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la dépendance des évêques en général étant entièrement essentielle à toutes les sociétés ecclésiastiques.

« Clerici ergo vel monachi qui dicunt hodie se patriarchæ, vel regionis episcopo non esse subjectos, tanquam sint liberi monasterii, vel Ecclesia, proferentes utique etiam a fundatoribus factorum statutorum ordinationes, quid ad hæc respondebunt? Omnino nihil. Etiamsi quis fundator monasterii, vel ecclesiæ, in statutis suis, vel ordinatione sua decreverit non subjici eorum monachos, vel clericos regionis episcopo, non audietur, ut qui divinis sacrisque canonibus contraria statuerit (In Can. vIII, Concil. Calced.). »

Les priviléges légitimes laissent toujours les monastères dans la dépendance de quelque évêque.

VII. Le concile premier et second de Constantinople, ainsi nommé par les partisans de Photius, a découvert la honteuse et artificieuse avarice de ceux qui construisaient des monastères sans la participation de l'évêque, et sans vouloir les lui soumettre, afin de s'en réserver toujours la domination, et même la propriété à eux-mêmes et à leurs héritiers. « Se eorum quæ consecrata sunt, dominos inscribunt, et sola appellatione Deo dedicare machinantur (Can. 1, apud Balsam., p. 549). » Ce qui obligea ce concile d'ordonner qu'on ne pourrait bâtir aucun monastère, ni aucune église, sans le consentement et l'intervention de l'évêque, qui serait le dépositaire des chartes de la fondation sans que le fondateur pût s'approprier ce qu'il a consacré à Dieu, ou se nommer abbé luimême; de quoi nous traiterons ailleurs.

Balsamon ajoute que, quoique l'évêque soit le garde des fondations, et le défenseur de ces nouveaux monastères, il n'en est pas néanmoins le propriétaire, et il ne peut point en disposer en faveur de qui il voudra. Le monastère demeure libre, maître de soi-même et inaliénable, l'évêque n'y ayant que les droits épiscopaux; à savoir, le pouvoir d'examiner et de juger les coupables, de veiller sur les ministres de l'autel, d'établir un supérieur, de faire réciter son nom dans les dyptiques sacrées.

« Ex hoc canone non est episcopo concessum, potestatem in id monasterium obtinere, tanquam ad ejus Ecclesiam dominii jure pertineat. Sed habet in eo tantum jura episcopalia. Ea autem sunt delictorum animæ examinatio,

observatio eorum, qui illa administrant, ejus nominis relatio, et præfecti ordinatio. Conservabitur ergo monasterium liberum et per se degent, non alienabile, nec donabile. »

VIII. Enfin, Balsamon dit que les religieux qui sont prêtres ne peuvent pas recevoir les confessions, ni absoudre des péchés, sans la permission de l'évêque, et que ceux qui ne sont pas prêtres ne le peuvent pas même avec cette permission; quoiqu'apparemment les uns et les autres, par une témérité surprenante, se donnassent quelquefois cette liberté. « Quare nota, quod qui sine episcopali permissione, hominum confessiones excipiunt sacrati monachi, male faciunt; multo autem magis non sacrati. Ii enim cum permissione episcopi possunt tale quidquam exercere (In Can. vi, Carthag.). » D'où il conclut que la constitution d'un certain monastère portant que l'abbé confesserait ses religieux, il s'ensuivait que l'abbé devait être prêtre.

Quelques-uns estimaient que les abbés ne pouvaient pas même donner l'habit et la tonsure monacale à de nouveaux religieux, puisque la consécration des vierges, qui n'a rien de plus auguste que la vêture d'un religieux, est réservée aux évêques. Mais le raisonnement de Balsamon est beaucoup plus juste: que le concile VII général permettant à un abbé qui est prêtre, de donner la tonsure cléricale et le lectorat à ses moines, il lui permet encore bien plus certainement de tonsurer ses religieux, sans une nouvelle permission de l'évêque.

