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qu'un très petit nombre d'élèves, et que par conséquent le but du législateur serait manqué.

» Vous n'avez pas besoin, tribuns, que je vous avertisse que ces observations ne se rapportent qu'aux maisons d'éducation entretenues par l'Etat.

Je pense que cette omission si importante détruirait toutes les espérances que la loi qui vous est présentée permet de con

cevoir.

» Il me paraît impossible, dans l'état actuel de la législation, de retrancher entièrement la religion de l'instruction publique. Je dis plus; j'avoue que, quel que fût l'état de la législation, je ne concevrais pas une education qui ferait abstraction de toutes les idées religieuses. La nature des choses est telle qu'elles s'y introduiraient nécessairement d'elles-mêmes; et à ce mot je conçois d'autres craintes, qui me font ajouter que le silence du législateur à cet égard serait impolitique.

» Une expérience éternelle a averti les gouvernemens de se méfier de l'influence des prêtres. Cette influence n'a jamais été plus grande que lorsque les prêtres ont pu pénétrer dans le secret des consciences, et surtout lorsqu'ils ont eu à diriger des esprits faibles, san's expérience, des imaginations mobiles et susceptibles d'exaltation.

» Je sais que, s'ils concevaient des projets dangereux, ils ne pourraient guère faire servir des enfans à leurs desseins; en général on ne redoute pas des instrumens si faibles dans une main ennemie. Mais cherchons bien la raison de cette sécurité; ne serait-ce point qu'on présume que ces enfans s'éloigneront peu à peu des prêtres dans l'âge mûr, que la foi ou la crédulité s'affaibliront avec l'âge? Mais alors pourquoi leur inculquer dès leur jeunesse des principes qu'on espérerait leur voir abjurer? Est-ce donc l'âge de l'innocence qui a besoin d'être effrayé par les peines terribles dont la religion menace les criminels?

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Soyons plus conséquens. Puisque nous voulons inspirer des idées religieuses à nos enfans, désirons que leur raison les approuve un jour, et que leur vie entière en soit plus pure et plus heureuse; n'outrageons point d'avance, par une méfiance cruelle, des hommes à qui des fonctions augustes viennent d'être rendues; que les sages montrent combien ils abhorent toute espèce de persécution; que les pères appellent la religion au secours de leur autorité, mais qu'ils étudient avec le plus grand soin le caractère, la capacité, la doctrine, les mœurs de l'homme qui sera chargé d'ouvrir ces âmes innocentes à la parole céleste.

» Que le législateur imite la prudence du père de famille

XVIII.

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qui n'admet point dans sa maison le ministre insinuant qui voudrait s'y introduire, et qui s'applique à choisir avec discernement le sage vieillard à qui il confiera la pureté de sa fille. Mais, outre la sollicitude paternelle que le gouvernement doit aux enfans, son propre intérêt lui commande la vigilance sur tous les principes que ces enfans doivent recevoir.

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» Il ne faut pas qu'il permette que l'instruction religieuse s'introduise dans l'instruction publique; il faut qu'il l'y appelle pour la diriger et la surveiller.

>>

Quelques uns expliqueront peut-être le silence de la loi en pensant que ces dispositions sont réservées pour des articles réglementaires; mais qu'y a-t-il de plus important dans la société que l'éducation? qu'y a-t-il de plus important dans l'éducation que l'instruction religieuse? Qu'y a-t-il par conséquent de plus digne des méditations et de la sanction du législateur?

» Je me résume.

» Il me paraît impossible de ne pas admettre la religion dans l'instruction publique. Cette omission, je crois l'avoir prouvé, paralyserait l'instruction elle-même; elle serait injuste pour les enfans, effrayante pour les pères; elle serait impolitique, c'est à dire dangereuse pour l'Etat. Elle doit être réparée par une loi.

» Cette loi sera difficile sans doute : elle aura à prévoir la réunion de plusieurs enfans de différentes religions; elle aura à déterminer le choix des ministres, la surveillance à laquelle ils seront soumis... Je m'arrête. L'embarras que j'éprouve pour indiquer ce qu'il faudrait faire m'inspire quelque honte d'avoir hasardé ces réflexions sur ce qui a été fait : elles ont pour objet non pas d'attaquer une loi dont les dispositions sont généralement sages, mais d'y faire remarquer une omission importante, et c'est précisément parce que j'approuve ce projet que je voudrais en rendre le succès plus certain. »

DISCOURS de Fourcroy, orateur du gouvernement; prononcé devant le Corps législatif.-Séance du 10 floréal

an 10.

