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à moins de trois mille hommes par an les pertes que cette désertion faisait éprouver à la population de la France (1).

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» Défendons-nous de toute exagération. Il ne faut pas s'interdire absolument les engagemens volontaires; il ne serait juste de ne voir dans ceux qui sont portés à les contracter que des hommes prêts à vendre leur vie à tous les partis ; il faut se rappeler qu'il y a toujours dans la masse d'une grande population des hommes dénués, par leurs habitudes, des moyens ordinaires d'existence, et dont l'existence serait même dangereuse si le législateur ne leur offrait un asile et un moyen de payer leur dette à l'Etat.

"C'est le chef-d'œuvre de la politique de transformer en citoyens utiles les oisifs à charge à la société.

» Mais ces hommes ont souvent altéré par des vices leur constitution physique; ils ne sont point endurcis aux travaux pénibles, accoutumés à la sobriété ; et s'il fallait démontrer à la raison qu'ils résistent moins aux fatigues que les habitans des campagnes, on en trouverait la preuve dans cette guerre terrible que nous venons de terminer.

» Autrefois la prévoyance de l'administration évaluait d'avance le nombre des malades au sixième de l'armée. Cette proportion se trouva juste en 1792, avant que nos troupes fussent recrutées en grande partie de paysans; mais après ce recrutement immense, auquel nos campagnes contribuèrent si puissamment, le nombre des malades ne fut plus, avec la force des troupes, que dans la proportion d'un quinzième ou d'un treizième (2), c'est à dire qu'on en vit la moitié moins.

(1) « Rapport de Bouthillier à l'Assemblée constituante, séance du 19 novembre 1789.

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(2) « Au mois de décembre 1792 la force de l'armée était de cent » soixante mille deux cent trente hommes; le nombre des malades » d'environ vingt-cinq mille hommes, c'est à dire un peu moins du » sixième. Au mois de vendémiaire an 3 la force était de un million » cent soixante-neuf mille cent quarante-quatre; le nombre des » malades de soixante-dix mille, c'est à dire moins d'un seizième.

» Au mois de vendémiaire an 4 la force était de sept cent cinquante» sept mille soixante-deux hommes; le nombre des malades était de » cinquante mille, par conséquent dans la proportion d'un quinzième. » Au mois de brumaire an 4 la force était de sept cent cinquante» huit mille deux cent vingt-neuf hommes; le nombre des malades de » quarante-huit mille sept cent soixante-quatre, ce qui revient à un » peu moins du quinzième, mais non compris les hôpitaux civils. » Actuellement (nivose an 5) la force est de cinq cent trente et un >> mille cinquante-six hommes, et le nombre des malades de quarante » et un mille sept, ou environ un treizième. » ( Premier compte rendu du ministre de la guerre Petiet.)

» Il faut cependant remarquer, pour bien apprécier ces faits, que

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» Il est done constant l'enrôlement volontaire ne remplit pas les deux conditions que nous avons exigées pour reconnaître un bon système de recrutement.

>> On a objecté que dans le système de la contribution personnelle il serait toujours indispensable d'admettre la faculté du remplacement, et qu'alors ce remplacement deviendrait pour les citoyens une charge plus onéreuse que la contribution pécuniaire si elle était générale.

» En effet, si le gouvernement était chargé de la levée à prix d'argent, il fixerait ce prix; il n'aurait point de concurrens; il pourrait prendre des mesures économiques pour les dépôts de recrues et leur conduite jusqu'aux drapeaux. Au contraire, si les citoyens appelés au service militaire payaient eux-mêmes le recrue destiné à les remplacer, la concurrence ferait hausser le prix des engagemens.

» L'artiste, le cultivateur ne pourraient atteindre le prix mis au remplacement par la mollesse du riche oisif, dont les affaires ne sont trop souvent que des plaisirs ; et il est évident que cette obligation deviendrait une charge bien plus onéreuse que l'impôt régulier que le législateur répartirait dans une sage proportion, et confierait au pouvoir exécutif, pour subvenir aux frais du recrutement.

