. Alors on a accompli toute justice, comme Jésus-Christ disoit à saint Jean. L'àme alors n'a plus de faim, n'a plus de soif: elle a sa véritable nourriture: Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père, disoit le Sauveur1, et d'accomplir son œuvre. C'est aussi là ce que le Sauveur appelle toute justice, d'accomplir en tout la volonté toute juste du Père céleste, et d'en faire la règle de la nôtre. Mais, quand nous faisons la volonté de Dieu, il fait la nôtre. Le Psalmiste a chanté : Il fera la volonté de ceux qui le craignent, et ainsi il rassasiera tous leurs désirs. Bienheureux ceux qui désirent la justice avec le même empressement qu'on désire manger et boire, lorsqu'on est travaillé de la faim et de la soif; car alors on sera rassasié. De quoi sera-t-on rassasié, si ce n'est de la justice? On le sera dès cette vie : car le juste se rendra plus juste, et le saint se rendra plus saint pour contenter son avidité. Mais le parfait rassasiement sera dans le ciel, où la justice éternelle nous sera donnée avec la plénitude de l'amour de Dieu. Je serai rassasié, disoit le Psalmiste, lorsque votre gloire m'apparoitra.

Doit-on toujours avoir soif de la justice? Puisque le Sauveur a dit à la Samaritaine*: Celui qui boit de cette eau, c'est-à-dire des plaisirs du monde, a encore soif: mais celui qui boira de l'eau dont je lui donnerai, n'aura jamais soif; mais l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine jaillissante pour la vie éternelle : il n'aura donc point de soif? Il n'en aura point en effet; parce qu'il ne désirera plus d'autre plaisir, d'autre joie, d'autre bien, que celui qu'il goûte en Jésus-Christ. Il aura pourtant toujours soif; car il ne cessera point de désirer ce bien suprême, et voudra le posséder de plus en plus. Le voilà donc qui a toujours soif: mais toujours aussi il se désaltère, parce qu'il a en lui la fontaine éternellement jaillissante. Il n'aura point cette soif fatigante et insatiable de ceux qui cherchent les plaisirs des sens. Il aura toujours soif de la justice; mais la bouche toujours attachée à la source qu'il a en lui-même, sa soif ne le fatiguera, ni ne l'affoiblira jamais: Celui qui croit en moi, dit le Fils de Dieu ", des fleuves d'eau vive couleront éternellement de ses entrailles : qu'il vienne donc, et qu'il boive. Venez, âmes

1 Joan., Iv. 34. — 2 Psalm. CXLIV. 19. — 3 Psalm, XVI. 15. —4 Joan., Iv. 13, 14. — 5 Ibid., VII. 37, 38.

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saintes, venez à Jésus désirez, buvez, engloutissez ne craignez point que cette eau céleste vous manque : la fontaine est au-dessus de votre soif son abondance est plus grande que votre besoin Fons vincit sitientem, disoit saint Augustin.

VIC JOUR.

Cinquième béatitude: Etre miséricordieux. Matth., v. 7.

Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde1. Le plus bel effet de la charité, c'est d'être touché des maux d'autrui. Il est plus heureux de donner que de recevoir, disoit JésusChrist. Cette parole n'avoit pas été rapportée par les évangélistes; mais Dieu a voulu donner à saint Paul la gloire de la recueillir : Souvenez-vous, dit cet apôtre 3, de cette parole du Seigneur Jésus : Il est plus heureux de donner que de recevoir. Bienheureux donc ceux qui donnent, et qui aiment mieux donner que de recevoir. Bienheureux, encore un coup, celui qui appelle à son festin, non point les riches, qui peuvent lui rendre le festin qu'il leur aura fait; mais les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles. Alors, dit le Sauveur, vous serez heureux, car ils n'ont rien à vous rendre et il vous sera rendu à la résurrection des justes. Bienheureux donc les miséricordieux qui donnent sans espérance de rien recevoir de ceux sur qui ils exercent la miséricorde : car ils obtiendront de Dieu une miséricorde infinie.

Ainsi ceux qui sont inflexibles, insensibles, sans tendresse, sans pitié, sont dignes de trouver sur eux un ciel d'airain, qui n'ait ni pluie ni rosée. Au contraire, ceux qui sont tendres à la misère d'autrui auront part aux grâces de Dieu, et à sa miséricorde; il leur sera pardonné comme ils auront pardonné aux autres; il leur sera donné comme ils auront donné aux autres; ils recevront selon la mesure dont ils se seront servis envers leurs frères ; c'est Jésus-Christ qui le dit; et autant qu'ils auront eu de compassion, autant Dieu en aura-t-il pour eux-mêmes.

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Il faut exercer la miséricorde envers tous ceux qu'on voit souffrir; envers les malades, envers les affligés adoucir leurs maux par des paroles de consolation, et par de sages conseils, si on ne peut autrement; leur aider à les porter; les partager avec eux autant qu'on peut. C'est le plus beau de tous les sacrifices: J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice, comme il l'a dit lui-même o.

↑ Matth., v. 7. — 2 Act., xx. 35. — 3 Ib. — 4 Luc., XIV. 12, 13, 14. — 5 Luc., VI. 37, 38.— 6 Matth., IX. 13.

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