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pour leur inspirer une grande confiance. La nature des choses l'emporta. Les événemens révolutionnaires parcoururent leurs diverses périodes; et, quoi qu'en disent les ennemis de la nation française, au milieu du désordre le plus général, au sein de la plus grande confusion, on reconnut encore le caractère de ce peuple, le plus doux et le plus magnanime de

l'univers.

» Tous les bons esprits jugèrent donc facilement que la Constitution de 1791 serait de peu de durée. Qu'était-ce en effet qu'un gouvernement qui devait défendre la nation, et qui n'avait pas le droit de défendre son palais sans la permission de l'autorité municipale? Qu'était-ce qu'un gouvernement qui devait régir un grand état, et qui n'avait pas le droit de nommer ses agens?

» Si nous jurâmes alors avec toute la France d'être fidèles au pacte qui venait d'être formé, c'est que cet engagement était réciproque, c'est que notre volonté était de le tenir tant que le pouvoir chargé spécialement de le défendre ne l'attaquerait pas lui-même ; c'est qu'enfin de deux maux il fallait choisir le moins funeste, et qu'il valait encore mieux adopter un gouvernement borné dans son pouvoir au delà de ce qu'exigeait la nature de ses fonctions que de compromettre les droits conquis en 1789.

» Eh! pourquoi nous arrêter si longtemps à une époque séparée du présent par un si grand intervalle? Il est essentiel cependant de rappeler que les princes de cette maison revêtue de l'autorité nationale coururent l'Europe en chevaliers errans et, pour prix des sermens que nous faisions de leur être fidèles, coalisèrent les puissances contre nous.

pour

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» La Convention nationale dut appeler au secours de la patrie le peuple tout entier. Un million de braves périt sur les frontières la défense de nos droits : leur courage garantit cette indépendance nationale, noble et précieux héritage de nos pères; il replaça la nation dans ce haut degré de gloire où nous appelaient la position de la France, le génie belliqueux de son peuple, et les lumières du siècle. La victoire demeura donc aux armes françaises; et Dieu lui-même sembla prononcer dans cette lutte entre les Bourbons et le régime féodal d'un côté, et les droits de la nation de l'autre les Bourbons et le régime féodal furent proscrits à jamais.

»Ici commence un nouvel ordre de choses. Quand on nous vit dans un état plus paisible, les ennemis de nos droits, désespérant de nous vaincre sur le champ de bataille, cherchèrent à nous diviser et à nous combattre par les factions: l'or des étrangers, des émissaires nombreux et perfides, et

Je nom de cette maison proscrite à jamais, prolongèrent encore les agitations et les désordres intérieurs.

» Des esprits superficiels crurent un instant qu'un gouvernement confié à un directoire de cinq personnes fixerait les destins de la France. Vaine espérance! On réunit inutilement les chefs des différentes factions: ils employèrent à se surveiller réciproquement le temps qu'exigeaient les affaires de l'Etat; et l'on ne tarda pas à s'apercevoir que le caractère aimant de la nation ne pouvait s'attacher à un gouvernement dont les membres, par leur institution même, étaient passagers, sans consistance personnelle, et divisés d'intérêts et d'opinions.

»Nous marchâmes, sous un tel gouvernement, d'actions en réactions, de changemens en changemens, de convulsions en convulsions; et tous les vœux, tous les regards, se tournant bientôt vers l'Orient, appelèrent, pour mettre un terme à nos malheurs, cette grande et majestueuse réputation qui s'était formée au milieu des camps, des négociations, et du gouvernement des peuples conquis.

» Le général Bonaparte touche les rivages français. Depuis cette époque nous n'avons cessé de jouir des fruits d'une sage, prévoyante et laborieuse administration. Dans quels temps, chez quelle nation, les comptes du trésor public et des finances ont-ils été établis avec une règle plus sévère et une plus scrupuleuse exactitude? La paix, mais une paix glorieuse, n'a-t-elle pas été conquise? et n'a-t-il pas été permis au peuple français d'espérer pour son bonheur et pour sa gloire tout ce qui serait utile et grand? Le Code civil, attendu depuis plusieurs années par tant d'intérêts, et toujours depuis plusieurs années ou différé, ou entrepris sans succès, ou réduit à que¦ques lois éparses, qui ne servaient qu'à augmenter le désordre, le Code civil n'est-il pas sorti avec majesté des savantes et laborieuses discussions des jurisconsultes et des hommes d'état ? système de législation le plus complet et le plus méthodique qui ait jamais existé, et dont l'heureux effet sera de rendre en quelque sorte populaire la connaissance des droits civils. En un mot, tout ce que le peuple avait voulu en 1789 a été rétabli, l'égalité a été maintenue; la loi, qui seule peut imposer aux citoyens des charges pour le bien de l'Etat, a été respectée. L'administration a repoussé avec sévérité tout ce qui aurait pu porter atteinte à l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux et aux droits des acquéreurs. Enfin les autels ont été relevés, et les dogmes religieux consacrés en même temps que la liberté des consciences.

