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et supposé des discussions importantes qui divisaient les deux gouvernemens, tandis qu'aucune discussion pareille n'était connue du gouvernement français.

» Aussitôt des armemens formidables s'opèrent sur les côtes et dans les ports de la Grande-Bretagne; la mer est couverte de vaisseaux de guerre ; et c'est au milieu de cet appareil que le cabinet de Londres demande à la France l'abrogation d'un article fondamental du traité d'Amiens.

» Il voulait, disait-il, des garanties nouvelles ; et il méconnaissait la sainteté des traités, dont l'exécution est la première des garanties que puissent se donner les nations.

» En vain la France a invoqué la foi jurée; en vain elle a rappelé les formes reçues parmi les nations; en vain elle a consenti à fermer les yeux sur l'inexécution actuelle de l'article du traité d'Amiens dont l'Angleterre prétendait s'affranchir; en vain elle a voulu remettre à prendre un parti définitif jusqu'au moment où l'Espagne et la Batavie, toutes deux parties contractantes, auraient manifesté leur volonté; vainement enfin elle a proposé de réclamer la médiation des puissances qui avaient été appelées à garantir et qui ont garanti en effet la stipulation dont l'abrogation était demandée. Toutes les propositions ont été repoussées, et les demandes de l'Angleterre sont devenues plus impérieuses et plus absolues.

» Il n'était pas dans les principes du gouvernement de fléchir sous la menace; il n'était pas en son pouvoir de courber la majesté du peuple français sous des lois qu'on lui prescrivait avec des formes si hautaines et si nouvelles. S'il l'eût fait, il aurait consacré pour l'Angleterre le droit d'annuller par sa seule volonté toutes les stipulations qui l'obligent envers la France; il l'eût autorisée à exiger de la France des garanties nouvelles à la moindre alarme qu'il lui aurait plu de se forger; et de là deux nouveaux principes qui se seraient placés dans le droit public de la Grande-Bretagne à côté de celui par lequel elle a déshérité les autres nations de la souveraineté commune des mers, et soumis à ses lois et à ses réglemens l'indépendance de leur pavillon.

» Le gouvernement s'est arrêté à la ligne que lui ont tracée ses principes et ses devoirs. Les négociations sont interrompues; et nous sommes prêts à combattre si nous sommes attaqués.

» Du moins nous combattrons pour maintenir la foi des traités et pour l'honneur du nom français.

>> Si nous avions cédé à une vaine terreur, il eût fallu bientôt combattre pour répousser des prétentions nouvelles; mais nous aurions combattu déshonorés par une première faiblesse,

XVIII.

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déchus à nos propres yeux, et avilis aux yeux d'un ennemi qui nous aurait une fois fait ployer sous ses injustes prétentions.

» La nation se reposera dans le sentiment de ses forces. Quelles que soient les blessures que l'ennemi pourra nous faire dans des lieux où nous n'aurons pu ni le prévenir ni l'atteindre, le résultat de cette lutte sera tel que nous avons droit de l'attendre de la justice de notre cause et du courage de nos guer

riers.

» Le premier consul, signé BONAPARTE. »

RAPPORT sur les pièces relatives au traité d'Amiens et à sa rupture; fait au Tribunat par Daru, organe d'une commission spéciale. -Séance du 3 prairial

an 11.

<< Tribuns, lorsque vous avez entendu un cri de guerre retentir dans l'Europe vous avez regardé autour de vous : vous avez vu l'Europe pacifiée, le Nord tranquille, l'Empire d'accord sur son organisation, l'Autriche en possession de ses nouveaux états, la Suisse reprenant son ancien gouvernement et sa liberté, le saint Siége relevé, le royaume de Naples évacué par nos troupes, la maison d'Espagne assise sur les trois trônes que les traités lui ont assurés, les républiques d'Italie organisées, l'Angleterre établie dans ses conquêtes; et, jetant ensuite les yeux sur vos alliés, vous avez dû croire qu'eux seuls avaient à se plaindre. La république Batave attendait encore la restitution du cap de Bonne-Espérance; l'empire Ottoman celle de l'Egypte; vous-mêmes celle de Malte à l'ordre qui en est le souverain; et cependant ce n'était ni de la Hollande, ni de la Turquie, ni de la France que s'élevait ce cri de guerre; c'était de chez ce peuple qui seul donnait un juste sujet de plainte en retenant encore ces importantes possessions.

