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qu'un des associés de Georges, ne manquez pas d'en faire usage. Et comme dans ses disgrâces le génie du mal ne se décourage jamais, M. Drake ne veut pas que ses amis s'abandonnent dans ce revers inattendu. Je vous prie très instamment, écrit-il (Munich, 25 février 1784), de faire imprimer et adresser sur le champ une courte adresse à l'armée (officiers et soldats). Le point principal est de chercher à gagner des partisans dans l'armée; car je suis fermement dans l'opinion que c'est par l'armée seule qu'on peut raisonnablement espérer d'opérer le changement tant désiré.

>> La vanité de ceite, espérance est aujourd'hui hautement caractérisée par la touchante unanimité des sentimens qui ont éclaté de toute part au moment où l'on a su de quels dangers

la France avait été menacée.

» Mais après la tentative d'un crime dont la méditation seule est une offense contre l'humanité, dont l'exécution eût été une calamité non seulement nationale, mais, si je puis le dire, européenne, il faut à la fois une réparation pour le passé et une garantie pour l'avenir.

» Des brigands épars, isolés, en proie au besoin, sans concert, sans appui, sont partout plus faibles que la loi qui doit les punir, que la police qui doit les intimider. Mais s'il existait pour eux un moyen de s'unir; s'ils pouvaient correspondre entre eux et avec les brigands des autres pays; si dans une profession la plus honorable de toutes, puisque la tranquillité des états et l'honneur des souverains en dépendent, il y avait des hommes autorisés à se servir de toutes les facultés que leur position leur donne pour recruter partout le vice, la corruption, l'infamie, la scélératesse, et faire de tout ce qu'il ya de plus vil et de plus pervers dans le monde une armée d'assassins, de révoltés, de faussaires, aux ordres du plus immoral, du plus ambitieux de tous les gouvernemens, il n'existerait aucun motif de sécurité en Europe pour la consistance des états, pour la morale publique, et pour la durée même des principes de la civilisation.

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Il n'appartient pas à mon ministère de discuter les moyens qui peuvent être en votre pouvoir de rassurer l'Europe, en la garantissant contre de tels dangers. Je me contente de vous informer et de vous prouver qu'il existe à Munich un Anglais, nommé Drake, revêtu d'un caractère diplomatique, qui, à la faveur de ce caractère et du voisinage, entretient de sourdes et criminelles menées au sein de la République; qui embauche des agens de corruption et de révolte; qui réside hors de l'enceinte de la ville, pour que ces agens puissent entrer chez lui sans scandale et sortir sans être exposés, et qui dirige et sou24

XVIII.

doie en France des hommes chargés par lui de préparer le renversement du gouvernement.

». Cette nouvelle espèce de crime échappant par sa nature aux moyens de répression que les lois inettent en mon pouvoir, j'ai dû me borner à vous la dévoiler, en vous exposant en même temps ses sources, ses circonstances et ses suites.

» Salut et respect. Signé REGNIER. (Suivaient les pièces, dont les originaux furent communiqués au Sénat. )

(Dans un second rapport, en date du 20 germinal an 12, le grand juge démontre « que M. Drake n'est pas le seul agent de l'Angleterre dont la mission politique n'est que le masque plausible d'un ministère occulte de séduction, de trouble et d'assassinat; il met sous les yeux du consul de nouvelles pièces qui prouvent que M. Spencer-Smith, agent diplomatique de l'Angleterre dans les états de Wurtemberg, à l'exemple de M. Drake, ne s'occupe, depuis son arrivée dans le lieu de sa résidence, qu'à prostituer son carac tère public, son influence et l'or de son gouvernement à cet infâme ministère. Voyez ces rapports du grand juge dans les Moniteurs des 4 et 23 germinal an 12. )

ADRESSE du Sénat conservateur au premier consul de la République. Du 6 germinal an 12.

