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ici on ne dote que la Légion, et les individus n'ont droit qu'à une part déterminée dans les fruits. Législateurs, une loi qui est votre ouvrage assure soixante millions de biens nationaux aux invalides; d'après l'objection, vous auriez donc voté là une institution féodale! Le Sénat est doté en domaines nationaux; ce serait donc aussi une institution féodale qu'aurait votée le peuple français en votant la Constitution?

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On a o osé à l'institution de la Légion d'Honneur l'exemple des Etats-Unis d'Amérique, où l'ordre de Cincinnatus fut aboli peu après sa formation; mais une connaissance plus approfondie de cette institution aurait empêché de la confondre avec la Légion.

» L'ordre de Cincinnatus s'était formé spontanément, Légion est formée par la loi.

L'ordre de Cincinnatus s'était organisé indépendant, et la Légion a pour chef le premier consul.

L'ordre de Cincinnatus avait son congrès, lequel avait dans chaque état des affiliés, qui par ce moyen se trouvaient liés à une sorte d'autorité étrangère à chaque état : la Légion est toute sous la dépendance d'une même autorité.

» L'ordre de Cincinnatus était héréditre : le titre de légionnaire est personnel et à vie.

»Enfin l'ordre de Cincinnatus, purement militaire, n'admettait les fonctionnaires civils qu'en très petit nombre, et ne leur communiquait pas l'hérédité, qui était réservée aux militaires: la Légion admet pour tous les genres de service, dans des proportions indéterminées, et elle admet à un rang égal, à un titre égal.

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Enfin, en Amérique le pouvoir a besoin de peu d'énergie parce qu'il commande à peu d'hommes, dispersés sur un vaste territoire ; et en France le gouvernement républicain a besoin d'appui.

Je reviens donc à la question.

» Non seulement la Légion d'Honneur ne blesse point l'égalité, non seulement elle ne présente aucune raison qui puisse faire craindre qu'elle ne la blesse à la suite, et que la distinction qu'elle conférera ne devienne héréditaire et privilégiée; mais je vais bien plus loin, et je dis qu'elle est un obstacle éternel à toute distinction de ce genre.

» D'abord on ne conteste pas qu'elle n'efface les anciennes distinctions nobiliaires dont il subsiste encore des souvenirs en France; c'est un mérite que la critique n'a pas daigné lui reconnaître, mais qu'elle oserait encore moins nier: la Légion d'Honneur recule loin de la pensée les souvenirs du patriciat; elle lui ferme pour ainsi dire le passage qui conduit du passé

dans l'avenir. Ainsi d'abord elle débarrasse les générations qui vont suivre d'un danger qui sans elle aurait pu se reproduire; l'institution est donc un obstacle à l'ancien patriciat.

» Mais elle est aussi un obstacle à l'institution d'une noblesse nouvelle : elle l'est par les circonstances de sa création; elle l'est par le serment qu'elle impose. Fondée sur les victoires remportées par les armées de l'égalité, son origine, son existence seront une protestation toujours subsistante et toujours forte contre les inégalités héréditaires; consacrée par un serment à l'égalité, elle ne pourra admettre d'inégalités héréditaires qu'en rendant parjures tous ses membres. Ah! s'il pouvait arriver que des descendans de quelques héros de la guerre de la liberté osassent opposer les services de leurs pères aux citoyens qui voudraient en rendre à la suite, qu'ils voulussent marcher les égaux de ceux qui en auraient rendu de signalés, partager avec eux par droit d'héritage des honneurs digne prix de la vaillance; s'il pouvait arriver que les descendans des guerriers de la liberté osassent dire à la suite, comme l'ont fait les nobles de l'ancien régime : nous seuls nous pouvons posséder les places éminentes; nous seuls nous pouvons entrer au service militaire par le grade d'officier; le reste est né pour obéir...; si jamais pouvaient renaître de telles prétentions, le titre de la Légion d'Honneur, le serment de ses membres serait là pour les accuser et les proscrire! Votre loi, législateurs, votre loi, dépositaire du vou des fondateurs et des premiers légionnaires, étincellerait à l'instant de leur colère, et de l'arche où elle serait déposée sortiraient ces mots:

