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possible d'établir parmi nous un gouvernement démocratique. Le malheureux essai que nous en avons fait a dû détromper tout homme de bonne foi: combien de maux ne nous a-t-il pas coûtés!

» Tous les citoyens frémissent encore au seul souvenir du gouvernement du comité de salut public : jamais la tyrannie ne pesa d'une manière plus dure sur un état que pendant son existence; la France fut couverte de prisons et d'échafauds. Et quand ce gouvernement fut obligé d'abandonner son sceptre de fer, il fut remplacé par un autre dont la faiblesse ne fut pas moins funeste à la France que ne l'avait été la cruauté de celui qui l'avait précédé.

» Vint ensuite le Directoire exécutif. Nous ne chercherons pas à déprécier ici les services qu'il a rendus à la France; il en a peut-être rendu plus que ne le comportait le mode de son organisation, et qu'on ne devait l'espérer dans les circonstances difficiles où il fut installé; mais ce gouvernement, d'une constitution essentiellement faible, et bientôt épuisé par le jeu des passions des individus qui le composaient, passa rapidement de l'enfance à la décrépitude. N'ayant pas assez de force pour comprimer les factions, il eut recours au système perfide des contrepoids pour se servir alternativement de l'une contre l'autre de là naquirent les funestes réactions qui ensanglantèrent la plupart des départemens méridionaux, jusqu'à l'époque où il devint lui-même victime des partis qu'il avait créés pour en faire les instrumens de ses vengeances et de son ambition.

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» Telle est l'histoire des gouvernemens démocratiques qu'on a tenté d'établir parmi nous jusqu'à l'avénement de Bonaparte au consulat: on n'y voit que tyrannie, faiblesse et instabilité.

» A la vérité, on a prétendu qu'on n'avait pu consolider ces divers gouvernemens parce que les constitutions qui les avaient établis avaient été l'ouvrage des partis ou des circonstances; mais alors nous demandons comment on pourra se flatter de faire une constitution stable, et qui ait l'assentiment général, ou du moins qui soit respectée par tous, lorsqu'il s'agira de régler les principes d'un gouvernement dont l'essence est, suivant tous les publicistes, d'être plus sujet qu'aucun autre aux agitations intestines et même aux guerres civiles, parce qu'il tend continuellement à changer de forme. On le pourra, dit notre collègue Carnot, lorsqu'un homme revêtu d'un grand pouvoir, et ayant acquis, par ses services éclatans, un grand ascendant sur l'esprit de la nation, voudra user à cet effet de son influence sur l'opinion générale, comme Bonaparte pouvait le faire après la signature du traité d'Amiens. Quoi! notre collègue croit de bonne foi qu'un homme, quelque puissant

qu'il soit, peut établir sur des bases solides un gouvernement essentiellement sujet à des troubles intestins? Mais cela implique contradiction. Oui, sans doute, il formera bien une constitution, il en deviendra même, si l'on veut, le premier magistrat; mais par cela seul qu'elle sera populaire, il sera en butte aux attaques de l'ambition qui voudra le supplanter ; et si l'on ne peut pas se servir de son ouvrage pour le renverser, on attaquera son ouvrage lui-même; on en fera plier les principes dans le sens le plus favorable aux changemens qu'on aura projetés; on les violera ; et pendant toutes ces agitations les magistrats, étant plus occupés de veiller à leur propre défense que de gouverner, laisseront introduire l'anarchie dans la République, et nous offriront nécessairement bientôt l'exemple des vices des gouvernemens que nous avons éprouvés. Et qu'on ne prétende pas que nous faisons ici des suppositions dénuées de fondement; elles sont établies sur l'expérience. Nous avons vu le Directoire exécutif et les partis avec lesquels il était en opposition invoquer tour à tour et violer les mêmes principes constitutionnels, suivant que cela convenait à leurs intérêts: ici on adoptait les élections faites par la majorité; là on les repoussait pour adopter celles de la minorité; aussi le système des scissions s'était-il établi dans les assemblées électorales de tous les départemens. Cela ne tenait pas seulement à la faute des gouvernans; cela tenait à la Constitution elle-même, qui ouvrait le champ à tous les ambitieux, et donnait par conséquent licu à la formation de leurs partis.

