Page images
PDF
EPUB

facile de dominer? Pourquoi les grandes nations, où il y aurait? plus de moyens de s'opposer au gouvernement d'un seul, ontelles constamment incliné vers ce gouvernement? Où trouver la cause de ce phénomène, si ce n'est dans la nécessité des choses, qui ramène toujours les peuples à ce qui leur est le plus utile, nonobstant l'effort des prétentions individuelles et l'orgueil des vaines théories?

» Il y a douze ans que cette question aurait fourni le sujet de longues et brillantes dissertations; mais le problème n'existe plus il a été résolu par la foule de maux dont nous ont accablés de funestes essais. Il n'y a que des insensés qui voulussent se replonger dans cet océan d'erreurs politiques, où nous aurions été submergés si la victoire et le génie ne nous eussent jeté une planche secourable.

» Ce n'est donc pas sur des raisons qui sont écrites partout, et que chacun connaît, que je fonde la prééminente utilité du gouvernement d'un seul ; c'est sur l'expérience et le souvenir de ce que nous avons éprouvé. Je n'en retracerai pas le tableau ; il fatigue encore les yeux, et pèse sur tous les coeurs. Il n'est pas besoin de rouvrir des plaies à peine fermées ; il suffit d'en indiquer les cicatrices, encore si sensibles. Il n'est pas un Français qui, après tant de mouvemens, de chocs et de secousses, ne sente qu'il faut enfin se reposer daus une partie de ces institutions dont on s'était écarté.

[ocr errors]

Déjà les inconvéniens d'une suprême magistrature élective el temporaire ont été aperçus et éloignés ; déjà, pour qu'un jour elle ne fût pas, aux dépens de notre repos et de notre sang, disputée entre des ambitieux qui ne s'en verraient plus séparés par une insurmontable barrière, le Sénat a donné au premier consul la faculté de désigner son successeur. Ce n'étaient là que les prélimi naires, les pierres d'attente de l'hérédité, qui doit enfin rendre à l'empire français la stabilité qu'exigent son étendue et sa puis

sance..

» Par les avantages que nous avons recueillis dès nos premiers pas, jugeons de ceux qui nous attendent. A mesure que nous nous sommes éloignés des formes mobiles du gouvernement de plusieurs, les gouvernemens d'Europe avec lesquels nous étions en trop grande disparité nous ont rendu plus d'égards, de considération et de confiance; ils ont compté davantage sur la sokdité des négociations et des traités, sur l'unité et la persévérance dans les vues; ils désirent pour leur propre tranquillité ce que nous voulons pour la nôtre.

» Avec l'hérédité dans le gouvernement, se consolideront ces Institutions qui furent formées avec lui pour en être le soutien el l'ornement. Si elles avaient à éprouver quelques modifica

ce

tions, ce serait pour garantir d'antant mieux les droits réciproques de la nation et de son chef, intéressés l'un et l'autre à que le pacte définitivement arrêté entre eux demeure inaltérable. On ne saurait se passer de corps intermédiaires; par le pouvoir qu'ils ont d'éclairer l'autorité, ils facilitent l'obéissance. On ne saurait se passer de grandes magistratures; elles forment les degrés par lesquels on arrive au sommet de la hiérarchic politique.

» La reconnaissance publique nomme ici ces deux illustres citoyens que le discernement le plus heureux appela à partager le poids du gouvernement naissant. Dans l'heureux développement qu'il va recevoir, leurs talens, leur expérience et leurs services marquent toujours leur place à la tête du peuple français, près de son chef suprême; elle n'a rien d'incompatible : nous avons même des preuves de sa constante utilité, depuis que le gouvernement s'est naturellement concentré dans une seule main. Tout ce qui existe peut donc se coordonner facilement avec l'hérédité, et par elle tout s'améliore et se fortifie.

[ocr errors]

» La religion, occupée à relever ses autels, n'a plus à demander au ciel d'écarter les guerres civiles, qui les ensanglanteraient et les renverseraient de nouveau ; la source en est taric.

» La justice, si richement dotée d'un code composé de tous les trésors de la jurisprudence ancienne et moderne, se promet d'en jouir et d'en répandre les bienfaits.

» Les finances s'accroissent du crédit inséparable d'un ordre fixe et perpétuel.

