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cessité d'établir pour les punir des formes plus rapides qui puissent atteindre avec plus de célérité les coupables, rassurer plus tôt le reste des citoyens, et prévenir de nouveaux attentats.

» Les jurés, dans les délits ordinaires, peuvent remplir le vœu de la loi ; ces délits sont simples, à la portée de tout le monde, et l'esprit de parti y est ordinairement étranger. Il n'en est pas de même d'un complot, d'une trahison, d'un attentat politique: ces crimes sont toujours complexes; ils se composent d'une infinité d'élémens qu'il faut savoir réunir; ils tiennent à une multitude de circonstances et de nuances qu'il faut savoir apprécier, et que des hommes simples et étrangers aux affaires pourront fort bien ne pas saisir.

>> Dans certaines affaires d'éclat, où se trouvent compliqués des coupables puissans, il faut, pour se défendre ou de la crainte ou de l'indignation, une certaine fermeté, un certain courage dont tous les hommes ne sont pas susceptibles. Que sera-ce si on a à redouter l'esprit de prévention ou de parti? A la fin d'une révolution où tant d'intérêts divers ont été en opposition, où les partis tour à tour ont prévalu, où le pouvoir, qui a passé successivement de main en main, a créé d'autant plus d'amis ou d'ennemis que ce pouvoir était plus étendu, t-on pas à craindre des affections ou des haines cachées, des sollicitations, des brigues, auxquelles les jurés auraient bien de la peine à résister?

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» On ne peut se dissimuler que les prévenus actuels n'aient des affidés sur plusieurs points de la France.

» S'il est de leur intérêt de ne pas trouver d'ennemis cachés parmi ceux qui doivent prononcer sur leur sort, doit-on risquer de leur donner pour jurés des complices secrets?

L'or de l'Angleterre ne suffirait-il pas seul pour faire pencher la balance? Se persuadera-t-on que dans des trames ourdies par ce cabinet perfide il oubliera ceux qui se sont dévoués pour lui? L'or sera prodigué à pleines mains, et, lorsqu'il s'agira de sauver ou de perdre, suivant les intérêts de ce gouvernement, tous les moyens de séduction seront employés. La composition actuelle du juri ordinaire et spécial n'est pas faite pour rassurer; le sort y prédomine, et place souvent parmi les jurés des hommes dénués de fortune, et qui ne présentent aucune garantie contre l'appât de l'or.

» Dira-t-on qu'une partie de ces inconvéniens peut se retrouver parmi les juges qui composeront les tribunaux que nous voulons substituer aux jurés? La différence est sensible; ces juges ont pour garant de leur impartialité leur réputation, leur moralité, la permanence de leurs fonctions de juges, et l'œil du public, qui ne les perd jamais de vue. Sans doute il

en est dont la fortune est médiocre, mais ils en tirent gloire ; i's préfèrent cette médiocrité honorable et l'estime publique à une opulence qui les envirounerait de soupçons: le juré, au contraire, homme privé, presque toujours inconnu à ses collègues, comptable de son suffrage à personne, ne remplit qu'une fonction passagère, disparaît ensuite, et se perd dans la foule pour ne plus reparaître.

» Encore une fois, confier le jugement de crimes politiques à des jurés, surtout dans le temps de troubles ou après des divisions intestines, c'est ranimer, nourrir, perpétuer l'esprit de parti; c'est compromettre la justice, le salut même des prévenus; vérité reconnue par tous ceux qui ont approfondi l'institution du juri. Les prévenus de la conspiration actuelle pourraient d'autant moins s'élever contre cette théorie générale, que si on les prend isolément, et que l'on considère les faits qui leur sont imputés, ou reconnaîtra que les lois qui leur sont applicables sont elles-mêmes déjà exclusives du juri.

» L'article 1er de la loi du 4 fructidor an 5 ordonne de traduire devant un conseil de guerre tout général prévenu d'un délit spécifié au code pénal militaire.

» L'article 1er du titre 3 du Code pénal militaire, du 21 brumaire an 5, place parmi les crimes capitaux la trahison dont se serait rendu coupable tout militaire ou autre individu attaché à l'armée.