Il ajoute que les religieux qui sont prêtres et non pas abbés, ne devraient point donner la tonsure monacale sans la permission de l'évêque, à cause d'un canon de Carthage, mais que l'usage contraire a prescrit contre les canons et les lois. « Ex longa consuetudine, quæ canone et lege fuit potentior. >>

IX. Le concile VII général (Can. XVI) oblige les évêques de s'opposer aux nouvelles fondations de quelques moines ambitieux et indiscrets, qui s'étant lassés d'obéir dans leurs premiers monastères, entreprenaient d'en construire d'autres pour y exercer leur domination.

L'évêque néanmoins leur permettra d'achever la fondation, s'ils en ont les moyens. Ce qui a eu lieu aussi à l'égard des clercs et des laïques, qui font les mêmes entreprises. Enfin, le concile nommé par les Grecs premier et second, défend aux moines de quitter leur pre

mier monastère, où ils ont renoncé au monde,

et de passer en quelque autre que ce soit, ou

dans des maisons séculières, sans la permission de leur évêque (Jus Orient., t. 1, p. 372, 373 ).

CHAPITRE VINGT-HUITIÈME.

LA DÉPENDANCE DES RÉGULIERS A L'ÉGARD DE L'ÉVÊQUE, APRÈS L'AN MIL.

1. Les réguliers étaient soumis à l'évêque, et ne pouvaient sans on agrément passer d'un diocèse à un autre.

II. Intelligence et correspondance admirable entre les évêques et les religieux.

III. Quoiqu'il se formât de nouvelles congrégations de moines sous un général, elles étaient encore soumises aux évêques. IV. Premières plaintes des évêques en France et en Italie contre les priviléges des réguliers.

V. La protection du Saint-Siége que le pape accordait à quel ques monastères, ne les affranchissait point de la juridiction de leur évêque.

VI. L'esprit de piété et de réforme se répandit des abbayes du Mont-Cassin et de Cluny sur une infinité d'autres, et ce fut ce qui leur fit donner tant de priviléges.

VII. Les prééminences de l'abbé du Mont-Cassin sur Cluny, fondées sur d'autres raisons que celles de la réforme.

VIII. Cluny n'ayant que des prieurés, et chaque moine faisant profession à Cluny, ils furent tous en quelque façon participants des priviléges de Cluny.

IX. Toutes les abbayes de Citeaux furent fondées, non-seulement du gré des évêques, mais après leur avoir fait approuver tous leurs statuts; ce que les papes confirmèrent.

X. La profession que les abbés de Citeaux faisaient aux évêques. XI. Invectives de saint Bernard contre les priviléges. XII. Il approuve néanmoins ceux qui viennent de la volonté des fondateurs. Sentiments de Pierre, chantre de l'église de Paris.

XIII. Des dominicains et des franciscains.

XIV. Sentiments de saint Charles et de saint François de Sales. XV. Conduite toute sainte de sainte Thérèse, quoique contraire en apparence à elle-même, image de celle de l'Eglise. XVI. Autres règlements des conciles sur ce sujet.

I. Les chanoines réguliers et les moines faisaient gloire de dépendre des évêques, comme les plus saintes portions de leur troupeau, et comme étant pour le moins autant asservis à la stabilité de leur monastère, que les clercs l'étaient à celle de leur église, sans que ni les uns ni les autres pussent à leur gré passer dans un autre diocèse.

Le concile de Léon en Espagne, en l'an 1012 (Can. II) défend aux évêques de recevoir ou de retenir dans leurs diocèses les moines et les religieuses d'un autre diocèse, et de la juridiction d'un autre évêque. « Ut nullus contineat, seu contendat episcopus abbates suarum dice

ceseon, sive monachos, abbatissas, sanctimoniales refuganos: sed omnes permaneant sub ditione sui episcopi. »

Si les moines fugitifs de leurs diocèses « suarum diœceseon refugani, » étaient forcés d'y retourner, il n'y avait donc point encore de congrégation générale dont les moines eussent la liberté de passer d'un monastère et d'un diocèse à un autre.