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« Citoyen premier consul, le Sénat conservateur se rend en corps auprès de vous pour vous remercier de la communication que vous lui avez fait donner le 2 de ce mois par le grand juge, ministre de la justice, des pièces originales et authentiques relatives aux trames atroces ourdies contre l'Etat et contre vous, à l'abri d'un caractère diplomatique, par l'envoyé du roi d'Angleterre près de la cour de Munich.

» En examinant ces pièces et le rapport que le grand juge vous en a fait, le Sénat a été dans le cas de suppléer pour le moment les fonctions de ce grand tribunal national dont l'établissement manque à nos institutions. Une commission de cing membres (1) lui a fait un rapport que le Sénat a adopté, et qu'il vient vous présenter sa publicité est remise à la sagesse du gouvernement; nos délibérations sont essentiellement secrètes, et dans les matières politiques nous avons pour maxime de ne

(1) François (de Neufchâteau), Fouché, Vaubois, Vernier, Boissy d'Anglas.

laisser transpirer que ce que le gouvernement peut juger convenable de communiquer à l'Europe. Nous disons à l'Europe, parce qu'il ne s'agit point ici seulement de la France; sa cause est

celle du monde entier.

>>

Cependant, relativement à la France, les circonstances font un devoir au Sénat de s'expliquer sur deux objets importans, que la découverte de ces horribles complots lui paraît rendre dignes de votre plus prompte et plus sérieuse attention.

» A la vue de tous ces attentats, dont la providence a sauvé un héros nécessaire à ses desseins, une première réflexion a frappé le Sénat.

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Quand on médite votre perte, c'est à la France qu'on en veut les Anglais et leurs complices savent que votre destinée est celle du peuple français. Si leurs exécrables projets avaient pu réussir, ils ne se doutent pas de la vengeance épouvantable que ce peuple en aurait tirée! Le ciel préservera la terre de la nécessité où seraient les Français de punir un crime dont les suites-bouleverseraient le monde. Mais ce crime a été tenté, mais il peut l'être encore : nous parlons de vengeance, et nos lois ne l'ont pas prévue.

» Oui, citoyen premier consul, le Sénat doit vous le dire. >> En réorganisant notre ordre social, votre génie supérieur a fait un oubli qui honore la générosité de votre caractère, mais qui augmente peut-être vos dangers et nos craintes. Toutes nos constitutions, excepté celle de l'an 8, avaient organisé ou une haute-cour où un juri national. Vous avez eu la confiance qu'un pareil tribunal ne serait pas nécessaire; et la postérité qui doit vous tenir compte de tout ce que vous avez fait, vous comptera aussi ce que vous n'avez pas voulu prévoir.

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Mais, citoyen premier consul, vous vous devez à la patrie vous n'êtes point le maître de négliger votre existence; et le Sénat, qui par essence est le conservateur du pacte social de trente millions d'hommes, demande de leur part que la loi s'explique sur le premier objet de cette conservation.

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Citoyen premier consul, un grand tribunal national assurera d'une part la responsabilité des fonctionnaires publics, et de l'autre il offrira aux conspirateurs un tribunal tout prêt, tout investi de la consistance et des pouvoirs nécessaires pour maintenir la sûreté et l'existence d'un grand peuple, attachées à la sûreté, à l'existence de son chef.

» Mais ce juri national ne suffit pas encore pour assurer en même temps et votre vie et votre ouvrage, si vous n'y joignez pas des institutions tellement combinées que leur système vous survive. Vous fondez une ère nouvelle; mais vous devez l'éterniser l'éclat n'est rien sans la durée.

» Nous ne saurions douter que cette grande idée ne vous ait occupé, car votre génie créateur embrasse tout, et n'oublie rien; mais ne différez point.

les

Vous êtes pressé par le temps, par les événemens, par couspirateurs, par les ambitieux; vous l'êtes dans un autre sens par une inquiétude qui agite tous les Français. Vous pouvez enchaîner le temps, maîtriser les événemens, mettre un frein aux conspirateurs, désarmer les ambitieux, tranquilliser la France entière en lui donnant des institutions qui cimentent votre édifice, et prolongent pour les enfans ce que vous fites pour les pères.

