Page images
PDF
EPUB

Quant à la garantie pour la nation, cette garantie réside sur une base fondamentale, sa participation au pouvoir législatif, et le droit inaliénable, qu'elle exerce par ses délégués, de délibérer publiquement l'impôt, de le voter, et de requérir toutes pièces originales des recettes et des dépenses publiques, pour motiver dans tous les temps la confiance.

Je dis participation inalienable au pouvoir législatif et au vote libre et public de l'impôt, parce que ce droit les Francs l'apportèrent des forêts de Germanie, et qu'ils l'exercèrent même sous le gouvernement conquérant et politique de Clovis et de Charlemagne.

» Mais « Charlemagne oublia d'affermir la puissance publique » sur une base inébranlable. Il fallait, par une toi fonda» mentale, fixer l'ordre de la succession an trône, rendre

inviolable l'autorité souveraine, et proscrire à jamais le » partage de la monarchie. Il fallait déclarer, par une loi » solennelle, que, tous pouvoirs n'existant que pour l'intérêt » commun, cet intérêt s'oppose à leur aliénabilité. Quelles effroyables calamités ce petit nombre de lois constitutives » eût épargnées aux générations suivantes! (I)

[ocr errors]

» Je dis aussi inaliénable, parce qu'après que le système féodal, fruit de l'imprévoyance de Charlemagne et de l'incapacité de ses successeurs, commença à se briser, les Français cherchèrent à reconquérir leurs droits à la puissance législative et au vote libre de l'impôt, d'abord par des priviléges de bourgeoisie, ensuite par l'affranchissement des communes, par des états provinciaux ou particuliers, enfin par l'admission des députés de toutes les classes de citoyens aux états généraux.

» Je dis encore inaliénable, parce que si les derniers Bourbons ont été cent dix-huit ans sans convoquer d'états généraux, le comble des abus et des malheurs publics, et les grandes catastrophes dont ils sont justement les victimes, démontreront à la postérité qu'on ne viole pas impunément les droits sacrés qu'a une nation libre au pouvoir législatif et au vote libre de l'impôt.

» Je dis enfin droitinaliénable, parce que toutes les classes de citoyens chargerent en 1789, expressément, leurs députés aux états généraux de prononcer la permanence et la périodicité du pouvoir législatif, et que toutes les instructions s'accordèrent à demander le vote annuel et libre de l'impôt.

(1) Résumé des cahiers et pouvoirs aux états généraux de 1789. Discours préliminaire.

Cette garantie, que la nation s'est toujours réservée, et qu'elle exerce dans ce moment, se consolide donc en rendant héréditaire le pouvoir exécutif en France dans une famille dont les services, la gloire et la fortune ont pour origine ce principe fondamental de la liberté française; principe exercé ou reclamé, dans la prospérité comme dans l'adversité, pendant treize cents ans ; principe cimenté de nouveau aujourd'hui durant quinze années par les triomphes des héros et le sang d'un million de Français.

»Enfin, la garantie de la nation dans l'exercice du pouvoir législatif, et le vote annuel et libre de l'impôt étant identique avec les titres qui conduisent au rang suprême Napoléon Bonaparte et sa famille, et l'union intime de cette illustre famille avec l'universalité des citoyens français, avec nos institutions civiles, politiques et militaires, devant assurer la stabilité du gouvernement, et devenir le germe de la prospérité publique en France, je vote pour l'examen par une commission de la motion d'ordre de notre collègue Curée. »>

RAPPORT fait au Tribunat par Jard-Panvilliers, au nom de la commission (1) chargée d'examiner la motion d'ordre du tribun Curée.-Séance du 13 floréal an 12.

«. Citoyens tribuns, après dix ans d'efforts inutiles pour se donner un gouvernement stable et régulier, la France allait être de nouveau livrée aux fureurs des partis et aux désordres de l'anarchie, lorsqu'elle vit luire la journée à jamais mémorable du 18 brumaire an 8. Dès lors tous les cœurs se livrèrent à l'espérance.