» Les armées savent à qui elles auront toujours à obéir, et ne craignent plus qu'un jour les lieutenans d'Alexandre les divisent et les opposent les unes aux autres.

» Une immense multitude est rassurée sur la jouissance de ses propriétés nombreuses, menacées tour à tour par l'anarchie, qui les dévorerait, et par le royalisme, qui en dépouillerait les possesseurs.

>> Tous les citoyens enfin se livrent avec sécurité aux travaux, aux spéculations de leur commerce, de leur état, de leur profession. Plus d'inquiétudes qui les en détournent, parce que la clef de la voûte sera posée; l'ouvrage des hommes sera fini : le reste sera l'ouvrage du temps, qui ne manque jamais de consolider avec promptitude ce qu'on a su construire avec unité.

[ocr errors]

Quel empire s'éleva ou se rétablit jamais avec plus de force et de gloire! étouffant comme Hercule les serpens qui s'étaient glissés dans son berceau, marchant de cette victoire intérieure à d'innombrables victoires, terrassant ses ennemis, relevant ses alliés, n'ayant plus qu'un ennemi hors du continent pacifié;

.XVIII.

25

ennemi dont l'infâme et criminelle politique est dévoilée, qui, réduit à consumer ses trésors dans une guerre défensive, à bloquer de ses orgueilleuses flottes les nacelles prêtes à porter dans son sein notre vengeance et notre fortune, ne sait plus nous attaquer que par des conspirations et des assassinats! » Notre indépendance n'a-t-elle pas été conquise, promulguée par la victoire, sanctionnée par la paix! Et quand nous perfectionnerons le gouvernement que nous nous sommes donné, quand nous décernerons à notre premier consul un nouveau titre, quand nous proclamerons empereur le guerrier qui triompha, comme Annibal et Charlemagne, des roches inaccessibles des Alpes, qui couvrit l'Italie de ses trophées, ressaisit les anciennes limites de notre empire, qui oserait nous disputer le droit de le revêtir de la majesté qui appartient à une grande

nation?

>> C'est moins d'une récompense, dont il n'a pas besoin, que de notre propre dignité et de notre sûreté que nous nous occuperons. C'est pour eux-mêmes que les peuples élèvent leurs magistrats suprêmes, qu'ils les munissent d'autorité, qu'ils les environnent de puissance et de splendeur. C'est pour n'être pas exposés à chaque vacance à la stagnation ou aux bourrasques d'un interregne, qu'ils placent dans une famille l'honomais pesant fardeau du gouvernement. L'hérédité est bien plutôt une assurance de tranquillité pour ceux qui la donnent, qu'une prérogative pour ceux qui la reçoivent.

>>

Cependant elle a aussi trop d'importance et d'éclat pour n'être pas remise dans les mains les plus dignes et les plus éprouvées. Chez tous les peuples, la gloire et l'illustration du chef de famille se répandent sur tous les membres, et devien→ nent le patrimoine de la famille entière.

[ocr errors]

Quels titres comparer à ceux que tant de succès, de prodiges de guerre et d'administration ont accumulés sur la tête du premier consul, ne servant pas seulement l'Etat comme un illustre et grand citoyen, mais le dirigeant et le gouvernant comine magistrat suprême!

[ocr errors]

Opposerait-on la possession longue, mais si solennelle→ ment renversée, de l'ancienne dynastie? Les principes et les faits répondent.

» Le peuple, propriétaire et dispensateur de la souveraineté, peut changer son gouvernement, et par conséquent destituer dans cette grande occasion ceux auxquels il l'avait confié. L'Europe l'a reconnu en reconnaissant notre indépendance, ses suites et notre nouveau gouvernement. La maison qui règne en Angleterre n'a pas eu d'autres droits pour exclure les Stuarts que le principe que je rappelle ici.

[ocr errors]

Les catastrophes qui frappent les rois sont communes à leurs familles, ainsi que l'étaient leur puissance et leur bonheur; l'incapacité qui abandonne leurs têtes à la foudre des révolutions s'étend sur leurs proches, et ne permet pas de leur rendre le timon échappé à des mains trop débiles: il fallut que, après les avoir repris, la Grande-Bretagne chassât les enfans de Charles Ier.

[ocr errors]

» Le retour d'une dynastie détrônée, abattue par le malheur moins encore que par ses fautes, ne saurait convenir à une nation qui s'estime. Il ne peut y avoir de transaction sur une querelle aussi violemment décidée..