» Vous avez su qu'il y avait une négociation ouverte, quoiqu'il ne parût pas qu'il y eût de nouveaux intérêts à discuter; et vous venez d'apprendre que le seul résultat de cette négociation est une provocation offensante de la part de la puissance qui a différé l'exécution des traités, et qui s'y refuse aujourd'hui formellement.

» Vous avez sous les yeux les pièces originales d'une si importante négociation; et quoique le délai de quelques heures soit insuffisant à un orateur pour en développer toutes les conséquences, il ne l'est pas pour que vous ayez déjà médité les grands intérêts dont je viens vous entretenir.

» Je vais vous présenter l'analise de la négociation, l'exposé

des griefs de l'Angleterre et de la France, l'examen des conditions proposées, et les résultats probables de la guerre par rapport aux deux états.

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Lorsque la nation française, réunie pour la première fois en assemblée vraiment représentative, entreprit l'examen de son ancienne charte constitutionnelle, et ressaisit les droits imprescriptibles qui appartiennent à tous les peuples civilisés, on commença à concevoir quelques craintes sur les dispositions du cabinet anglais. Son ambassadeur, témoin oculaire de ces grands événemens, s'empressa d'assurer l'Assemblée nationale « du désir ardent que le ministère anglais avait d'en» tretenir (1) l'amitié, l'harmonie qui subsistaient entre les » deux nations. »

>> Pour ôter aux étrangers tout prétexte de prendre part à nos discussions intérieures, les représentans du peuple proclamèrent l'amour de la nation pour la paix, sa renonciation à tout projet de conquête, son respect pour l'indépendance de tous les gouvernemens.

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Quels projets d'agression aurait-on pu supposer à un peuple qui luttait avec effort contre son gouvernement, contre deux classes privilégiées, contre tant de préjugés ou d'habitudes; à un peuple divisé en plusieurs partis, agité dans ses villes, dans ses cainpagnes mêmes, épuisé dans ses finances, et égaré jusqu'à abolir précipitamment des impôts déjà insuffisans quoique odieux; à un peuple enfin dont les armées n'avaient jamais été si faibles, et qui les voyait commandées par des chefs ennemis de sa révolution?

» Un politique ordinaire pouvait dès lors prédire au peuple français vous allez avoir toute l'Europe à combattre; une guerre civile dévastera le tiers de la France; un grand nombre de vos citoyens ira se joindre à vos ennemis; vos flottes, vos places fortes, vos colonies seront livrées par la trahison; les factions vont vous déchirer; le sang coulera au dedans comme au dehors, et la famine atteindra ceux qu'épargnera la hache ou l'épée.

» Mais où est le génie qui eût osé ajouter: Français, ne désespérez point de votre indépendance; que les citoyens restent fermes à leur poste; qu'un million de soldats se précipite vres les frontières : il est de grands hommes dans ces rangs obscurs! La constance des gens de bien triomphera du désordre et des factions; ils resteront inébranlables à l'aspect des têtes sanglantes, comme vos soldats devant les bataillons ennemis;

(1) Lettres de M. le duc de Dorset, ambassadeur d'Angleterre, des 26 juillet et 3 août 1789.

les meilleures troupes, les plus fameux généraux de l'Europe fuiront devant vous; la gloire de la nation effacera, adoucira ses malheurs ; vous vous élancerez au delà de toutes vos frontières; vous porterez vos armes en Afrique et en Asie; un homme paraîtra qui viendra terminer tout ce qui restait indécis, calmera les factions, éteindra jusqu'aux haines; l'Europe vous respectera; les rois deviendront vos amis, et les peuples se presseront autour du faisceau de la République...

» Si quelqu'un eût osé tenir ce langage, on l'aurait traité d'insensé; je n'ai fait cependant que vous raconter votre histoire ce qu'il n'était pas permis au génie de prévoir, le peuple français l'a accompli'; mais il ne pouvait pas le prévoir lui-même.