" Mais remarquons ici que les auteurs de cette objection font une pétition de principe. Ils disent que le prix des hommes haussera, parce qu'ils supposent qu'on ne fera qu'acheter des recrues; mais c'est ce que l'Etat a grand intérêt d'empêcher. Dans nos mœurs actuelles il est indispensable d'admettre à certains égards la faculté du remplacement; mais le défaut de moyens pécuniaires, l'ardeur naturelle à la jeunesse empêcheront que l'usage en soit général. Nous verrons nos armées se recruter d'hommes robustes, ayant un domicile, une famille, des mœurs, et il ne nous restera plus qu'à former le vœu de voir se répandre dans toute la République cet esprit patriotique qui existait autrefois en Suisse et dans quelques unes de nos provinces, où un homme du peuple ne pouvait guère espérer d'obtenir la main d'une femme avant d'avoir servi l'Etat, et s'il n'avait un sabre à suspendre sur le chevet du lit nuptial.

»Ici des politiques méfians manifesteront peut-être d'autres craintes. Il ne faut pas répandre, diront-ils, cet esprit militaire; il est dangereux pour la liberté.

» Je ne répondrai pas, avec un orateur de l'Assemblée cons

par le mot armée on entend toutes les troupes, et que plus l'armée est considérable, plus la proportion des malades doit diminuer, parce qu'il y a beaucoup de corps qui ne font pas une guerre active. »

tituante (1), « que la conscription militaire favorise le despo>>tisme chez quelques peuples, parce qu'elle y est une loi du despote, mais qu'elle devient la sauvegarde de la liberté lors» qu'elle est ordonnée par la nation. »

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Je me permettrai de dire, en respectant l'opinion d'un homme qui a donné de grandes preuves de dévouement à la République, que la conscription fait nécessairement perdre de sa popularité à celui qui l'ordonne, et augmente inévitablement la force de celui à qui on confie le droit d'en disposer.

» Il serait illusoire de chercher à éviter ce double inconvé– nient; il dérive de la nature des choses.

Mais est-il vrai que la conscription, en propageant l'esprit militaire, soit dangereuse pour la liberté? Quoi ! dit-on, pour former des hommes libres vous les élevez dans les camps, où l'on ne contracte que l'habitude de l'obéissance, ou l'habitude plus dangereuse encore de l'autorité! vous voulez leur faire aimer la liberté, et vous commencez par leur en imposer le sacrifice!

» Oui; mais ce sacrifice est momentané, mais il est imposé à tous les citoyens; et si l'on consulte l'histoire, où trouverat-on des nations plus libres que ces nations guerrières dont tous les hommes étaient soldats? L'esprit militaire est dangereux lorsqu'il s'accoutume à regarder les hommes comme de vils instrumens de sa fortune, à enfreindre les lois, à dominer par la force; mais qui ne sent que ces moyens d'oppression doivent diminuer précisément chez le peuple où la profession militaire a été la profession de tous? Quelle arrogance pourraient se permettre des soldats devant ceux qui auraient été leurs chefs ou leurs modèles? Quelle résistance un oppresseur ne devrait-il pas attendre d'une nation accoutumée aux armes ? Quelle noble opinion les citoyens ne conçoivent-ils pas d'eux-mêmes lorsqu'ils ont concouru à la dé fense de l'Etat? Pour avoir un juste sentiment de ses droits il faut avoir rendu quelques services. Ce sera donner ce sentiment à tous les Français que de leur dire que l'état de défenseur de la patrie est une condition nécessaire de l'existence; alors se taira la vanité que donnent les services vulgaires. » Après avoir vu un soldat dans un citoyen, on s'accoutumera à demander quels sont ses autres droits à l'estime publique, et l'on n'imitera pas ces nations du nord chez lesquelles tous les états de la société sont gradués sur l'échelle des fonctions militaires. L'égalité des droits naîtra de celle des obligations, et une considération particulière sera promise aux vertus qui

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font chérir la paix, aux talens qui embellissent l'existence. » Ainsi le système de la contribution personnelle assure à l'armée une meilleure espèce d'hommes que ceux que procurent les enrôlemens volontaires : il diminue la désertion; il facilite l'accroissement rapide de la force publique; il donne aux hommes un sentiment plus profond de leurs droits; il augmente la force de la masse des citoyens; il est un garant de plus pour la liberté.