» Enfans rebelles ! lorsque nous avons opposé nos actions à ceux qui n'avaient pour eux que des actions de leurs pères, était-ce pour que votre orgueilleuse inutilité opposât nos services aux dignes citoyens qui auraient la noble émulation de nous égaler ? Quand nous avons renversé les priviléges, étaitce pour vous donner des priviléges? Notre gloire, au lieu d'autoriser vos prétentions, avertit tous ceux qui seront dignes de nous imiter de frapper vos têtes coupables! Le prix que nous avons reçu de nos services attend ceux qui auront fait justice de votre insolence!

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Voilà, si je ne me trompe, légistateurs, ce que votre loi et le serment qu'elle consacrera répéteront éternellement et fortement à ceux qui voudraient s'écarter de nos principes; voilà ce que prononcera la bouche de chaque citoyen qui, en entrant dans la Légion, prêtera le serment de s'opposer à toute entreprise tendant au rétablissement du régime féodal, et de concourir de tout son pouvoir au maintien de la liberté et de l'égalité. Est-il possible d'opposer une plus forte

barrière au retour des priviléges héréditaires? Et quelle institution peut être plus conservatrice de l'égalité, que celle qui appelle chaque année cent, deux cents des plus honorables citoyens à jurer solennellement sur leur honneur le maintien de l'égalité, en entrant dans une Légion née des victoires de l'égalité sur les priviléges! Quelle institution plus conservatrice de l'égalité que celle qui appelle les hommes éminens par des services personnels à se liguer contre l'orgueil des origines!

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Législateurs, vous le savez, l'égalité a ses héros comme elle a ses victimes; sans doute elle tient d'une main le niveau auquel elle soumet les droits de tous; mais qui l'empêche d'offrir de l'autre le dédommagement ou la récompense due à quelques uns? Elle veut tout tenir à la même hauteur devant la loi, mais elle ne dédaigne pas d'attacher ceux à qui cet assujettissement peut paraître pénible : elle comprime l'orgueil, mais elle se plaît à satisfaire l'honneur ; l'honneur, cette passion des Français, est le sentiment auquel l'égalité elle-même vous presse, citoyens législateurs, d'attacher le lien qui doit unir les citoyens à la patrie, et entretenir ensemble dans leur âme cette émulation vive qui mène aux grandes choses, et cette fraternité qui préserve de l'orgueil dans les succès, ou de l'envie dans les défaites. »

LOI. (Adoptée le 29 floréal an 10-19 mai 1802.) TITRE I. Création et organisation.

Art 1er. En exécution de l'article 87 de la Constitution, concernant les récompenses militaires, et pour récompenser aussi les services et les vertus civiles, il sera formé une Légion d'Honneur.

2. Cette Légion sera composée d'un grand conseil d'administration, et de quinze cohortes, dont chacune aura son cheflieu particulier.

3. Il sera affecté à chaque cohorte des biens nationaux por tant deux cent mille francs de rente.

4. Le grand conseil d'administration sera composé de sept grands officiers; savoir : des trois consuls, et de quatre autres membres, dont un sera nommé entre les sénateurs par le Sénat, un autre entre les membres du Corps législatif par le Corps législatif, un autre entre les membres du Tribunat par le Tribunat, et un enfin entre les conseillers d'état par le Conseil d'état. Les membres du grand conseil d'administration conserveront pendant leur vie le titre de grand officier, lors même qu'ils seraient remplacés par l'effet de nouvelles élections.

5. Le premier consul est de droit chef de la Légion, et président du grand conseil d'administration.

6. Chaque cohorte sera composée de sept grands officiers, de vingt commandans, de trente officiers, et de trois cent cinquante légionnaires.