» Si l'on dit que les Etats-Unis d'Amérique nous offrent maintenant l'exemple d'une République sagement constituée, et qui n'est exposée à aucune des secousses dont nous venons de parler, nous répondrons, comme notre collègue Delpierre l'a déjà fait avec beaucoup de force et de raison, qu'il n'y a aucune comparaison à faire entre un peuple encore presque neuf, dont la majorité, éparse sur un territoire immense, et s'occupant presque uniquement d'agriculture, conserve toute la simplicité de ses mœurs primitives, et une nation parvenue depuis longtemps au plus haut degré de civilisation, et où le besoin des richesses s'est introduit avec le luxe, et la corruption des mœurs avec le luxe et le besoin des richesses. Dans celle-ci le commerce, l'industrie, le luxe et la dissipation sont autant de causes continuelles qui détruisent l'égalité des fortunes ; et de cette inégalité naissent les ambitions et les moyens de les satisfaire aux dépens de la liberté et de la tranquillité publiques, lorsque le champ leur est ouvert par la constitution même de l'état, et qu'il n'y a pas un pouvoir assez vigoureux pour les contenir : dans l'autre, au contraire, la simplicité des

mœurs tend constamment à conserver cette égalité, оц du moins à ne pas la rendre nécessaire à la tranquillité de l'Etat, et à modérer les désirs ambitieux des individus. Cependant, malgré les circonstances, et le mérite personnel du président actuel des Etats-Unis ; malgré les services importans qu'il a rendus et qu'il vient de rendre encore à son pays, l'approche de l'époque où l'on doit nommer à ses fonctions a excité déjà des brigues et des cabales qui ont fixé l'attention publique. Puissent les habitans de ces heureuses contrées s'en tenir longtemps à ces moyens encore peu dangereux! Mais ne nous flattons pas que nous serions en général assez dégagés d'ambition pour les imiter en pareil cas.

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Quoi qu'il en soit, la fâcheuse expérience que nous avons faite du gouvernement démocratique eut du moins cet avantage qu'en l'an 8 elle nous ramena au système nécessaire, et dont nous éprouvons de si heureux effets, de l'unité de pouvoir et d'action dans les mains du premier consul. Mais, comme si les hommes qui se sont écartés de la vérité étaient condamnés à parcourir le cercle de toutes les erreurs avant de revenir au point qu'ils ont eu l'imprudence de quitter, notre retour au système de gouvernement le plus convenable à la France ne fut qu'incomplet; on méconnut la nécessité de l'hérédité du pouvoir dans la même famille : les événemens et la force des choses nous y ramènent aujourd'hui ; et ce sont nos ennemis qui nous la font sentir par leurs attentats réitérés contre la personne du magistrat suprême dont l'autorité tutélaire, dans l'ordre actuel des choses, serait nécessairement suspendue après sa mort, au moins pendant tout le temps indispensable pour élire ou confirmer son successeur.

» Cette circonstance seule suffirait pour nous éclairer sur le défaut de stabilité de notre gouvernement tant qu'il sera fondé sur le système électif, quand même les dangers et les inconvéniens de ce système ne nous seraient pas connus; car si, comme personne n'en doute, nos ennemis craignent surtout le génie de Bonaparte, ses talens et même sa fortune, ils craignent aussi la nation, qu'ils aimeraient mieux voir se déchirer de ses propres mains que de courir contre elle les chances des combats. Ils ne fondent donc pas seulement leurs espérances sur la mort du premier consul: ils les fondent aussi sur les rivalités que l'ambition pourrait exciter après sa mort entre nos guerriers, dont ils sont incapables d'apprécier le désintéressement et le dévouement à la patrie; ils comptent sur les troubles intérieurs, sur les guerres intestines qui en seraient la suite inévitable si leurs affreux calculs se réalisaient, et sur les ébranlemens politiques de toute espèce que les passions ambitieuses ne man

queraient pas d'exciter dans cette circonstance, dont l'idée seule est alarmante, et dont ils s'empresseraient de profiter pour l'accomplissement de leurs funestes projets.

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Il n'y a que l'hérédité qui puisse les déjouer et prévenir les dangers que des exemples assez récens ne nous permettent pas de regarder comme chimériques. Quel est l'homme qui, pensant aux déchiremens que le système électif a fait éprouver à la Pologne, ne craindrait pas d'exposer son pays à de si grands malheurs? Si les faits ne parlaient pas encore plus haut que les autorités, nous rappellerions ici aux partisans de ce système les argumens irrésistibles que Mably, dont ils ne contestent pas sans doute l'attachement aux principes de la liberté, adressait à la confédération de Bar pour lui prouver qu'il importait à la Pologne de rendre sa couronne héréditaire; parce que, disait-il, indépendamment du silence des lois et des troubles intérieurs durant un interrègne, par une action réciproque, l'élection amène un mauvais règne, et un mauvais règne prépare une élection vicieuse.