Saint Fulbert exhorta les moines de SaintMédard à rentrer dans la sujétion de leur évêque, puisque les anciens conciles qu'il cite les y obligent. Dans une autre lettre il exhorte un évêque à exiger la soumission canonique d'un abbé, mais de relâcher le serment, puisque le roi le désirait de la sorte (Fulb., epist. LXXII, XLI).

Les lettres XIII, XXXI et XLII, d'Arnulphe évêque de Lisieux, font foi de cette même profession d'obéissance avec serment. Yves de Chartres a aussi écrit plusieurs lettres sur ce sujet.

II. C'était bien moins une dépendance et un empire qu'une douce correspondance, et comme une sainte émulation des évêques à estimer, à aimer et à obliger les religieux, et des religieux à révérer et à servir leur évêque.

Le concile II de Limoges, en 1031, abandonne les moines à la conduite toute sainte de leurs abbés; ne jugeant pas qu'il faille assujétir aux lois des conciles ceux qui observent d'une manière si édifiante les règles les plus parfaites de l'Evangile, et qui préviennent par leur obéissance les commandements de leur évêque.

Monasteria monachorum regularia, quia diligentius et nitidius omnia ad nutum altaris

procurant, in abbatum suorum arbitrio, de his, sicut de aliis regulis permittimus. Illi enim nostris legibus constringi non debent, qui ultra nos per arctam et angustam portam vitæ ingredi appetunt, qui voluntatem propriam frangunt, qui episcoporum jussis summopere in omnibus obediunt. Tales, inquam, legibus non oportet subjici Conciliorum, nisi forte reprehensioni, vel contemptui patuerint. >>

L'évêque de Limoges qui parle de la sorte dans un synode dont les actes furent peutêtre lus dans ce concile, témoigne ensuite que s'il fait venir les abbés à son synode; ce n'est que pour prendre conseil de ces personnes si saintes et si éclairées; car il a reconnu par sa propre expérience que l'on ne pouvait rien ajouter à la propreté des religieux dans leurs églises, dans les livres, les ornements et les calices de l'autel. « Abbates regulares non ideo ad synodum venire cogo hujus sedis, ut arguantur, sed ut mihi de rebus ecclesiasticis moderandis consultum præbeant, etc. »

Si les évêques et les moines eussent conservé ces sentiments réciproques d'estime, de charité, et d'humilité, nous n'aurions pas ensuite un grand discours à faire des priviléges dont les moines ont espéré la paix, et qui font néanmoins la matière d'une guerre perpétuelle.

Il paraît par ce canon que l'évêque visitait les églises des moines, mais les églises seulement, et rarement, et plutôt pour faire l'éloge de leur exactitude que pour les censurer. Il était aussi en droit de les châtier, mais leur régularité ne lui en donnait pas la matière; enfin, il les appelait au synode, plus pour prendre leurs avis que pour leur en donner.

III. Le concile de Coyac, en Espagne, en 1050, soumet tous les moines et toutes les moniales à la règle de saint Benoît, et à l'obéissance de leur évêque: « Secundum beati Benedicti regant statuta, etc. Cum suis congregationibus et cœnobiis sint obedientes, et per omnia subditi suis episcopis. »

On permet ensuite aux abbés de recevoir les moines les uns des autres, avec leur consentement réciproque. « Nullus eorum recipiat << Nullus eorum recipiat monachum alienum, aut sanctimonialem, nisi per abbatis sui et abbatissæ jussionem (Can. II). »

Si le consentement de l'évêque n'était pas nécessaire, c'était un privilége que le concile accordait aux religieux. Mais il paraît qu'a

vant les congrégations générales, on ressentait le besoin d'en instituer, et on en faisait comme des essais par cette communication mutuelle.

Grégoire VII écrivit aux moines de Bourdieux de satisfaire à l'évêque de Limoges, qui se plaignait de ce qu'ils lui avaient enlevé deux monastères (L. vii, epist. 17). Il y avait donc déjà des associations de plusieurs monastères en un même corps.