Les membres de la Légion sont à vie.

7. Il sera affecté à chaque grand officier.. A chaque commandant.

A chaque officier.

Et à chaque légionnaire

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5,000 fr.

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2,000

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Ces traitemens sont pris sur les biens affectés à chaque cohorte.

8. Chaque individu admis dans la Légion jurera, sur son honneur, de se dévouer au service de la République, à la conservation de son territoire dans son intégrité, à la défense de son gouvernement, de ses lois, et des propriétés qu'elles ont consacrées; de combattre, par tous les moyens que la justice, la raison et les lois autorisent, toute entreprise tendant à rétablir le régime féodal, à reproduire les titres et qualités qui en étaient l'attribut; enfin de concourir de tout son pouvoir au maintien de la liberté et de l'égalité.

9. Il sera établi dans chaque chef-lieu de cohorte un hospice et des logemens pour recueillir soit les membres de la Légion que leur vieillesse, leurs infirmités ou leurs blessures auraient mis dans l'impossibilité de servir l'Etat, soit les militaires qui, après avoir été blessés dans la guerre de la liberté, se trouve'raient dans le besoin.

TITRE II. Composition.

Art. 1. Sont membres de la Légion tous les militaires qui ont reçu des armes d'honneur.

Pourront y être nommés les militaires qui ont rendu des services majeurs à l'Etat dans la guerre de la liberté ;

Les citoyens qui par leur savoir, leurs talens, leurs vertus ont contribué à établir ou à défendre les principes de la République, ont fait aimer et respecter la justice, ou l'administration publique.

2. Le grand conseil d'administration nommera les membres de la Légion.

3. Durant les dix années de paix qui pourront suivre la première formation, les places qui viendront à vaquer demeureront vacantes jusqu'à concurrence du dixième de la Légion, et par la suite jusqu'à concurrence du cinquième. Ces places ne seront remplies qu'à la fin de la première campagne.

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4. En

temps de guerre il ne sera nommé aux places vacantes qu'à la fin de chaque campagne.

5. En temps de guerre les actions d'éclat feront titre pour tous les grades.

6. En temps de paix il faudra avoir vingt-cinq années de service militaire pour pouvoir être nommé membre de la Légion; les années de service en temps de guerre compteront double, et chaque campagne de la guerre dernière comptera pour quatre années.

7. Les grands services rendus à l'Etat dans les fonctions législatives, la diplomatie, l'administration, la justice ou les sciences, seront aussi des titres d'admission, pourvu que la personne qui les aura rendus ait fait partie de la garde nationale du lieu de son domicile.

8. La première organisation faite, nul ne sera admis dans la Légion qu'il n'ait exercé pendant vingt-cinq ans ses fonctions avec la distinction requise.

9. La première organisation faite, nul ne pourra parvenir à un grade supérieur qu'après avoir passé par le plus simple grade.

10. Les détails de l'organisation seront déterminés par des réglemens d'administration publique; elle devra être faite au 1er vendémiaire an 12, et, passé ce temps, il ne pourra y rien changé que par des lois.

V.

DU TRAITÉ D'AMIENS

ET

DU CONSULAT A VIE.

être

Communication faite au Corps législatif et au Tribunat. MESSAGE des consuls de la République (1). Séance du 16 floréal an 10 (6 mai 1802).

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Citoyens législateurs, le gouvernement vous adresse le traité qui met un terme aux dernières dissensions de l'Europe, et achève le grand ouvrage de la paix.

» La République avait combattu pour son indépendance: son indépendance est reconnue; l'aveu de toutes les puissances consacre les droits qu'elle tenait de la nature et les limites qu'elle devait à ses victoires.

» Une autre République est venue se former au milieu

(1) Lu au Corps législatif par Berlier, et au Tribunat par Régnier.

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