» En développant les résultats de la loi qu'on vous présente, l'orateur peut émouvoir votre sensibilité par le spectacle des familles affligées ; il peut vous demander pourquoi, après avoir signé la paix, vous entretenez des armées si formidables; comment vous ne craignez pas, en imposant de si grands sacrifices, de perdre la confiance du peuple souverain dont vous êtes les mandataires. L'Europe entière voudrait que vous écoutassiez ce langage.

» Le législateur s'élève à de plus hautes pensées : il ne se livre point imprudemment à la sécurité que peuvent inspirer des circonstances passagères; il évite de faire des lois pour un moment, il cherche à poser pour un long avenir les bases de l'édifice social; il veut améliorer le sort de ses contemporains, mais il n'oublie pas qu'il est responsable de la paix du monde; il sait faire le sacrifice de son amour-propre, de son repos, et il préfère aux acclamations qui suivent une popularité momentanée l'estime respectueuse que lui gardent les sages et la postérité.

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Le Tribunat nous charge de vous porter le voeu qu'il a émis pour l'adoption de la loi. ».

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Séance du

MOTIFS du projet de loi, exposés devant le Corps législatif par le conseiller d'état Roederer. 25 floréal an 10(15 mai 1802).

« Législateurs, la Légion d'Honneur qui vous est proposée doit être une institution auxiliaire de toutes nos lois républicaines, et servir à l'affermissement de la révolution.

» Elle paie au service militaire comme au service civil le prix du courage qu'ils ont tous mérité, elle les confond dans la même gloire, comme la nation les confond dans sa reconnaissance.

Elle unit par une distinction commune des hommes deja unis par d'honorables souvenirs; 'elle convie à de douces affections des hommes qu'une estime réciproque disposait à s'aimer.

» Elle met sous l'abri de leur considération et de leur serment nos lois conservatrices de l'égalité, de la liberté, de la propriété.

Elle efface les distinctions nobiliaires qui plaçaient la gloire héritée avant la gloire acquise, et les descendans des grands. hommes avant les grands hommes.

» C'est une institution morale qui ajoute de la force et de l'activité à ce ressort de l'honneur qui meut si puissamment la nation française.

>> C'est une institution politique qui place dans la société des intermédiaires par lesquels les actes du pouvoir sont traduits à l'opinion avec fidélité et bienveillance, et par lesquels l'opinion peut remonter jusqu'au pouvoir.

» C'est une institution militaire qui attirera dans nos armées cette portion de la jeunesse française qu'il faudrait peut-être disputer sans elle à la mollesse compagne de la grande aisance. »Enfin c'est la création d'une nouvelle monnaie, d'une bien autre valeur que celle qui sort du trésor public; d'une mon-naie dont le titre est inaltérable, et dont la mine ne peut être épuisée puisqu'elle réside dans l'honneur français; d'une monnaie enfin qui peut seule être la récompense des actions regardées comme supérieures à toutes les récompenses.

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OPINION de Savoye - Rollin, tribun. Séance du 28 floréal an 10.

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"

Citoyens Tribuns, depuis que le Tribunat existe il n'a point reçu de loi plus importante que celle qu'on lui propose. Eu me déterminant à la combattre je n'ai consulté ni mes forces, ni la brièveté du temps laissé à la discussion; je viens remplir un rigoureux devoir : vous m'écouterez avec indulgence; vous ne la refuserez point à un travail nécessairement précipité : vous m'écouterez avec attention, car il s'agit de l'examen d'une loi qui attaque dans ses fondemens la liberté publique.

>>

Quel est le but qu'énonce la loi proposée? C'est de décerner des récompenses aux militaires et aux fonctionnaires publics. qui auront rendu de grands services à la République. Quel est le moyen qu'elle emploie? C'est d'organiser une Légion d'Honneur qui sera composée de six mille légionnaires à vie, et qui recevra dans son sein successivement, et à mesure des vacances, tous ceux qui ont mérité des distinctions militaires et civiles.

» Ce moyen est si visiblement étranger au but que la loi assigne, il est si palpable qu'il n'est pas nécessaire de créer un corps privilégié pour récompenser les défenseurs d'une république, qu'il a bien fallu chercher à revêtir ce corps de fone

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