« Citoyens législateurs, le vœu que viennent d'émettre les orateurs du Tribunat, les puissans motifs par lesquels ils l'ont soutenu, sembleraient réduire au silence les orateurs du gouvernement, si d'ailleurs l'importance du sujet qui vous occupe n'appelait une discussion solennelle, et si, dans le cours de celle qui a eu lieu dans plusieurs des séances du Tribunat, il n'avait été présenté quelques difficultés qu'il ne faut pas laisser

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sans réponse. Les objections doivent surtout être repoussées ; les éclaircissemens les plus précis doivent être donnés dans une matière qui intéresse si essentiellement l'utilité publique, et sur laquelle les défiances, les soupçons, le doute même, s'ils pouvaient s'introduire dans les esprits, compromettraient le sort des institutions que le gouvernement propose à votre sagesse de sanctionner. A la vérité, si l'on en excepte un seul des orateurs du Tribunat à qui l'ensemble du projet a paru défectueux, les objections, les difficultés qui lui ont été opposées sont et peu nombreuses et de nature à n'exiger que quelques éclaircissemens pour dissiper le léger nuage qu'elles auraient pu rassembler sur le plan qui vous est soumis. Quelques considérations générales suffiront, et j'y trouverai même des armes assez fortes pour combattre victorieusement celui des orateurs qui, en attaquant les principales bases du nouveau projet, semble s'être le plus éloigné des dispositions qui le constituent: elles mé fourniront en même temps l'occasion de donner sur le mécanisme même du projet, et sur son exécution, quelques développemens qui n'ont pas dû faire partie de l'exposition des motifs, et qui sont néanmoins très propres à mettre dans tout leur jour les avantages du plan nouveau.

» Je suivrai dans ces considérations l'ordre du projet; je traiterai successivement, et le plus brièvement qu'il me sera possible, des écoles primaires, des écoles secondaires, des lycées et des écoles spéciales. Je ne dirai rien des parties du projet qui ont été généralement approuvées, même de la part du très petit nombre d'orateurs qui l'ont combattu.

Des écoles primaires.

» Quoique la première exposition, des motifs ait présenté avec précision, mais avec force, les raisons qui ont engagé le gouvernement à laisser aux conseils municipaux le soin d'organiser et d'entretenir, et aux sous-préfets celui de surveiller les écoles primaires, on est plusieurs fois revenu dans la discussion sur la crainte de voir encore ces institutions languissantes ou nulles. En insistant beaucoup, et avec raison sans doute, sur la nécessité et la justice d'offrir à tous une première instruction, qui est en effet le besoin de tous, on a témoigné des regrets sur ce que ces écoles n'étaient pas fondées aux dépens du trésor public, et sur ce qu'on n'en assurait pas ainsi l'existence d'une manière irréfragable on aurait voulu au moins des moyens correctifs pour forcer les conseils municipaux à s'en occuper et à les organiser. On reproche au projet de ne rien dire sur l'instruction des filles. On ne voit pas le sort des instituteurs assez certain pour les regarder comme établis soli

dement. On voudrait que la tenue des registres civils fût réunie aux fonctions de ces maîtres. Enfin on sacrifierait volontiers même la plus grande partie des pensions des lycées pour en reporter la dépense sur les écoles primaires. Voilà un tableau fidèle des objections ou des regrets relatifs à l'organisation du premier degré d'instruction; chacune d'elles me fournit une réponse aussi simple que facile.