Urbain II, en un concile de Tours, en l'an 1096, nous apprit que le monastère de Corméry était, et uni et soumis au chapitre et aux chanoines de Saint-Martin-de-Tours, de qui l'abbé devait recevoir la crosse, comme il devait recevoir l'ordination de l'archevêque de Tours. « Salvo Turonensis archiepiscopi jure, quod in abbatis ordinatione, secundum communem Ecclesiæ consuetudinem exercendum est. »

Pascal II, en 1107, donnant à l'archevêque de Narbonne une confirmation de ses pouvoirs, lui assujétit tous les monastères, selon le droit commun de l'Eglise. « In monasteriis vero seu cæteris Ecclesiis, salva Sedis Apostolicæ autoritate, canonicum vobis jus obtinere concedi mus (Epist. XLVIII). »Il en accorda autant à l'archevêque de Vienne. « Abbatias quoque tam intra, quam extra Viennensis urbis mœnia sitas, tuæ fraternitati regendas disponendasque committimus (Epist. LXXVIII). » Il s'étendit un peu plus dans la concession faite à l'évêque de Pavie, mais au fond c'est la même chose (Cap. LXXXVI).

Les concessions semblables de Gélase II et de Calixte II ne disent rien davantage (Gelase II, epist. Iv; Callist. II, epist. vu). Il y en a une de Calixte II où il prend sous la protection du Saint-Siége une abbaye de chanoines réguliers, et néanmoins il la laisse sous l'obéissance de l'évêque. « In beati Petri et Romanæ Ecclesiæ tutelam protectionemque suscipimus, etc. Salva Augustensis episcopi reverentia, etc. Ad indicium perceptæ a romana Ecclesia libertatis, albam cuin cingulo et amictu persolvetis singulis trienniis, etc. (Epist. xxvi). »

IV. Dans le concile de Reims, en 1119, en présence de Calixte II, l'évêque de Mâcon et l'archevêque de Lyon firent les premiers retentir leurs plaintes contre les priviléges de Cluny, qui ne se soumettait pas même au droit du diocésain pour les ordinations, bien moins pour tout le reste. « Ecclesias decimasque suas debitasque subjectiones sibi violenter abstulit,

et congruas dignitates, suorumque ordinationes clericorum denegavit (Ordericus Vital., 1. XII). D

Le cardinal Jean de Crême prit la défense de ces religieux, tâchant de persuader aux évêques qu'il était juste que le pape pût posséder en propre, dans leurs diocèses, ce que la piété des fideles y léguerait au Saint-Siége; que le seigneur temporel du lieu de Cluny y avait bâti le monastère sur son fonds, qui était franc, in allodio suo; et qu'il l'avait donné et consacré à l'Eglise Romaine, qui depuis plus de deux cents ans en confirmait et bénissait l'abbé. Les évêques témoignèrent assez qu'ils ne demeuraient pas d'accord de tout cela, quoique la présence du pape les tint dans le respect. Les évêques d'Italie ne s'élevèrent pas avec moins de chaleur contre les moines du MontCassin dans le concile romain, sous le même pape, l'an 1122. « Coeperunt episcopi dicere, nihil superesse aliud, nisi ut sublatis virgis et annulis, monachis deservirent, illos enim ecclesias, vil as, castra, decimationes, vivorum et mortuorum oblationes detinere. » .

Le pape se déclara lui-même pour l'abbaye du Mont-Cassin, comme soutenue et réparée par les papes,qui y avaient aussi trouvé une retraite fort assurće, abandonnant au reste tous les autres monastères au même état où leur fondation les avait mis. « Cassinense cœnobium ab omni mortalium jugo quietum ac liberum manere, et sub solius sanctæ Romanæ Ecclesiæ defensione perpetuo manere decernimus cætera vero monasteria in quo ordine antiquitus constructa sunt, manere jubemus.»> Néanmoins, Léon d'Ostie fait voir que le pape A'exandre II avait exempté toutes les dépendances du Mont-Cassin de toute la juridiction des évèques. Non modo in nostra, vel principali Ecclesia, verum in omnibus ubicumque cellis ullam jurisdictionem ne quis episcopus usurpare præsumeret (Leo Ostiens., L.III, c. xxIII; Baronius, an. 1066, n. 3). »

Le Mont-Cassin était apparemment déjà le chef d'une congrégation aussi bien que Cluny. C'est ce qui fit dire à ce pape que saint Benoît en avait fait le chef de l'ordre monastique, a totius monastici ordinis caput. » Comme Cluny fut aussi la première congrégation de l'Occident, on peut dire que ce fut par l'établissement de ces congrégations que les priviléges et les exemptions ont commencé à prendre cours dans l'ordre monastique.