"

» Un héros qui avait déjà rempli l'univers du bruit de ses exploits militaires et de la profondeur de ses vues politiques dans les divers traités qu'il avait conclus en Italie, et dans le gouvernement de ses conquêtes d'Egypte, était accouru des bords du Nil aux rives de la Seine à la voix de la patrie éplorée. Conduit par le génie tutélaire de la France à travers des flottes ennemies, il avait touché le sol de la République au moment même où des factieux se disposaient à y rétablir le regne affreux de la terreur. Son nom seul pouvait leur imposer; il devint l'objet des espérances de tous les bons citoyens. Tout ce qu'il y avait d'hommes amis de leur pays dans les pre

(1) Membres de la commission: Curée, Sahuc, Jaubert (de la Gironde), Duveyrier, Duvidal, Gillet (de Seine-et-Oise), Fréville, Carion-Nisas, Savoye-Rollin, Albisson, Grenier, Delaitre, ChabautLatour, Fabre, Jard-Panvilliers, Faure, Siméon, Arnould.

mières autorités de l'Etat se rallia autour de lui, et sentit la nécessité de lui remettre les rênes du gouvernement. Il les saisit d'une main ferme, mais avec tous les ménagemens que commande une politique sage et éclairée..

» Il introduisit l'esprit de modération dans le gouvernement, et le premier usage qu'il fit de l'autorité qui lui était confiée fut de proposer aux puissances étrangères de mettre un terme aux maux de la guerre qui depuis dix ans ensanglantait l'Europe. Des propositions de paix de la part d'un héros qui n'avait jamais connu de défaites que celles de ses ennemis, étaient bien propres à rassurer les gouvernemens sur les projets de conquêtes et de bouleversement qu'on supposait à la France; mais les passions qui avaient allumé le feu de la guerre étaient encore trop exaspérées pour que ces propositions fussent accueillies. Il fallut recourir encore à la force des armes, et cette nécessité donna lieu à ce prodige militaire, à cette campagne de Marengo, monument éternel de la valeur des Français et de l'habileté de leur chef, qui, par une marche aussi audacieuse que savamment combinée, s'empara de tous les magasins de l'ennemi, et le força par une seule victoire à lui remettre toutes les places fortes du Piémont et de la Lombardie.<

Depuis longtemps il avait accoutumé les peuples à ses succès; mais celui-ci parut si fort au-dessus de tout ce que l'histoire nous apprend des triomphes des plus grands capitaines, et de ses propres victoires, qu'il excita une admiration universelle, et fit sentir aux puissances coalisées qu'elles tenteraient inutilement de vaincre une nation qui dès lors se crut elle-même invincible sous un tel chef.

» Toutefois le fléau de la guerre ne fut encore suspendu que pour quelques instans; mais la gloire militaire du premier consul de la République, son administration intérieure, la dignité et la modération qu'il mettait dans ses rapports avec les autres gouvernemens, inspirerent tant de confiance à la nation, que la sécurité renaquit dans l'esprit de chaque citoyen, que le commerce reprit son activité, et le crédit public se rétablit comme au sein de la paix la plus parfaite.

[ocr errors]

Quel motif d'inquiétude pouvait-on avoir en effet quand on savait qu'un génie actif et bienfaisant veillait à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat? La paix, ce bien si désiré, personne n'ignorait qu'elle était l'objet de ses vœux les plus ardens; on se flattait que la victoire et la modération écarteraient tous les obstacles qui s'opposaient à son retour, et cette espérance ne tarda pas à se réaliser. Dans moins d'un an l'Europe entière fut pacifiée : elle le serait encore si une puissance, jalouse du bonheur des autres nations et de la prospé

rité de la France en particulier, n'avait violé le traité le plus solennel.

» Mais ce manque de foi, tout en excitant dans le cœur des Français le mépris, l'indignation, et le désir d'une juste vengeance, n'avait point troublé le bonheur intérieur de la République tant qu'on avait cru qu'il s'agissait entre les deux puissances d'une guerre franche et loyale, telle qu'elle doit se faire entre des nations civilisées; tous les citoyens, se confiant dans la sagesse et l'habileté du chef de l'Etat, et dans la valeur de nos guerriers, continuaient à jouir de la tranquillité à laquelle nous sommes accoutumés depuis le 18 brumaire; tous les délits politiques étaient pardonnés; chacun jouissait pour soimême et pour ses propriétés d'une sécurité d'autant plus douce qu'on en avait été privé plus longtemps.

