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la morale, qui n'est, sous beaucoup de rapports, qu'une suite de bons raisonnemens sur ce qu'on se doit et sur ce qu'on doit aux autres; les mathématiques, dont le besoin se retrouve aujourd'hui partout; les sciences physiques, dont il est presque honteux d'ignorer les élémens, dont l'étude répand tant de charmes sur l'existence et promet tant de services, tant de lumières utiles dans tout le cours de la vie, quel que soit le genre d'occupations auxquelles on doive se livrer; voilà ce qui, en rapprochant les lycées actuels des écoles centrales qu'ils remplaceront, les éloigne le plus des anciennes méthodes, qu'aucun être raisonnable ne voudrait, ne pourrait plus suivre aujourd'hui. Voilà les études qui formeront les jeunes gens déjà instruits dans les écoles secondaires, et qui, en préparant aux leçons profondes des écoles spéciales ceux des élèves qui poursuivront la carrière des sciences, fourniront à tous les autres une première moisson de connaissances dont ils trouveront mille occasions de faire un usage avantageux, à tel poste qu'ils soient placés après leur sortie des lycées.

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» Ces écoles philosophiques ne seront point bornées à ces parties déjà relevées de l'instruction: on y réunira l'enseignement de la littérature ancienne et moderne, ou la rhétorique des anciens colléges; elles auront même ce qui appartient aux écoles secondaires; elles offriront une suite de classes désignées autrefois sous le nom d'humanités, où ceux des jeunes élèves placés immédiatement et sans concours par le gouvernement, au nombre de deux mille quatre cents, puiseront la première instruction nécessaire pour arriver aux classes supérieures dont je viens de parler. C'est pour cela que j'ai présenté les lycées, dans mon premier discours comme des réunions d'écoles secondaires et d'écoles centrales. Mais cette série de classes, cette échelle scholaire ne sera pas toute parcourue par tous les élèves, et le projet, en limitant à six années le maximum du temps pendant lequel ils pourront y demeurer, n'obligera pas tous les pensionnaires à y rester pendant tout ce temps; il sera permis, à ceux qui y seront entrés les plus âgés et les plus forts, d'en sortir plus tôt, soit pour prendre une profession quelconque dans le monde, soit pour entrer dans la carrière des écoles spéciales, si leurs progrès et leur avancement sont assez rapides pour être admis avant le terme. En un mot, la marche des élèves sera proportionnée à leurs efforts et à leurs succès; leur intelligence, leur aptitude seront étudiées et connues; et la diversité que la nature elle-même a placée dans les facultés de l'esprit deviendra la règle de la progression que l'on fera suivre aux élèves.

» Cette partie du projet de loi a réuni le plus grand nombre

des suffrages, et je ne trouve presque aucune objection à combattre contre l'établissement des lycées. On a bien exprimé le regret que leur nombre ne fût pas plus considérable; mais outre qu'il est facile de pressentir que si ce nombre n'a point été fixé par le gouvernement c'est qu'il n'a pas voulu renoncer à l'espérance de le porter au-delà de celui qu'il s'était d'abord proposé pour limite, ce que j'ai dit plus haut sur le parti que les départemens peuvent prendre relativement à celles des écoles centrales qui se trouvent supprimées doit singulièrement affaiblir ce regret.

» Parlerai-je ici de quelques reproches qui ont été faits sur une disposition relative à l'administration des lycées, et à ceux qui en seront chargés? Rangerai-je parmi les véritables objections cette opinion d'un orateur qui, sans désapprouver l'ensemble du projet, et tout en proposant son adoption au Tribunat, voudrait qu'on n'eût point exigé, après la première organisation des lycées, que les administrateurs immédiats de ces écoles fussent mariés? Ne suffit-il pas pour le réfuter de citer la raison qu'il donne en prétendant que des célibataires aimeront mieux, et plus également, tous les enfans? C'est aux pères de famille qui m'entendent que j'abandonnerai cette réfutation. Si le sujet n'était pas aussi sérieux, je répondrais, à la métaphore que l'orateur dissident a tirée du premier de nos auteurs comiques vous craignez qu'Orgon ne remplace Tartufe ; je suis persuadé que, s'il pouvait exister encore des Orgous dans les choix éclairés qui seront faits, il se trouverait des Cléanthes plus adroits et plus heureux dans l'art de détromper les hommes séduits, et d'arracher le masque aux hypocrites..... Mais il ne sied point de plaisanter dans une discussion aussi grave, surtout lorsqu'à côté du reproche léger dont je parle se trouve une violente attaque portée à un des philosophes qui, malgré les erreurs de son imagination et les égaremens de son excessive sensibilité, a laissé des mopour son siècle et son pays pour numens littéraires destinés à illustrer à jamais l'un et l'autre : la gloire de J.-J. Rousseau est placée trop haut sans doute pour que quelques déclamations hasardées puissent l'atteindre; qu'il me suffise donc de dire qu'en parlant de l'instruction publique c'est mal défendre la cause dont on se charge que d'injurier la mémoire d'un des philosophes européens qui a le mieux traité et le plus honoré ce beau sujet.