» Le paragraphe 6 de l'article 2 du même titre ajoute: "Tout militaire, ou autre individu attaché à l'armée et à sa » suite, qui entretiendrait une correspondance dans l'armée » ennemie sans la permission par écrit de son supérieur, sera réputé coupable de trahison. »

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>> Tout militaire en activité de service, prévenu de trahison dans la conspiration actuelle, devrait donc nécessairement être traduit devant les conseils de guerre, dont le mode d'instruction, comme on le sait, est exclusif du juri.

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» La loi du 1er vendémiaire an 4 porte, article * : « Les rebelles, ceux connus sous le nom de chouans ou sous toute » autre dénomination, et tous ceux désignés par l'article 3 » de la loi du 30 prairial, et dont le jugement était attribué » par cette loi aux tribunaux militaires, seront jugés par les » conseils militaires. »

>> Parmi les prévenus se trouvent beaucoup de chouans qui ont violé la pacification; d'après cette loi ils devraient être jugés par un conseil militaire, et soumis par conséquent à une instruction particulière à ces sortes de tribunaux, qui excluent également l'adjonction des jurés.

» Enfin la loi du 18 pluviose an 9, qui établit les tribunaux spéciaux, leur attribue la connaissance des crimes et délits emportant peine afflictive ou infamante, commis par des vagabonds et gens sans aveu. La plupart de ceux débarqués par l'Angleterre sur nos côtes méritent-ils un autre nom?

>> Ces tribunaux connaissent, concurremment avec les tribunaux ordinaires, des assassinats prémédités, et, exclusivement à tous autres juges, des assassinats preparés par des attroupemens armés, du crime d'embauchage, et de machinations pratiquées hors l'armée, et par des individus non militaires, pour corrompre ou suborner les gens de guerre, les réquisitionnaires et conscrits.

» Cette loi atteindrait encore une multitude d'individus, tous tenant à la conspiration générale; il faudrait donc les renvoyer devant les tribunaux spéciaux formés par cette loi, tribunaux composés en partie de juges, en partie de militaires, en partie d'hommes de loi, pour y être jugés sans jurés et sans

recours en cassation.

» Ainsi les différens tribunaux auxquels les divers prévenus, pris isolément, devraient être renvoyés, procèdent tous sans le concours des jurés.

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Mais, on le demande, est-il possible de morceler ainsi l'instruction et la poursuite d'un seul et même attentat qui se reproduit sous différentes faces, et où tous les faits particuliers ne sont que les élémens et les moyens d'un seul et même tout? Ne serait-ce pas évidemment s'exposer à perdre la trace du crime, et toutes les preuves individuelles qui se prêtent un mutuel secours?

» N'est-ce pas un principe que l'instruction est indivisible? On ne peut donc pas renvoyer les uns devant des conseils de guerre, les autres devant des commissions militaires, d'autres enfin devant les tribunaux spéciaux ; il fallait donc une mesure générale qui centralisât l'instruction autant qu'il serait posşible: c'est encore un avantage qu'offre le sénatus-consulte par les tribunaux qu'il propose.

» En effet, les tribunaux spéciaux et les conseils de guerre n'étant pas soumis les uns au tribunal de cassation, les autres à un conseil de révision unique, forment des tribunaux absolument indépendans, qui, n'ayant aucune communication les uns avec les autres, pourraient sur un même complot varier et donner des jugemens absolument contradictoires, tantôt déclarer la conspiration existante, et tantôt la méconnaître.

>> En soumettant au contraire à une seule et même nature de tribunaux qui a un mode d'instruction uniforme les crimes dont il s'agit, avec recours au tribunal de cassation, ces tri

bunaux, quoique indépendans entre eux, aboutissent à un centre commun, le tribunal de cassation, qui, tenant alors les fils du vaste complot, peut le distinguer et le reconnaître dans ses

diverses ramifications: il n'est pas nécessaire pour cela que le

tribunal de cassation se rende juge du fond des affaires; il suffit que tous les tribunaux dont il s'agit aboutissent à lui dans les rapports qui lui sont propres.

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Ainsi, le recours en cassation proposé par le sénatusconsulte non seulement donne aux accusés un moyen de plus d'obtenir justice, mais promet autant qu'il est possible au gouvernement un point central où il peut retrouver tous les membres épars d'une conspiration.