» On reconnaissait l'auteur de tant de bienfaits; on faisait des vœux pour sa conservation; mais, comme si l'on se fût fait illusion sur la fragilité de la vie humaine, ou qu'on eût cru que le bienfaiteur d'une nation devait être immortel comme son nom, bien peu de personnes portaient leur pensée au-delà de la durée de son existence.

» Peut-être est-il dans la nature du cœur de l'homme de craindre d'altérer sa propre félicité en osant en envisager le terme. Quoi qu'il en soit, c'était une idée commune et chère à la généralité des citoyens, même avant que le vœu public en fût émis, que la magistrature suprême devait être fixée à perpétuité sur la tête du premier consul; mais on ne s'occupait point de prévoir entre les mains de qui elle passerait après lui, ni les commotions politiques que ce changement pourrait

occasionner.

[ocr errors]

» Ainsi la masse de la nation avait vécu dans cette dangereuse imprévoyance, jusqu'à ce que la découverte des horribles attentats médités par le gouvernement anglais contre sa personne nous ait avertis des espérances que nos ennemis fondaient sur l'assassinat de ce grand homme, sur les agitations intérieures et sur les changemens de système politique auxquels l'élection de son successeur pouvait donner lieu. Alors tous les esprits se sont réveillés sur le danger qui nous menaçait : l'attachement, inséparable du sentiment de la reconnaissance pour celui qui a fait succéder un état de prospérité à l'état d'angoisses et d'inquiétude dans lequel nous avions vécu pendant plusieurs années, a d'abord fait frémir tous les cœurs du danger personnel qu'il a couru; mais à ce sentiment à succédé celui de l'intérêt de tous.

» En continuant de faire des vœux pour la conservation des jours du héros à qui la France doit sa gloire et la félicité dont

elle jouit, tous les hommes pensans ont senti que le mode prescrit par le sénatus-consulte organique de la Constitution pour pourvoir à son remplacement en cas de mort n'offrait pas une garantie suffisante de la tranquillité de l'Etat, De toutes parts les citoyens éclairés, réunis dans les colléges électoraux, dans les autorités constituées et même dans les camps, ont exprimé le vœu de voir prendre des mesures constitutionnelles pour donner à notre gouvernement une stabilité telle que là perte même de son chef actuel ne pût en entraîner la ruine, et que par conséquent le succès des crimes médítés contre sa personne fût inutile à nos ennemis.

[ocr errors]

Interprète de ce vou véritablement national, notre collègue Curée vous en a développé les motifs avec autant de force de raison que d'éloquence, et vous a proposé le moyen de le remplir. C'est cette proposition que la commission dont je suis l'organe a examinée par votre ordre, et qu'elle a adoptée à l'unanimité.

» Elle a pour objet de décerner la dignité d'empereur des Français au premier magistrat actuel de la République, et de la déclarer héréditaire dans sa famille.

[ocr errors]

Votre commission, frappée des diverses considérations qui vous ont été présentées par tous les orateurs qui ont parlé en faveur de cette mesure, a pensé qu'elle offrait le seul moyen de donner de la stabilité à notre gouvernement, d'assurer la tranquillité de l'Etat, et de garantir pour la génération présente et celles qui lui succéderont la jouissance des résultats avantageux de la révolution.

» Le temps des illusions politiques est passé. Il serait dérai– sonnable de ne pas profiter des leçons que l'histoire et l'expérience nous ont laissées sur la nature du gouvernement qui convient le mieux à notre situation, à nos habitudes, à nos mœurs, et à l'étendue de notre territoire.

» Les orateurs qui ont parlé sur cette question vous ont démontré, avec toute la force du raisonnement et des faits de l'histoire, que c'était le gouvernement d'un seul, et héréditaire : nous allons essayer de le prouver par le simple exposé de notre propre expérience.

De quelque perfectibilité que l'esprit humain soit jugé susceptible, lorsqu'il s'agit de fixer le sort d'une nation entière, il est toujours imprudent d'abandonner des moyens éprouvés pour en employer de nouveaux, sous prétexte qu'on les présume meilleurs; mais à l'époque où les Français venaient de secouer le joug d'une monarchie corrompue, et où l'enthousiasme de la liberté animait tous les esprits, il était excusable, il était même digne des âmes généreuses de croire qu'il était

« PreviousContinue »