» Dans cette heureuse situation, où le peuple français est en

possession de tous les droits qui furent l'unique but de la révolution de 1789, l'incertitude de l'avenir vient seule troubler l'état du présent.

» Les ennemis de notre patrie se sont en effet effrayés de sa prospérité comme de sa gloire; leurs trames se sont multipliées, et l'on eût dit qu'au lieu d'une nation tout entière ils n'avaient plus à combattre qu'un homme seul. C'est lui qu'ils ont voulu frapper pour la détruire; trop assurés que la France en deuil, pour la perte qu'elle aurait faite dans le même jour et du grand homme qui l'a organisée et du chef qui la gouverne, partagée entre des ambitions rivales, déchirée par les partis, succomberait au milieu des orages déchaînés dans tous les sens.

» Quelle garantie peut-on lui donner contre la crainte de tant de malheurs ? quels remèdes opposer à tant de maux? L'opinion, les armées, le peuple entier l'ont dit.

» L'hérédité du pouvoir dans une famille que la révolution a illustrée, que l'égalité, la liberté auront consacrée; l'hérédité dans la famille d'un chef qui fut le premier soldat de la Républi que avant d'en devenir le premier magistrat ; d'un chef que ses qualités civiles auraient distingué éminemment quand il n'aurait pas rempli le monde entier du bruit de ses armes et de l'éclat de ses victoires.

» Vous le voyez, mes collègues, nous avons été ramenés pár la pente irrésistible des événemens au point que le vœu national avait hautement marqué en 1789, et où nous avait laissés l'Assemblée constituante elle-même; mais pourtant avec cette différence essentielle dans notre position, qu'au lieu que cette Assemblée, comme je l'ai dit, ou n'avait pu, ou n'avait voulu, ou n'avait osé, en établissant un nouveau pacte social, changer la dynastie à qui elle en confiait l'exécution, ce qui entraîna bientôt la ruine de son ouvrage. Ici, au contraire, nous avons l'inappréciable avantage de trouver à la tête de la nation le chef auguste d'une famille propre à former le premier anneau de la nouvelle dynastie, et certes d'une dynastie qui sera dans le nouvel ordre de choses et dans les fondemens mêmes de ce nouvel ordre.

» Ainsi une barrière éternelle s'opposera au retour et des factions qui nous déchirèrent, et de cette maison que nous proscrivimes en 1792 parce qu'elle avait violé nos droits; de cette maison que nous proscrivons aujourd'hui parce que ce fut elle qui alluma contre nous la guerre étrangère et la guerre civile ; qui fit couler dans la Vendée des torrens de sang français; qui suscita les assassinats par la main des chouans, et qui depuis tant d'années enfin a été la cause générale des troubles et des désastres qui ont déchiré notre patrie.

» Ainsi le peuple français sera assuré de conserver sa dignité, son indépendance et son territoire.

» Ainsi l'armée française sera assurée de conserver un état brillant, des chefs fidèles, des officiers intrépides, et les glorieux drapeaux qui l'ont si souvent conduite à la victoire ; elle n'aura à redouter ni d'indignes humiliations, ni d'infâmes licenciemens, ni d'horribles guerres civiles, et les cendres des défenseurs de la patrie ne seront point exposées, selon une sinistre prédiction, à être jetées au vent.

» Hâtons-nous donc, mes collègues, de demander l'hérédité de la suprême magistrature; car en votant l'hérédité d'un chef, comme disait Pline à Trajan, nous empêcherons le retour d'un maître.