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» Citoyen premier consul, soyez bien assuré que le Sénat vous parle içi au nom de tous les citoyens : tous vous admirent et vous aiment; mais il n'en est aucun qui ne songe souvent avec anxiété à ce que deviendrait le vaisseau de la République s'il avait le malheur de perdre son pilote avant d'avoir été fixé sur des ancres inébranlables. Dans les villes, dans les campagnes, si vous pouviez interroger tous les Français l'un après l'autre, il n'y en a aucun qui ne vous dît, ainsi que nous : Grand homme, achevez votre ouvrage en le rendant immortel comme votre gloire! Vous nous avez tirés du chaos du passé; vous uous faites bénir les bienfaits du présent; garantissez-nous l'avenir.

>> Dans les cours étrangères la saine politique vous tiendrait le même langage. Le repos de la France est le gage assuré du repos de l'Europe.

»Telles sont, citoyen premier consul, les observations que le Sénat a cru devoir vous présenter. Après vous avoir exprimé ce vœu national, il vous répète, en son nom et au nom du peuple français, que dans toutes les circonstances, et aujourd'hui plus que jamais, le Sénat et le peuple ne font qu'un avec

vous.

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Signé CAMBACÉRÈS, second consul, président; MORARD DE GALLES et JOSEPH CORNUDET, secrétaires. »>

MESSAGE du premier consul au Sénat conservateur. Saint Cloud, le 5 floréal an 12.

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Sénateurs, votre adresse du 6 germinal dernier n'a pas cessé d'être présente à ma pensée; elle a été l'objet de mes méditations les plus constantes.

» Vous avez jugé l'hérédité de la suprême magistrature nécessaire pour mettre le peuple français à l'abri des complots de nos ennemis et des agitations qui naîtraient d'ambi\tions rivales. Plusieurs de nos institutions vous ont en même

temps paru devoir être perfectionnées pour assurer sans retour le triomphe de l'égalité et de la liberté publiques, et offrir à la nation et au gouvernement la double garantie dont ils ont besoin.

pour son in

» Nous avons été constamment guidés par cette grande vérité, que la souveraineté réside dans le peuple français en ce sens que tout, tout sans exception, doit être fait térêt, pour son bonheur et pour sa gloire. C'est afin d'atteindre ce but que la suprême magistrature, le Sénat, le Conseil d'état, le Corps législatif, les colléges électoraux et les diverses branches de l'administration sont et doivent être institués.

» A mesure que j'ai arrêté mon attention sur ces grands objets, je me suis convaincu davantage de la vérité des sentímens que je vous ai exprimés, et j'ai senti de plus en plus que, dans une circonstance aussi nouvelle qu'importante, les conseils de votre sagesse et de votre expérience m'étaient néces saires pour fixer toutes mes idées.

» Je vous invite donc à me faire connaître votre pensée tout entière.

» Le peuple français n'a rien à ajouter aux honneurs et à la gloire dont il m'a environné; mais le devoir le plus sacré pour moi, comme le plus cher à mon cœur, est d'assurer à ses enfans les avantages qu'il a acquis par cette révolution qui lui a tant coûté, surtout par le sacrifice de ce million de braves morts pour la défense de ses droits.

année :

:

>> Je désire que nous puissions lui dire, le 14 juillet de cette Il y a quinze ans, par un mouvement spontané, vous courûtes aux armes; vous conquîtes la liberté, l'égalité, et la gloire. Aujourd'hui ces premiers biens des nations, assurés sans retour, sont à l'abri de toutes les tempêtes; ils sont conservés à vous et à vos enfans des institutions conçues et commencées au sein des orages de la guerre intérieure et extérieure, développées avec constance, viennent se terminer au bruit des attentats et des complots de nos plus mortels ennemis, par l'adoption de tout ce que l'expérience des siècles et des peuples a démontré propre à garantir les droits que la nation a jugés nécessaires à sa dignité, à sa liberté et à son bonheur.

» Le premier consul, signé BONAPARTE. »

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