» En vain dira-t-on que les agitations politiques tiennent le peuple éveillé sur ses droits, et préviennent les abus du pouvoir; les Français, éternellement en proie aux mêmes désordres, se lasseraient de défendre une ombre de république qui deviendrait à charge à tous les citoyens, et ne produirait que des despotes et des esclaves.

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» Ainsi les Anglais, dans l'avant-dernier siècle, après bien des efforts inutiles pour établir chez eux la démocratie, fatigués des agitations que ces essais infructueux leur avaient causés, se virent forcés de se reposer dans le gouvernement même qu'ils avaient proscrit.

» Les Français ne sont point réduits à cette fâcheuse nécessité. Non, ce ne sera point en faveur d'une dynastie dégénérée, transfuge, et traître à la patrie, que nous rétablirons l'hérédité; et quelle que soit notre admiration pour le héros que la reconnaissance publique y appellera, nous ne lui sacrifierons point, comme on l'a dit, notre liberté pour prix de ses services. Jamais un vœu contraire aux principes sacrés de la souveraineté du peuple ne sortira du sein du Tribunat, et celui que nous nous proposons d'émettre en ce moment n'a pour objet que de consolider les institutions qui seules peuvent garantir à la nation l'exercice de ses droits,

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» Est-ce donc sacrifier la liberté publique que de donner au gouvernement que le peuple a institué la stabilité nécessaire pour garantir l'Etat des secousses qui ameneraient infailliblement le retour de l'anarchie et du despotisme? Interrogez tous les Français, et demandez-leur à quelle époque ils ont été

réellement le plus libres depuis 1792: ils vous répondront tous, oui tous, sauf les malfaiteurs, et les perturbateurs de l'ordre public, que c'est depuis que le gouvernement est remis dans les mains d'un seul, c'est à dire depuis le 18 brumaire an 8. Hé bien, que proposons-nous ? C'est de consolider ou de perpétuer cet ordre de choses; car il ne s'agit pas de conférer à qui que ce soit le pouvoir absolu; ce vœu impie ne peut entrer dans le cœur d'aucun de nous; et quand même nous serions assez lâches pour le former, il serait repoussé avec indignation par tous les Français: il le serait, n'en doutons pas, par celui-là même en faveur de qui nous l'aurions formé.

» Non, il n'est plus au pouvoir d'aucune puissance humaine de rétablir désormais le despotisme en France autrement que par la lassitude de l'anarchie. La nation a repris l'exercice de sa souveraineté; elle ne se dessaisira point de ses droits, qui trouveront toujours des défenseurs dans le Sénat, dans le Corps législatif, dans le Tribunat et dans le gouvernement lui-même, qui saura les respecter et les maintenir.

» Ainsi tout ce qui existe sera conservé ou amélioré; la nation continuera d'exercer sa souveraineté par l'organe des représentans qu'elle aura choisis pour l'interprétation et la conservation des lois fondamentales de l'Empire, pour la confection des lois civiles et criminelles, et pour le consentement des contributions publiques. Voilà les institutions dont le maintien et le perfectionnement sont l'objet de nos vœux. S'il en est quelques autres que la sage prévoyance du Sénat juge nécessaires pour la gloire et la sûreté de l'Etat, ou pour la garantie de la liberté civile, elles seront dignes de lui et du peuple pour l'intérêt duquel elles auront été créées.

» Mais que parle-t-on de noblesse et de priviléges héréditaires! Quel serait le Français, quel serait surtout le membre des premières autorités qui ne se trouverait pas suffisamment honoré du beau titre de citoyen? Non, il n'y aura plus parmi nous d'autre distinction que celle que donneront les vertus et les talens, d'autre considération que celle qu'on acquerra par les services personnels; et n'est-ce pas, nous le répétons encore, pour maintenir ces précieux avantages de la révolution que nous voulons consolider le gouvernement qui seul peut nous les garantir? N'avons-nous pas démontré qu'ils seraient perdus sans retour si, par suite de troubles inévitables sous un gouvernement faible et précaire, nous étions encore précipités dans une anarchie dont il est trop certain que nous ne pourrions sortir que pour retomber dans les bras du despotisme? Croit-on qu'un autre gouvernement que celui qui doit son élévation et qui devra son affermissement à l'ordre de choses qui nous a

XVIII.

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