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» Je ne répondrai pas au même orateur lorsqu'il propose rétablir un corps enseignant, lorsqu'il croit que c'est le seul moyen d'entretenir une fidèle tradition et une méthode constante dans l'enseignement. Pour faire avancer l'instruction, pour la tenir toujours à la hauteur des connaissances on n'a

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plus besoin de ces corporations, qui ont été d'ailleurs fort utiles dans des temps peu éclairés. L'uniformité des méthodes, lorsque les sciences s'accroissent et se perfectionnent, devient une routine dangereuse c'est le juste reproche qu'on a fait aux universités. Evitons de retomber dans des vices anciens et que les lumières ont proscrits en les faisant reconnaître. Le choix des hommes chargés de l'enseignement, l'influence des travaux de l'Institut, les rapports continuels des inspecteurs généraux des études avec les lycées et tous les genres d'écoles, donneront à nos institutions la régularité et la stabilité qu'elles doivent avoir; la possibilité de faire passer successivement les professeurs et les administrateurs dans plusieurs de ces écoles y maintiendra l'espèce d'uniformité qui leur conviendra.

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Des écoles spéciales.

J'ai peu de chose à ajouter sur les écoles spéciales; ce que j'en ai dit dans l'exposition des motifs a obtenu l'assentiment presque général, ainsi que les articles du projet qui les concernent. C'est soutenir une des bases de la gloire nationale, c'est préparer de grands moyens pour la prospérité de la République que de multiplier et de disperser ces grands foyers de lumière sur sa surface. Le vœu des amis des sciences et des arts sera rempli tout entier.

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L'agriculture n'a pas d'écoles qui lui soient spécialement consacrées, parce que, comme science, elle est l'application de plusieurs de celles qu'on enseigne dans les autres écoles spé ciales, et, comme art, c'est aux champs, c'est en maniant et en dirigeant la charrue qu'on en prend et qu'on en donne des leçons. On croirait à tort que c'est un oubli du gouvernement. Ce qu'a désiré l'un des orateurs du Tribunat relativement aux connaissances à donner aux enfans des agriculteurs, à celles dont pourront être pourvus les ministres des cultes pour répandre quelque lumières utiles dans les campagnes, ne sera point négligé dans l'organisation des écoles, et dans la dispensation du temps et des études.

» L'un des orateurs dont j'ai réfuté quelques objections ne veut point d'école militaire; il croit que l'art de la guerre s'apprend seulement dans les camps, et que c'est au milieu de nos phalanges victorieuses qu'on doit toujours en recevoir les exemples et en apprécier les principes. En accordant à cette assertion ce qu'elle a de réel, elle ne prouve point assurément l'inutilité d'une école militaire. Quand celle-ci ne servirait qu'à retracer au courage naissant les hauts faits de nos armées, les travaux de nos soldats, les grands talens et les brillans succès de nos généraux, elle serait une véritable dette de la

reconnaissance nationale. Il est presque superflu d'ajouter ici l'exposé, même le plus succinct, des avantages que l'on peut tirer pour une partie de la jeunesse de démonstrations méthodiques et suivies sur l'art de la guerre, et sur toutes ses branches. Réduire en leçons l'expérience glorieuse de nos armées et celle des généraux qui les ont conduites à la victoire; comparer les campagnes de la liberté à celles que l'histoire nous a conservées, ou que la tradition nous a transmises; mettre également à profit pour l'avenir et les succès et les revers des grands capitaines; accoutumer en même temps au maniement des armes et à la discipline militaire une jeunesse qui doit toujours être prête à voler à la défense de la patrie; former enfin des officiers instruits; voilà ce qui marque, pour l'école spéciale militaire, la place honorable qu'elle doit tenir parmi les institutions nouvelles que le projet de loi va créer.