Les évêques auraient souffert sans peine, que le pape se fût réservé la seule abbaye du Mont-Cassin, et que de même la seule abbaye de Cluny demcurât entièrement exempte, puisque le fondateur même en avait fait un don au Saint-Siége, si ces mêmes exemptions ne se fussent pas étendues sur les autres monastères des mêmes congrégations, de quoi Calixte II était demeuré d'accord.

Il le confirma encore dans le concile I de Latran, en 1122 (Can. XVII), où il soumit en général tous les abbés et tous les moines aux évêques, pour le chrême, pour l'huile sacrée, pour les ordinations. « Chrisma et oleum, consecrationes altarium, ordinationes clericorum ab episcopis accipiant, in quorum parochiis ma

nent. >>

Dans le privilége qu'il accorda au monastère de Bamberg, deux ans après, en le prenant sous sa protection, il le laissa dans la même dépendance de l'évêque : « In Romanæ Ecclesiæ protectione suscipimus, contra pravorum hominum nequitiam defendenda, etc. Ordinationes sane abbatum, vel monachorum suorum a catholicis episcopis dioecesanis accipiant (Baronius, an. 1124, n. 2). »

V. Il s'ensuit de là que la protection de l'Eglise romaine, que les monastères recherchaient avec tant de soin, n'était qu'une sauvegarde autant pour le temporel, et peut-être davantage que pour le spirituel, mais enfin qui ne les affranchissait pas du pouvoir ordinaire des évêques.

Cela paraît encore dans le privilége que Pascal II donna, en 1100, à l'abbaye de Citeaux, qui affecta en quelque façon de n'avoir point de priviléges, mais qui ne laissa pas de se mettre sous la protection du Saint-Siége: « Abbatium sub Apostolicæ Sedis tutela specialiter protegi sancimus, quandiu vos ac successores vestri, in ea quam hodie observatis, disciplinæ ac frugalitatis observantia permanseritis, salva Cabillonensis Ecclesiæ canonica reverentia (Baronius, an. 1100, n. 41). »

Alexandre III dit la même chose dans le chapitre Recipimus. De Privilegiis, en parlant des églises qui payaient un cens annuel au SaintSiége: «Si ad indicium perceptæ protectionis census persolvitur, non ex hoc juri diocesani episcopi aliquid videtur esse detractum. >> Boniface VIII en dit autant dans le chapitre Si Papa. De Privilegiis. In Sexto.

VI. Il y eut donc cette différence, entre Cluny

et Cîteaux, que Cluny fut fondé sur des priviléges, au moins cet ordre ne tarda guère après sa fondation d'en obtenir. Cîteaux rejeta d'abord toutes sortes de priviléges, quoique ce fût une congrégation aussi bien que Cluny; mais il y a cela de semblable entre ces deux illustres compagnies, qu'on a pu même remarquer dans la lettre de Pascal II, que nous venons de citer, que ce n'a été qu'un renouvellement tout miraculeux de piété et de régularité monastique qui leur a attiré tant de singuliers avantages.

Saint Odilon, abbé de Cluny, étant allé au Mont-Cassin, n'y voulut jamais porter la crosse, quelque instance qu'on lui en fit, devant le vicaire de Saint-Benoît et l'abbé des abbés : << Ubi Benedicti vicarium, abbatem scilicet omnium abbatum adesse contingeret. » Cluny, qui cédait au Mont-Cassin, n'était lui-même l'admiration du monde que par la réforme qu'il introduisait dans tous les monastères (Baronius, an. 1022, n. 16; Leo Ostiens., 1. II, c. 54).

