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complet de paix; vous savez que cette obligation, imposée à tous les gouvernemens modernes par le système politique qui régit l'Europe, l'est plus particulièrement encore au gouvernement français, entouré de voisins puissans, belliqueux, et qui sans cesse ont sous les armes des corps militaires très nombreux.

» Si le second objet de la sollicitude des consuls pouvait paraître moins important, si l'on disait qu'il est inutile de former une réserve chez une nation dont tous les citoyens sont soldats, et bons soldats, qui compte une population très nombreuse, et dont l'armée présente à son pied de paix une force imposante, je répondrais: jadis l'armée de ligne était proportionnellement aussi forte qu'elle l'est aujourd'hui, et derrière elle on avait néanmoins placé une réserve considérable. Toutes les grandes puissances de l'Europe ont une armée toujours existante, et toutes lui ont cependant préparé des auxiliaires. L'Assemblée constituante, cette Assemblée dont l'opinion sera toujours d'un grand poids parmi nous, ne s'était pas bornée à avoir une armée formidable; elle avait encore voulu qu'on organisat un corps auxiliaire très nombreux. Et pourquoi, nous, n'aurions-nous pas aussi nos auxiliaires ? Une réserve, ce nom est du meilleur augure, une réserve composée d'hommes façonnés à la discipline et aux exercices militaires, qui pourront avec promptitude et sans secousse entrer au besoin dans les cadres de l'armée, préparés pour les recevoir; cette réserve nous mettra en mesure ou de prévenir le retour de la guerre, ou de la finir avec cette heureuse rapidité qui en diminue les maux et en accroît la gloire.

» Ainsi le gouvernement devrait s'occuper des moyens de tenir l'armée au complet de paix, et de la faire aisément passer au pied de guerre en formant une réserve.

» Mais les cent vingt mille hommes demandés par le gouvernement suffiront-ils au complément de l'armée et à la formation d'une réserve?

» La paix ayant permis de resserrer les cadres de l'armée, le nombre des congés n'ayant été fixé qu'au cinquième de l'effectif, et beaucoup de défenseurs de la République étant attachés à la profession des armes par la gloire qu'ils y ont acquise et, par la juste considération qu'elle leur il n'est pas procure, douteux que soixante mille hommes ne nous suffisent pour le complément de l'armée. Si, après les avoir employés, il restait quelque vide, il serait peu sensible; si au contraire, ce nombre excédait les besoins, le gouvernement ne l'appellerait pas tout entier. Il sait, il l'a déjà prouvé, combien il importe à la prospérité publique de n'arracher à l'agriculture, aux

sciences, aux arts et au commerce que les bras impérieusement réclamés par la sûreté générale.

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Quant à la réserve

si elle était définitivement bornée à soixante mille hommes, elle serait évidemment insuffisante; mais vous verrez, en comparant la loi que nous vous soumettons avec celle du 19 fructidor an 6, que le projet du gouvernement est de porter cette réserve à cent cinquante mille hommes dans le cours d'une période conscriptionnaire; et nul ne doute que ce nombre de valeureux soldats, joints à ceux qui formeront le pied de paix, ne soit assez grand pour empêcher la balance politique de pencher du côté des peuples qui deviendraient nos ennemis, ou pour entraîner et fixer la victoire sous nos drapeaux.

» Ici, citoyens législateurs, notre tâche pourrait passer pour terminée, car nous avons prouvé que ce que le gouvernement vous soumet est nécessaire et juste; mais comme les consuls veulent non seulement ne vous proposer que ce qui est bon, mais encore n'opérer le bien qu'en employant des moyens approuvés par la Constitution, avoués par les principes qui lui servent de base, et en harmonie avec l'esprit national, je vais examiner le projet de loi sous ces différens rapports.