» Il me sera sans doute permis de ranger parmi les paradoxes cette opinion singulière qui rejette l'enseignement des langues vivantes, en le représentant comme la source d'un engouement pour les mœurs et les coutumes des peuples qui nous avoisinent. Ce serait bien plutôt, en affectant d'écarter de nos études tout ce qui est relatif aux idiomes et aux usages des nations voisines, qu'on pourrait craindre de voir naître un goût plus prononcé et plus impérieux pour tout ce qui leur appartient. Les obstacles, les prohibitions produisent ou augmentent l'engouement, comme la pression provoque l'élasticité et le ressort des matières qui en sont susceptibles. Et d'ailleurs que doit-on redouter des habitudes des peuples voisins transportées chez nous comme les nôtres le sont chez eux? Si elles sont mauvaises ou préjudiciables, l'usage en fera justice, tandis que la privation en conserverait le désir; si elles sont bonnes, c'est une acquisition de plus, c'est un pas vers la perfection. Mais un intérêt bien plus puissant, celui des communications commerciales et des correspondances nécessaires entre les peuples éclairés, nous invite à cultiver les langues vivantes. En Russie, en Suède, en Allemagne, en Prusse, en Angloterre, en Espagne, en Italie, l'étude de la langue française fait partie de toute éducation libérale ; pourquoi les langues du nord et du midi seraient-elles donc exclues de nos institutions littéraires? Pourquoi repousser cette grande pensée qui deviendra quelque jour un fait historique, celle de regarder tous les peuples de l'Europe comme un seul peuple, également éclairé, marchant d'un pas égal vers la perfection de l'état civil, et ne différant dans ses diverses tribus que par quelques nuances dans leurs mœurs, comme ils ne different au physique que par quelques nuances de forme ou de couleur ?

» Je passerai sous silence toutes les autres parties du projet de loi, soit parce qu'elles n'ont été attaquées par personne, soit parce que quelques objections qui leur ont été faites ont été victorieusement détruites par plusieurs orateurs du Tribunat, soit enfin parce qu'elles ont été l'objet d'éloges unanimes. Vous avez pu juger, citoyens législateurs, par les développemens que je viens de vous offrir, et qui sont plutôt des explications que des réponses ou des réfutations, à combien de vues importantes et d'améliorations utiles le projet de loi peut conduire. J'ai prouvé cette fois que, bien conçu et bien, exécuté, il ne renverse presque rien de ce qui existe, et qu'il ajoute beaucoup à ce qu'on possède; j'ai fait voir qu'il peut être établi sans secousse et sans destruction, qu'il dirigera un meilleur emploi des hommes et des choses, qu'il est d'accord avec l'état des connaissances humaines et les besoins de la société, qu'il forme dans toute sa contexture un système complet d'instruction où tous et chacun trouveront la part qui leur convient. Il ne reste plus que votre sanction pour donner à ce projet l'auguste caractère de loi de l'Etat et pour autoriser le gouvernement à faire jouir les Français des avantages qu'il leur promet. »

III.

DU RECRUTEMENT DE L'ARMÉE PAR LA CONSCRIPTION.

(Voyez tome XVI. )

EXPOSÉ DES MOTIFS du projet de loi présenté au Corps législatif; par Lacuée, conseiller d'état. Séance

du 21 floréal an 10 (11 mai 1802).

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Citoyens législateurs, pouvoir maintenir l'armée à son complet sur le pied de paix, et la porter facilement au pied de guerre dès que les circonstances l'exigeront, tel est le double but que le gouvernement s'est proposé d'atteindre par le projet de loi qu'il soumet aujourd'hui à votre approbation.

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Le gouvernement devait-il chercher à atteindre ce double but? l'a-t-il atteint ? a-t-il employé pour y arriver les moyens dont il devait faire usage? Tels sont, citoyens législateurs, les questions à l'examen desquelles j'ai cru devoir me livrer devant

.vous.

» Ce n'est pas à vous, citoyens législateurs, qu'il est besoin de prouver que les consuls doivent mettre au rang de leurs premiers devoirs le soin de tenir constamment l'armée à son

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