» Mais en même temps donnons un grand nom à un grand pouvoir; concilions à la suprême magistrature du premier empire du monde le respect d'une dénomination sublime.

>> Choisissons celle qui, en même temps qu'elle donnera l'idée des premières fonctions civiles, rappellera de glorieux souvenirs, et ne portera aucune atteinte à la souveraineté du peuple.

>> Je ne vois pour le chef du pouvoir national aucun titre plus digne de la splendeur de la nation que le titre d'empe

reur.

» S'il signifie consul victorieux, qui mérita mieux de le porter? quel peuple, quelles armées furent plus dignes d'exiger qu'il fût celui de leur chef?

» Je demande donc que nous reportions au Sénat un vœu qui est celui de toute la nation, et qui a pour objet :

»1°. Que Napoléon Bonaparte, actuellement premier consul, soit déclaré empereur, et en cette qualité demeure chargé du gouvernement de la République française;

» 2°. Que la dignité impériale soit déclarée héréditaire dans sa famille;

>>>3°. Que celles de nos institutions qui ne sont que tracées soient définitivement arrêtées.

Tribuns, il ne nous est plus permis de marcher lentement; le temps se hâte; le siècle de Bonaparte est à sa quatriènie année; et la nation veut un chef aussi illustre que sa destinée. »

DISCOURS du tribun Siméon. - Séance du 10 floréal an 12. (Immédiatement après Curée.)

"

Tribuns, la motion que vous venez d'entendre, et que je seconde, présente une opinion qui se formait depuis plus de deux ans, et que les événemens ont mûrie. Des communes, des conseils généraux de départemens, plusieurs corps la mani

festent; elle éclate de toute part; il est temps qu'elle soit accueillie et solennellement consacrée.

» Quelle longue et terrible expérience nous avons faite!

» L'excès des abus croissant en foule autour d'un trône décrépit; un prince faible qui ne savait plus comment maintenir, mitiger ou défendre le pouvoir souverain qu'il voulait garder; une Constitution que l'on crut faire monarchique, renfermant tous les principes d'anarchie qui ne tardèrent pas désorganiser la France; la restauration de thermidor troublée par les orages de vendémiaire; la Constitution de l'an 3 plus d'une fois déchirée par diverses secousses; le vaisseau de l'Etat flottant incertain au milieu d'écueils opposés sur lesquels il risquait tour à tour de se briser, lorsqu'enfin une main victorieuse et ferme vint en saisir le timon, et diriger sa marche vers le port! » C'est dans le port qu'en se rappelant les dangers auxquels on est échappé, et visitant ses dommages, on songe à les réparer et à se prémunir contre de nouveaux désastres. Dix ans de sollicitudes et de malheurs, quatre ans d'espérances et d'améliorations nous ont fait connaître les inconvéniens du gouvernement de plusieurs, et les avantages du gouvernement d'un seul.

» Les révolutions sont les maladies des corps politiques : résultat d'un régime vicieux, elles font une explosion d'autant plus violente que leurs causes sont plus profondes, plus accumulées, et ont subi une plus longue fermentation. Alors une fièvre ardente se déclare, qui dévore et consume tout, et le mal qui l'a produite, et les organes conservateurs qui étaient trop usés pour lui résister. Si l'Etat survit à cette crise, débarrassé en grande partie des vices qui altéraient sa constitution, il reprend son assiette, et, avec une nouvelle vie, de nouveaux moyens de force et de prospérité.

>> Tout ce qui a été bouleversé n'était pas mauvais. Il est dans l'existence des nations des bases essentielles dont le temps et les abus qu'il mène à sa suite les arrachent quelquefois ; mais elles y sont naturellement ramenées par leur propre poids, et si une main habile prend soin de réparer ces fondemens ébranlés, elles s'y rasseyent affermies pour plusieurs siècles.

» L'histoire ne nous montre le gouvernement de plusieurs que chez des peuples peu nombreux et encore récens, fortement unis parce que le cercle de leur intérêt commun est étroit; s'exerçant à l'amour de la patrie par l'usage d'une liberté sage, par la modicité des besoins, des désirs et des fortunes; arrivant enfin, à mesure qu'ils augmentent en richesses, en territoire et en population, au gouvernement d'un seul.

Pourquoi la démocratie et l'aristocratie se sont-elles conservées dans les petites nations qu'il serait, ce senible, plus

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