Il était impossible au gouvernement de ne point recourir à la conscription tant pour compléter l'armée que pour former la réserve ; une loi, qu'on peut regarder comme un des fondemens de la République, lui en imposait le devoir; et, j'ose le dire, si cette loi n'eût pas existé, il aurait dû la provoquer. En effet, aux yeux de tout homme sage, la conscription militaire est le palladium de la gloire au dehors et de la liberté au dedans.

et

» Mais la conscription, telle qu'elle fut créée en l'an 6, qui était alors une institution excellente, ne devait-elle point éprouver aujourd'hui quelques modifications? Les circonstances, les hommes, la Constitution, l'esprit national, tout étant modifié, il fallait aussi modifier la conscription; il fallait la mettre en harmonie avec nos principes, nos mœurs, nos institutions et nos relations politiques. C'est pour y parvenir que le gouvernement ne vous demande plus de mettre à sa disposition la totalité des deux classes qu'il avait droit de réclamer, mais uniquement la portion de ces deux classes dont il croit avoir réellement besoin. Mu par des idées également libérales, il ne se réserve point, comme on l'a fait jusqu'ici, le droit de demander à chaque département le nombre d'hommes qu'il doit fournir c'est à vous, citoyens législateurs, qu'il a cru devoir déférer la répartition de cette importante contribution.

XVIII.

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Ce n'est plus aux préfets et sous-préfets, ses agens les plus immédiats, qu'il attribue les répartitions secondaires; c'est aux conseils de département, d'arrondissement et de commune; et certes cette manière d'agir, ce sacrifice d'une prérogative essentielle est fait pour donner une haute idée des principes du gouvernement.

» Les remplacemens, tels qu'ils avaient été permis par la loi du 17 ventose an 8, avaient des avantages; mais l'expérience a prouvé qu'ils offraient des inconvéniens nombreux et majeurs.

» La loi nouvelle, en fermant en quelque sorte les yeux sur les substitutions de gré à gré autorisées par les magistrats, a conservé ce que la loi ancienne avait de bon en énumérant d'une manière très précise les qualités nécessaires pour être admis au rang des conscrits, et en créant des fonctionnaires qui ont le devoir et l'intérêt de n'admettre parmi eux que des individus dignes et capables de l'être, elle a banni tout ce que l'ancien mode avait de vicieux.

» Les juris, les certificats des officiers de santé et leurs visites avaient multiplié d'une manière effrayante les faussaires, les myopes, les infirmes, et n'avaient cependant point éloigné de l'armée un grand nombre d'hommes incapables de lui être utiles. Il fallait remédier à ce triple mal. Le gouvernement a cru y parvenir en substituant à tout cet appareil, que l'expérience a montré inutile, la désignation faite par les conseils généraux de commune. Aura-t-il réussi ? Tout porte à le croire s'il s'était trompé, il faudrait non revenir à l'ancien mode, beaucoup trop vicieux, mais en chercher, en créer un

nouveau.

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Quoique la loi de l'an 8 eût eu de grands ménagemens pour les individus maltraités en même temps par la nature et la fortune, la loi nouvelle en a encore de beaucoup plus grands: elle devient, il est vrai, un peu plus exigeante pour les hommes que la fortune a bien traités; mais ce qu'elle exige d'eux est bien peu considérable si on le compare à ce qu'ils doivent, à ce qu'elle leur donne, et à l'emploi qu'elle fait de leur rétribution.

» Une autre innovation, qui vous frappera sans doute, c'est la réunion des couscrits du même département dans les mêmes corps: ainsi nos légions deviendront des espèces de familles ; dès lors les peines seront plus légères, les jouissances plus douces, les vertus guerrières plus éclatantes, et les vertus civiles plus nombreuses.

» En parcourant le tableau qui a été fait pour la répartition entre les départemens, vous remarquerez que le nom de tous nos départemens européens y est inscrit, et que ceux qui y paraissent pour la première fois y sont très ménagés. Vous

approuverez sans doute cette précaution: épuisés par les pertes que la révolution leur a fait éprouver, ils avaient droit à cette espèce de dégrèvement. Une répartition arithmétiquement exacte était impossible pour ces départemens; elle l'était de même pour quelques autres: aussi le gouvernement s'est-il plus astreint dans ces calculs à l'équité qu'à une justice rigoureuse.

» Dans un petit nombre d'années la population militaire étant mieux connue, et aucun département n'ayant plus besoin d'être dégrevé, les charges seront plus proportionnelles, et par conséquent plus légères pour le plus grand nombre.