:

» Ses ennemis étaient si loin de croire à la probabilité de tels prodiges, qu'ils l'accusèrent de méditer une agression, parce qu'eux-mêmes la désiraient s'ils eussent pu le croire en état de faire la guerre, ils ne lui en auraient pas supposé l'intention. Mais ils furent trompés par leur haine ; ils le furent par les rapports de tous ces transfuges qui leur exagéraient les désordres intérieurs de la France et la puissance d'un parti tout prêt à favoriser les entreprises de l'étranger.

L'étranger viola notre territoire, et son agression fut le signal de ce noble enthousiasme qu'on n'avait pu prévoir. Nos ennemis s'aperçurent que les calculs des passions sont toujours faux les Français comprirent qu'il est toujours aussi imprudent que honteux d'appeler les étrangers dans des dissensions intérieures.

» Nous les vîmes se diviser tandis que nous nous réunissions; conquérir sans savoir ce qu'ils devaient faire de leurs conquêtes; protéger la famille royale, et ne pas lui permettre d'approcher de ces états que l'on envahissait en son nom; fomenter la révolte, et ne fournir aux révoltés que des armes pour nuire, et non pas des secours pour réussir; faciliter à des Français égarés une invasion dans leur patrie, et les abandonner dans leur défaite.

» Nous les vîmes tour à tour exiger que la France rappelat son ancienne dynastie, et reconnaître aux Français le droit de se choisir un gouvernement; refuser de traiter avec ce gouvernement sous le prétexte de son instabilité, et employer jusqu'au crime pour le détruire; réclamer le droit des gens, et outrager les ambassadeurs; enlever des représentans du peuple, des ministres, des généraux, que la trahison leur avait livrés; ouvrir des négociations pour la paix, et faire ou laisser assassiner les négociateurs; nous commander la restitution de nos conquêtes, et nous en proposer le partage.

» La République vit successivement diminuer le nombre de ses ennemis, et s'éteindre les passions qu'une lutte si violente, si imprévue, avait allumées. Les désastres d'une campagne malheureuse achevèrent de faire sentir aux Français le besoin de la réunion de tous les partis, et la nécessité de confier les rênes du gouvernement à un homme digne de ces grandes circonstances: la gloire le nommait, et la voix du peuple français est toujours d'accord avec la gloire.

Des " que le nouveau chef de la nation fut installé dans sa magistrature, sa première pensée fut de mettre un terme à sa gloire militaire, et d'en chercher une autre en rendant à sa patrie la paix, les lois, le commerce et les arts.

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Ici commence cette négociation de trois années (dont toutes les pièces originales sont sous vos yeux, et dont je me contenterai de faire une analise rapide pour rappeler seulement à votre mémoire ce que chacun de vous a déjà profondément médité.

Analise de la négociation entre la République française et l'Angleterre depuis le 5 nivose an 8.

>> Le chef de la République pouvait à bon droit soupçonner les ministres du cabinet britannique de ne pas désirer la cessation d'une guerre que leurs prodigalités et leurs intrigues prolongeaient depuis huit ans ; il pensa qu'il diminuerait leur fatale influence en s'adressant au monarque, et il écrivit directement au roi d'Angleterre, le 5 nivose an 8, pour lui proposer l'ouverture d'une négociation afin de ramener cette paix le premier des besoins, la première des gloires. (1)

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» D'abord ce système de communications directes entre les chefs des deux états fut rejeté; le ministère anglais voulut s'en réserver la correspondance, et il répondit « qu'on ne pouvait espérer la cessation des causes qui avaient néces»sité la guerre en négociant avec ceux qu'une révolution » nouvelle avait si récemment investis du pouvoir en France; » que c'était à une résistance déterminée qu'on devait la con»servation de l'ordre social en Europe; qu'il fallait, pour espérer quelque avantage réel d'une négociation, que les causes de la guerre eussent disparu, que la résistance ces» sât d'être une nécessité, qu'on vit régner en France de meil» leurs principés; et que le garant le plus naturel et en même temps le meilleur de ce changement se trouverait dans le

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(1) Voyez dans le tome xvu la lettre du premier consul au roi d'Angleterre, et la réponse du lord Grenville.

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