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Portez plus loin vos pas : la ligne de démarcation est tracée par l'ignorance la plus profonde; plus de prairies artificielles ; toujours la même culture; des jachères éternelles; un sol épuisé par des productions toujours les mêmes; l'excès du travail des hommes; des bestiaux fatigués; de chétives productions, et souvent un sol fertile qui accuse l'ignorance des mains qui le cultivent.

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Cependant, là comme ailleurs, le Traité de Gilbert sur les prairies artificielles, l'Instruction de Daubenton pour les bergers, le Dictionnaire de Roziers sont sur les boutiques de tous les libraires. Le gouvernement a fait répandre avec une profusion digne d'éloge plusieurs de ces ouvrages.

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Quelques hommes courageux et estimables ont formé des établissemens utiles; mais ils restent isolés au milieu des campagnes ; le préjugé les entoure, parce que l'habitant des campagnes manque de l'instruction nécessaire pour savoir bien lire et bien observer: il est là comme il serait dans un atelier, dans une manufacture dont il verrait les produits sans pouvoir deviner le mécanisme et la main d'œuvre employés pour les obtenir. Il faut donc les lui expliquer, et ne pas se borner à la tradition qui l'égare, à l'exemple qu'il ne suit pas, aux expériences et aux méthodes qu'il repousse, s'il n'est déjà instruit.

» Il est impossible que de tels faits, tracés sur le sol de la France entière, ne frappent pas l'œil de l'observateur et de l'homme d'état ; et cependant qu'avons-nous fait, que faisonsnous encore pour sortir d'un tel état de choses? Une loi sur l'instruction publique nous est donnée, et le nom d'agriculture n'y est pas prononcé. Dans nos académies, dans nos discours oratoires nous appelons l'agriculture le premier des arts; dans nos lois, dans nos institutions nous la regardons comme le plus vil des métiers: que dis-je! le plus vil des métiers exige encore un apprentissage; l'agriculture est abandonnée à la plus honteuse routine, et, par un contraste assez frappant, la stupide ignorance semble reléguée en même temps dans les salons de nos Lucullus modernes, et dans l'humble chaumière qui couvre nos cultivateurs! Chassons-la du moins de ce dernier asile.

»Ne croyez cependant pas, citoyens tribuns, que je vienne demander pour l'homme des champs une instruction dispendieuse, des chaires, des lycées, des écoles spéciales. Non, je ne veux rien changer aux institutions qu'on vous propose; je veux seulement les rendre plus utiles.

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Il y aura, dit la loi, des écoles primaires. Je demande qu'un des premiers livres qui sera dans les mains des enfans des

campagnes leur donne des connaissances agricoles; je ne dirai pas utiles, mais indispensables. Quelques gravures en bois fixeraient leur attention à la tête de chaque leçon ; des estampes de dix centimes de valeur, placées sur les murs des écoles, représenteraient la meilleure charrue, les herses les plus convenables, un arbre fruitier bien taillé, une bonne ruche.

» Ainsi ils s'instruiraient en s'amusant; et l'on sait que de tous nos sens la vue est celui à qui nous devons nos connaissances les plus multipliées, les plus utiles, les plus ineffaçables.

» Des connaissances plus étendues pourraient attendre les habitans des campagnes dans un âge plus avancé; nous aurons nécessairement pour les cultes des séminaires, des maisons d'instruction. Imitons encore ici l'exemple des peuples voisins. » Les premières études des ministres seront consacrées à la religion, à la morale, à la Constitution de leur pays.

» Mais pourquoi n'exigerait-on pas qu'ils apprissent les premiers élémens de la chimie rurale, de la botanique rurale, de l'histoire naturelle du laboureur, en un mot de l'agriculture?

»Ne sont-ils pas destinés à répandre l'instruction dans les campagnes? N'est-ce pas là leur plus beau, leur plus grand ministère ? Et quand un ministre, un curé serait un bon agriculteur, dont l'exploitation servirait de modèle au canton, croit-on qu'ils en seraient moins respectables et moins respectés? Le temps n'est plus où les hommes semblaient être appréciés à raison de leur inutilité.