» Le système d'une réserve établi, il fallait jeter dans la loi les grandes bases de son organisation; et c'est ce qu'on a fait en créant les officiers de recrutement, en faisant connaître d'où ils seront tirés, en disant quand et comment les conscrits de la réserve seront appelés, en indiquant les principales observances auxquelles ils seront astreints. De plus grands détails eussent sans doute été indignes de la majesté de la loi; mais elle devait descendre dans ceux qu'elle renferme, afin de montrer qu'elle considère les conscrits de la réserve plutôt comme des soldats désignés que comme des individus faisant déjà partie de l'armée.

» Telles sont, citoyens législateurs, les vues qui ont dirigé le gouvernement dans la confection de la loi qu'il soumet aujourd'hui à votre approbation. Elle l'obtiendra sans doute, puisqu'elle consacre l'une de nos plus importantes institutions, la conscription; elle l'obtiendra puisqu'elle crée une institution qui assure à la France ou une paix durable, ou des victoires si nous sommes jamais forcés de reprendre les armes; elle l'obtiendra, puisque toutes les dispositions nouvelles qu'elle contient et les modifications qu'elle fait subir aux lois antérieures sont toutes au profit de l'égalité et des principes libéraux que nous avons tous promis de conserver, et qu'il est de notre honneur et de notre intérêt de fortifier et de rendre durables. »

DISCOURS prononcé par Daru, orateur du Tribunat devant le Corps législatif. -Séance du 28 floréal

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an 10.

Citoyens législateurs, depuis dix ans les levées de troupes ont été commandées par les dangers de la patrie; aujourd'hui elles le sont par une sage prévoyance. Ce n'est plus pour repousser l'étranger loin de vos frontières, pour assurer votre indépendance, pour mériter la considération de vos ennemis que vous devez entretenir des armées; c'est pour conserver tous les biens que ces armées vous ont conquis.

» Mais plus les dangers sont éloignés, plus il est nécessaire de justifier, aux yeux d'un peuple qu'on respecte, la nécessité des sacrifices qu'on lui demande. Si la Charte constitutionnelle de l'Etat impose au législateur l'obligation de discuter publiquement les impôts pécuniaires, quelle ne doit pas être la solennité des délibérations sur les charges personnelles?

» J'ai pensé que cette considération servirait d'excuse aux développemens dans lesquels je crois devoir entrer en examinant le projet de loi qui vous est soumis, et qui a pour objet les mesures à prendre pour le recrutement de l'armée.

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>> C'est sans doute à l'époque où les lois ne sont plus que l'ouvrage de la sagesse et non celui des circonstances moment où un système régulier de recrutement va s'établir, qu'il importe d'examiner ce système.

» Mais ici l'expérience doit venir à l'appui des théories; et c'est d'après cette idée que je me permettrai de parcourir rapidement l'histoire de l'administration militaire, pour connaître l'effet qu'ont produit les diverses mesures que le législateur a successivement essayées.

Je diviserai ce travail en deux parties. Dans la première j'examinerai, dans ses motifs et dans ses résultats, le système du recrutement adopté sous la monarchie, pendant la durée de l'Assemblée constituante, et pendant la guerre de la liberté.

» Dans la seconde j'examinerai si la contribution personnelle est nécessaire, dans quelle proportion elle est répartie sur la masse de la population; si la loi qui vous est soumise est sagement conçue, si elle est juste, et je finirai par la comparaison du système de la contribution pécuniaire avec celui de la contribution personnelle.

» Ce serait méconnaître l'importance et la gravité d'un tel sujet que de chercher à répandre quelques ornemens sur cette discussion; l'intérêt que de si grandes questions inspirent suppléera, pour soutenir votre attention, à l'insuffisance de l'orateur qui entreprend de les approfondir.

Ire PARTIE. Système des milices établi dans presque toute l'Europe.

» L'expérience ayant appris à toutes les puissances à entretenir constamment une armée de réserve, le système des milices est admis dans presque toute l'Europe.

» En Russie les miliciens étaient destinés à la garde des frontières; mais depuis 1784 ils ont été fondus dans les troupes réglées, avec cette différence qu'ils n'y servent qu'un certain nombre de jours pendant la paix, et seulement pour s'exercer.

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