» Ces réflexions, sans doute, vous ont fait sentir de plus en plus la nécessité et la sagesse du sénatus-consulte qui vous est proposé vous avez reconnu le danger d'employer le ministère des jurés dans les affaires politiques, surtout dans des temps de trouble, et pour des complots qui peuvent mettre en jeu toutes les passics, et où la séduction peut employer toutes ses ressources; vous avez vu que le salut des prévenus, autant que l'intérêt de la justice, demandait alors l'absence des jurés; vous avez reconnu aussi l'impossibilité de saisir tout à la fois les conseils de guerre, les conseils militaires, les tribunaux spéciaux des différens faits de la conspiration. Il en résulte évidemment la nécessité d'une classe unique de tribunaux tels les offre le sénatus-consulte; tribunaux qui, bien loin de faire perdre aux prévenus aucun de leurs droits, puisque ceux qui les auraient jugés les auraient jugés sans jurés, leur procurent au contraire de nouveaux avantages, en leur donnant les juges ordinaires, des juges qui ne sont point choisis pour l'affaire, indépendans, inamovibles; une instruction plus étendue, des formes plus favorables, et enfin le recours en cassation.

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» La mesure que propose le sénatus-consulte est donc celle qui convient le mieux dans les circonstances présentes; et si le Sénat en a reconnu déjà la nécessité pour une partie de la République, lors du sénatus-consulte du 21 vendémiaire an 11, l'affreux complot dirigé contre le premier consul, ou ceux qui pourraient se diriger contre lui, rendent cette mesure encore plus indispensable. Quel plus grand malheur en effet peut menacer la République? De quels troubles plus grands la Constitution a-t-elle pu parler? Dans quelle circonstance plus grave le Sénat pourra-t-il mettre à exécution le sénatus-consulte organique qui lui permet de suspendre pendant cinq ans les fonctions du juri?

» Les menées dont nous avons à nous défendre ne sont pas celles de quelques individus qui, frappés par la justice,

feraient disparaître les traîtres avec la trahison; elles sont l'ouvrage d'un gouvernement opulent qui a déjà débarqué et cherche encore à introduire dans nos départemens des bandes de sicaires, de brigands, d'espions, d'embaucheurs; elles sont l'ouvrage d'une puissance à qui l'or ne coûte rien pour opérer le crime, et qui croit ne pouvoir arriver à une heureuse issue dans cette guerre que par l'assassinat.

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L'assassinat n'est-il pas proclamé hautement dans Londres? n'est-il pas affiché publiquement comme la base des spéculations mercantiles? Il faut donc que l'œil de la justice parcoure toute la France avec liberté ; il faut redoubler de vigilance, de soins; il faut que l'espoir de l'impunité n'encourage pas les coupables. Ah! si le fer des assassins était visible, quel serait celui de nous qui ne voulût faire un rempart de son corps à notre premier magistrat? Quel est le véritable Français qui ne briguât cet honneur? Mais, puisque les traîtres se cachent dans l'ombre, donnons au moins tous les moyens de les atteindre, de les punir. C'est ainsi que nous concourrons à la conservation d'une tête aussi précieuse, et que le Sénat s'acquerra de nouveaux droits à la reconnaissance nationale.

» Votre commission pense à l'unanimité que le projet de sénatus-consulte doit être adopté. »

Dans la même séance (6 ventose an 12), sur le discours de Regnault et le rapport d'Abrial, le Sénat adopta sans discussion le projet de sénatus-consulte portant :

Art. 1er. Les fonctions du juri sont suspendues pendant le cours de l'an 12 et de l'an 13, dans tous les départemens de la République, pour le jugement des crimes de trahison, d'attentats contre la personne du premier consul, et autres contre la sûreté intérieure et extérieure de la République.

»Art. 2. Les tribunaux criminels seront à cet effet organisés conformément aux dispositions de la loi du 23 floréal an 10 sans préjudice du pourvoi en cassation. »

PROJET DE LOI présenté au Corps législatif par les conseillers d'état Treilhard, Portalis et Bérenger. Séance du 8 ventose an 12.

« Art. 1°. Le recélement du nommé Georges et des soixante brigands actuellement cachés dans Paris ou les environs, soudoyés par l'Angleterre pour attenter à la vie du premier consul et à la sûreté de la République, sera jugé et puni comme le crime principal.

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