» Ce que je demande aujourd'hui pour l'agriculture peut se concilier parfaitement avec les institutions qu'on nous propose; il ne s'agit que de principes élémentaires. De plus hautes sciences appartiennent à nos écoles spéciales, à nos sociétés d'agriculture; elles peuvent répandre les instructions utiles; mais il faut commencer par ouvrir dans nos campagnes les yeux et les oreilles de ceux qui doivent les entendre. Hâtonsnous de profiter du moment; mettons à profit les institutions que nous formons, et que la France au dix-neuvième siècle ne reste pas en fait d'agriculture au dessous de l'Europe entière; qu'on ne puisse pas lui adresser les reproches que Columelle faisait autrefois aux Romains : ils veulent avoir des maîtres de peinture, de musique, d'escrime et de danse; et le premier des arts, le plus utile, le plus moral de tous les aris (l'agriculture) ne trouvera parmi eux ni maîtres ni disciples.

» Les vues que je propose doivent intéresser également l'homme d'état et le législateur. L'instruction, le travail, l'aisance donnent des mœurs, et les mœurs sont le complément

des lois que peuvent les lois sans les mœurs ? a dit le plus philosophe des poètes de l'antiquité.

» Les produits territoriaux alimentent le commerce, les manufactures, les arts, et sont aussi la base la plus solide de nos finances, la source la plus féconde de la richesse de l'Etat.

» Ainsi tout se lie, tout se tient, tout se coordonne dans un bon système d'administration publique; c'est une vaste chaîne qui embrasse toute la société, mais dont le premier anneau doit être fixé à la terre si l'on veut poser des bases éternelles à la prospérité de l'Etat.

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Espérons, citoyens tribuns, que le gouvernement entendra les vœux que nous formons aujourd'hui, et qu'il profitera des institutions nouvelles pour répandre dans nos campagnes des connaissances dont elles manquent réellement, et dont la propagation peut avoir une influence si marquée sur la prospérté publique.

» Nous faisons les plus grands efforts pour rappeler la culture dans nos colonies dévastées, et nous oublions que nous possédons le sol le plus fertile, sous le climat le plus heureux, le plus susceptible de tout produire. Quelle est donc la colonie qui peut nous donner des richesses égales à celles que la France peut trouver sur son propre sol, fécondé par une meilleure culture, que nous n'obtiendrons jamais que par des exemples utiles joints à de bonnes institutions? Celles que je propose se lient parfaitement avec le système d'instruction publique que nous allons adopter; elles tendent à lui donner une direction utile pour les mœurs publiques, pour la prospérité de l'Etat, pour le soulagement des peuples. Peut-on lui accorder un dégrèvement plus heureux que l'augmentation des produits industriels et territoriaux?

» Ce que je demande pour les écoles primaires ne coûtera pas un centime à l'Etat, et peut lui valoir des millions chaque année.

»Je propose de rappeler le clergé à son institution primitive: ah! s'il avait imprimé dans le cœur des peuples de si longs souvenirs, c'est qu'ils y avaient été gravés par la reconnaissance; nos pères n'avaient pas oublié que leurs ancêtres avaient vu ce même clergé défricher nos montagnes, dessécher des marais, rendre fécondes des landes et des bruyères, et habiter des déserts.

» Je me résume, et je demande qu'à l'instar des peuples voisins :

» 1. Les livres élémentaires destinés à nos écoles primaires offrent quelques chapitres, quelques leçons consacrés

aux premiers élémens de l'art agricole et de l'économie rurale.

» 2°. Que dans nos écoles spéciales les professeurs d'histoire naturelle, de botanique, de physique, de chimie, soient tenus d'en faire l'application à l'agriculture; qu'ils décrivent les substances animales, minérales et végétales du sol français avant de s'occuper de celles qu'on trouve dans des contrées lointaines,

» 3. Enfin je désire que dans les maisons consacrées à l'instruction des ministres des différens cultes il y ait des cours de botanique, de physique et d'économie rurale.

» On ne contestera pas leur caractère, on les croira toujours les ministres d'un dieu de miséricorde et de paix quand ils s'occuperont à répandre sur la terre ses bienfaits et ses largesses.

"On croit toujours à la mission de celui qui nous rend heureux.