Glaber témoigne que, dès qu'il y avait une abbaye vacante, les rois et les princes en chargeaient Guillaume, abbé de la congrégation de Cluny, afin qu'il y mît la réforme. Helgald donne le même titre de chef de tout l'ordre monastique à Fleury-sur-Loire : « Quæ est caput totius ordinis monastici (Glaber., lib. III, c. 5; Baron., an. 1024, n. 6; Id., an. 1029, n. 9). »

Victor II, ayant fait cardinal l'abbé du MontCassin, lui donna à lui et à ses successeurs la préséance et le premier suffrage avant tous les autres abbés dans toutes les assemblées de princes et d'évêques : « In omni episcoporum, principumque conventu, superiorem abbatibus omnibus sedem, et in consiliis eorum atque judiciis priorem sententiam firmavit (Baronius, an. 1057, n. 8; Leo Ostiens., 1. II, c. 97). » Innocent II, voyant que l'abbaye de Luxeuil était étrangement déchue de cette singulière régularité qui l'avait autrefois rendue si célèbre, ordonna à Pierre, abbé de Cluny, d'y envoyer un abbé et des religieux pour y rétablir la piété. Pierre obéit, mais ce ne fut pas sans témoigner au pape la répugnance qu'il avait et l'appréhension où il était de se détruire en édifiant les autres et les enrichissant de ses pertes: «Valde timemus, ne frequenter, sicut sæpe fit, ad alias Ecclesias translatis fratribus nostris, quod aliis refrigerium, nobis inferat

detrimentum (Baronius, an. 1131, n. 13; Petrus Clun., 1. ш, ep. 23). »

Le même saint abbé remercia les empereurs de Constantinople, qui avaient donné un monastère, près de Constantinople même, à l'abbé de Cluny et au prieur de la Charité; les admettant, en revanche, à la participation de leurs prières et comme à la confraternité de l'ordre, à laquelle avaient déjà été associés les rois de France, d'Angleterre, d'Espagne, d'Allemagne, de Hongrie, et les empereurs même (L. II, ep. 39, 40).

On peut voir le droit de préséance, de correction, de visite et de réforme qui fut réservé à l'abbé de Cluny, sur l'abbaye de Saint-Gilles, par la sentence du pape Innocent II, et sur les abbayes d'Espagne même, à la demande des rois, enfin sur des abbayes de l'Italie même. Les autres papes du même siècle et des siècles. suivants ont toujours continué d'incorporer de nouveaux monastères à l'ordre de Cluny, comme à une source de réforme. Gélase II et Honoré II lui en soumirent dix-huit, sans doute bien persuadés de la vérité de ce que Pascal II avait écrit à l'abbé Hugues, que Cluny avait ou établi la religion aux lieux où elle n'avait jamais été, ou l'avait rétablie dans ceux où elle avait été anéantie : « Ubi nulla fuerat instituta; ubi defecerat, per Galliarum partes est restituta religio (Innoc. II, ep. xxxIII, XXXIV, xxxvIII; Cælest. II, ep. 11; Lucii II, ep. 11; Hadrian. IV, ep. XXIX; Gelas. II, ep. v). »

Ce ne fut pas seulement dans la France que Cluny renouvela le premier esprit de la piété religieuse, mais aussi dans tout l'Occident, comme il a déjà paru. Ce pape ne pensait qu'à réserver la même gloire au Mont-Cassin dans l'Italie (Sirmundus, in 1. Iv, ep. Gosfrid. Vind.).

VII. Mais, parmi cette confusion d'exemples et d'autorités que je viens de rapporter, on ne laisse pas de voir que la prééminence du MontCassin, et la qualité d'abbé des abbés, qui fut donnée à son abbé, fut plutôt fondée sur la mémoire de saint Benoît, sur les obligations que les papes eurent à cette abbaye dans leurs adversités, et sur la faveur des princes, que sur un éclat extraordinaire d'une nouvelle réformation de l'état monastique.

Au contraire, ce ne fut que cette dernière raison qui rehaussa la gloire des abbés de Cluny et fit entrer dans leur congrégation une infinité de nouveaux et d'anciens monastères. Aussi quand Ponce, abbé de Cluny, plus jaloux

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