[ocr errors]

» Si la révolution nous a fatigués, n'aurions-nous d'autres moyens, lorsqu'elle est arrivée à son terme, que de nous replacer sous un joug brisé depuis douze années?

Si la révolution a été sanglante, n'en sont-ils pas coupables ceux qui attisèrent parmi nous les fureurs de la démagogie et de l'anarchie; qui, s'applaudissant à mesure qu'ils nous voyaient nous déchirer, espéraient nous ressaisir comme un proie affaiblie par ses propres morsures? Ne sont-ils pas coupables ceux qui, portant de contrée en contrée leurs ressentimens et leur vengeance, excitèrent cette coalition qui a coûté tant de pleurs et de sang à l'humanité gémissante? Ils vendaient aux puissances, dont ils s'étaient fait les cliens, une partie de cet héritage dans lequel ils les conjuraient de les rétablir. Et maintenant ne redoublent-ils pas d'efforts auprès de ce gouvernement leur antique ennemi autant que le nôtre, et qui, trahissant leur cause tout en nous combattant, ne les replacerait sur le trône, s'il en avait le pouvoir, que comme ces impuissans nababs de l'Inde dont il a fait ses vassaux ?

Parlerai-je de ces dernières trames, de ces machinations, de ces essais répétés d'assassinat, dont la malveillance la plus prononcée est forcée de rougir, mais qu'elle ne peut nier? Est-ce ainsi que l'on fait revivre des droits que tant d'événemens ont annulés? Non; c'est ainsi qu'on en efface jusqu'aux dernières traces.

Détournons les yeux de ce triste tableau, et, revenant aux leçons de l'expérience et de l'histoire, voyons dans le passé une image moins vive, mais non moins fidèle du présent.

»De grands hommes fondent ou rétablissent des empires; ils transmettent à leurs héritiers leur gloire et leur puissance. Le gouvernement se perpétue paisiblement dans leur famille tant qu'elle produit des sujets capables, et que de bonnes et fortes institutions aident ou suppléent les talens.

[ocr errors]

Lorsque les institutions s'affaiblissent, et que la famille dégénérée ne peut plus soutenir le poids des affaires publiques,

XVIII.

25*

une autre famille s'élève. C'est ainsi que l'empire français a vu les descendans de Mérovée remplacés par ceux de Charlemagne, et ces derniers par ceux de Hugues Capet. C'est ainsi que les mêmes causes et des événemens à peu près semblables, car rien n'est nouveau sous le soleil, nous amènent une quatrieme dynastie. La troisième n'avait pas eu d'autres titres ni de plus grands droits.

» Nous possédons un homme auquel s'applique ce que Montesquieu a dit de Charlemagne (1): «Jamais prince » ne sut mieux braver les dangers, jamais prince ne les sut » mieux éviter; il se joua de tous les périls, et particulièrement » de ceux qu'éprouvent presque toujours les grands conquérans, je veux dire les conspirations. »

>>

[ocr errors]

Quand Pepin, dit encore Montesquieu, fut couronné, » ce ne fut qu'une cérémonie de plus et un fantôme de moins. » Il n'acquit rien par lå que des ornemens; il n'y eut rien de » changé dans la nation. (2)

[ocr errors]
[ocr errors]

Quand les successeurs de Charlemagne perdirent la suprême puissance, Hugues Capet tenait les deux clefs du royaume « On lui déféra une couronne qu'il était seul en état de défendre.» (3)

>> Nous sommes dans les mêmes circonstances. Qu'on ne se trompe pas en regardant comme une révolution ce qui n'est qu'une conséquence de la révolution: nous la terminerons; rien ne sera changé dans la nation; nous passerons d'un gouvernement au même gouvernement (4); si ce n'est qu'avec un titre plus conforme à notre grandeur, plus analogue à celui dont les autres peuples ont décoré leurs chefs, il acquerra la force de la perpétuité, et la sécurité de l'avenir autant qu'il est au pouvoir des hommes de s'en rendre maîtres par de sages précautions.

[ocr errors]

DISCOURS du tribun Carrion-Nisas. -Séance du 11 floréal an 12.

R

Tribuns, je ne saurais dissimuler que c'est en partie un mouvement personnel qui m'a porté à prendre la parole après tant d'orateurs distingués.

[blocks in formation]
« PreviousContinue »