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Citoyens tribuns, les observations que je viens de vous soumettre n'attaquent ni le principe ni les conséquences du projet de loi qui vous est présenté; elles ne tendent qu'à lui donner un plus grand degré d'utilité, et si vous les adoptez elles porteront la consolation et l'espérance dans nos champs; leurs habitans verront avec reconnaissance que le Tribunat regarde comme l'un de ses devoirs les plus sacrés de rappeler sans cesse leur intérêt au gouvernement, qui bientôt, n'en doutons pas, ne nous laissera même plus de vœux à former pour la prospérité de nos villes et de nos campagnes. Le passé, le présent sont pour nous de sûrs garans de l'avenir; le même génie tutélaire veille sur nous; mais l'époque actuelle est celle qu'il faut saisir; c'est un de ces momens heureux qu'on ne rencontre pas deux fois dans la vie des peuples, et surtout des empires.

"

Nous expions encore les erreurs commises sous Louis XIV, et qui ont été si funestes à nos ateliers, à nos manufactures; nous expions les erreurs que nous avons commises nous-mêmes dans notre système colonial : ne nous exposons pas à de nouveaux regrets en fondant un système d'instruction publique incomplet, et qui ne s'appuierait pas sur les bases larges et solides que la nature elle-même a données à la prospérité et à la grandeur du peuple français.

>>

» Nota. Plusieurs orateurs ont combattu les vues que je propose par des idées différentes : on eût pu en présenter mille autres; la carrière est sans bornes. Personne n'a répondu aux faits, à l'exemple de l'Europe entière et de la France elle-même.

» Laissons là les systèmes; écoutons enfin l'expérience :

un seul fait détruit les plus belles théories, et tous les systèmes réunis ne détruiront pas un seul fait.

>>

OPINION de Duchesne, contre l'ensemble du projet de loi; prononcée au Tribunat. - Séance du 7 floréal

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an 10.

Citoyens tribuns, je n'aurai point à vous entretenir de la théorie neuve et profonde développée par le rapporteur de la section de l'intérieur sur l'éducation publique, comparée aux institutions politiques, et sur l'influence que celles-ci ont toujours eue dans cette branche si importante de la législation des peuples libres.

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» Je m'empresse de reconnaître avec lui « que la vaste éten» due des états modernes, leurs relations commerciales et les » arts d'une civilisation plus avancée, ont rendu désormais » impossibles (parmi nous) le retour des anciennes institu» tions de la Grèce, » relatives à l'éducation des jeunes citoyens ; et il me paraît plus curieux qu'utile de rechercher jusqu'à quel point ces institutions célèbres pourraient être conservées dans un pays où le gouvernement est fondé sur le système représentatif et sur la séparation des pouvoirs.

>> Mais cette forme de gouvernement que nous avons eu le bonheur de conquérir, et que nous désirons tous de conserver, s'alliant éminemment avec l'amour de la patrie, et étant d'ailleurs fondée sur l'égalité des droits, qui est la base du système représentatif, il s'agit de décider dans cet état de choses si l'instruction publique ne doit pas être un bienfait commun à tous les citoyens, et d'examiner ensuite si le projet de loi qu'on nous propose a atteint ce but dans toute la latitude que la nature même du bienfait doit comporter.

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Quand je me borne à parler d'instruction publique, j'entends, ainsi que le rapporteur, que nous n'avons point, que nous n'aurons jamais à nous occuper d'aucun plan d'éducation publique; parce qu'à cet égard l'expérience des temps modernes suffit pour repousser de vaines hypotheses, incompa→ tibles avec nos habitudes sociales.

» Le même rapporteur a fort bien prouvé, et je me plais à emprunter ses expressions, qu'un grand peuple peut être libre et conserver son indépendance, sans se montrer « ivre de gloire comme les Athéniens, insatiable d'austérités » comme les Spartiates, dévoré de l'ambition des conquêtes » comme les Romains. »>

» Mais ce peuple cesserait bientôt d'être heureux et libre s'il retombait dans les ténèbres de l'ignorance: il faut qu'il soit instruit tout à la fois de ses droits et de ses devoirs; il faut

XVIII.

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