»Sans doute, montrer à lire, écrire et chiffrer, est le besoin de tous les hommes vivans en société ; aucun ne devrait ignorer ces premiers moyens de communication et de conduite sociale. Mais, malgré cette grande vérité, quel est le peuple nombreux où il existe dans toutes les communes une école gratuite qui y soit consacrée ? quel est le gouvernement qui peut soutenir ou qui soutient ce fardeau ? Si cela n'existe nulle part, excepté dans quelques pays resserrés et d'une très faible population c'est qu'il n'est pas dans la nature des choses que cela existe; c'est qu'il est hors de la limite du possible qu'une pareille organisation soit établie chez un grand peuple. En effet, il faut au moins quarante mille écoles: en les portant à 500 fr. chacune pour le salaire du maître et pour sa maison, il faut une somme annuelle de vingt millions pour ce seul objet; et en joignant cette somme à celle qu'exigent les autres parties d'instruction, près de trente millions seront ajoutés aux dépenses du gouvernement. Demandera-t-on cette addition aux contributions dans un moment où tant d'autres besoins également impérieux, celui de réparations urgentes, etc., se font si vivement sentir? Réduirat-on ces vingt millions à la moitié, soit en affectant cette réduction au nombre des instituteurs, soit en la portant sur le traitement de chacun? Dans cette seconde hypothèse, la même cause de non succès se trouve reproduite. Et d'ailleurs supposons encore que le trésor public puisse fournir vingt millions par an pour cette dépense; croyez-vous avoir tout fait en payant quarante mille instituteurs? N'avez-vous pas à craindre mille abus sur ces quarante mille traitemens? ne deviendrontils pas une sorte de prime pour la négligence, l'inertie, l'insouciance, si toutefois ils ne l'offrent pas d'abord à l'intrigue? Quelle différence entre ce mode, qui, supposé possible, ne serait peut-être pas digne d'être adopté, et celui d'abandonner aux magistrats de la famille l'établissement de cette institution domestique? Elle est le besoin de tous; elle doit être l'affaire et la première affaire de tous. Laissez chaque commune s'arranger avec un instituteur; laissez-lui le choix d'un homme dont les mœurs pures et l'instruction lui soient bien connues; donuez à toutes les convenances locales le règne et l'influence qu'elles doivent avoir; n'exigez pas des moyens coactifs là où la per

suasion est seule nécessaire; éclairez l'intérêt de chacun, et comptez sur ses conseils; croyez que les sous-préfets, sous la responsabilité desquels la loi placera leur succès, prendront pour ces écoles tous les moyens qui seront à leur disposition; espérez surtout que la bienfaisance fondera comme autrefois une partie de ces établissemens. Voyez ce que dix-huit mois de tranquillité et de retour ferme aux principes ont déjà produit dans ce genre!

"Le projet de loi ne s'occupe point de l'instruction des filles... Mais ne prévoit-on pas que dans les communes auxquelles cette organisation est confiée on ne négligera pas de faire ce qui est convenable à cet égard? Ne sait-on pas encore que c'est dans les familles que cet apprentissage domestique, comme celui des ouvrages qui conviennent aux filles, s'établit naturellement ? Est-il besoin de dire que dans les villes les deux genres d'écoles ont toujours été distingués pour les deux sexes, et qu'il eût été superflu d'énoncer cette distinction ?

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Quant aux fonctions diverses qui pourraient être attribuées au maître, le gouvernement en a fait l'objet de ses sollicitudes; il ne négligera pas les secours qu'il pourra tirer des instituteurs probes et assez éclairés pour tenir des registres civils et remplir quelques fonctions municipales; il y est intéressé pour le bien des administrés et pour la consolidation des écoles ellesmêmes. On peut se reposer à cet égard sur ses soins ; tout ce qu'il pourra faire pour améliorer le sort de ces hommes utiles, pour les attacher aux lieux où ils seront appelés par la confiance des communes, il le fera avec empressement.

>> Il ne sera donc pas nécessaire de mutiler une partie du projet, ni de faire crouler l'une de ses bases les plus solides, comme un orateur l'avait proposé au Tribunat, pour établir des écoles primaires. Si les communes pouvaient méconnaître leur propre intérêt au point de ne pas assez soigner cette institution, il resterait au gouvernement à les y contraindre par des réglemens et des mesures qui sont toujours à sa disposition; mais il est assuré d'avance qu'il n'aura pas besoin d'en venir à cette extrémité, puisque dans la plupart des communes il existe quelques établissemens dont il ne s'agira que de régulariser ou de modifier l'état actuel.

Des écoles secondaires.

» Le plus grand nombre des membres du Tribunat qui out pris part à la discussion a parfaitement saisi l'esprit du projet de loi sur les écoles secondaires. Quelques uns auraient désiré qu'il y eût de ces écoles dans les grandes cités pour l'instruction gratuite de la jeunesse. On a dit ailleurs les regrets que le gou

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