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tions de l'ère républicaine parut être au moins un contraste: depuis plusieurs années les actes et papiers publics n'associaient plus le vieux style au nouveau; et pendant longtemps encore les noms des jours de la semaine resteront introduits dans les mois décadaires.

La proclamation du Concordat eut lieu avec une pompe alors inconnue à beaucoup de monde. Le Sénat, le Corps législatif et le Tribunat en corps, tous les fonctionnaires publics, enfin le premier consul, entouré d'une magnificence qui n'était pas républicaine, se rendirent à la cathédrale, au bruit de salves d'artillerie réitérées ; une messe fut célébrée pontificalement, et pour la première fois le temple de Notre-Dame retentit de ces mots: Domine, salvam fac Rempublicam; Domine, salvos fac consules. Un Te Deum fut chanté, et le premier consul reçut le serment des évêques. Le programme de cette cérémonie portait qu'elle avait pour objet la paix générale et la paix de l'Eglise; tous les citoyens s'y trouvèrent ainsi appelés; et le ministre de l'intérieur, Chaptal, ouvrit en effet un concours aux artistes pour faire consacrer, par des médailles, des tableaux et des groupes en sculpture, les deux époques du traité d'Amiens et de la loi sur les cultes.

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Le même jour les consuls publièrent la proclamation suivante :

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Français, du sein d'une révolution inspirée par l'amour de la patrie éclatèrent tout à coup au milieu de vous des dissensions religieuses, qui devinrent le fléau de vos familles, l'aliment des factions et l'espoir de vos ennemis.

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Une politique insensée tenta de les étouffer sous les débris des autels, sous les ruines de la religion même. A sa voix cessèrent les pieuses solennités où les citoyens s'appelaient du doux nom de frères, et se reconnaissaient tous égaux sous la main du Dieu qui les avait créés ; le mourant, seul avec la douleur, n'entendit plus cette voix consolante qui appelle les chrétiens à une meilleure vie, et Dieu même sembla exilé de la nature.

Mais la conscience publique, mais le sentiment de l'in

dépendance des opinions se soulevèrent, et bientôt, égarés par les ennemis du dehors, leur explosion porta le ravage dans nos départemens ; des Français oublièrent qu'ils étaient Français, et devinrent les instrumens d'une haine étrangère.

» D'un autre côté les passions déchaînées, la morale sans appui, le malheur sans espérance dans l'avenir, tout se réunissait pour porter le désordre dans la société.

» Pour arrêter ce désordre il fallait rasseoir la religion sur sa base, et on ne pouvait le faire que par des mesures avouées par la religion même.

» C'était au souverain pontife que l'exemple des siècles et la raison commandaient de recourir pour rapprocher les opinions et réconcilier les cœurs.

» Le chef de l'Église a pesé dans sa sagesse et dans l'intérêt de l'Église les propositions que l'intérêt de l'État avait dictées; sa voix s'est fait entendre aux pasteurs : ce qu'il approuve, le gouvernement l'a consenti, et les législateurs en ont fait une loi de la République.

» Ainsi disparaissent tous les élémens de discorde; ainsi s'évanouissent tous les scrupules qui pouvaient alarmer les consciences, et tous les obstacles que la malveillance pouvait opposer au retour de la paix intérieure.

» Ministres d'une religion de paix, que l'oubli le plus profond couvre vos dissensions, vos malheurs et vos fautes; que cette religion, qui vous unit, vous attache tous par les mêmes nœuds, par des noeuds indissolubles, aux intérêts de la patrie!

Déployez pour elle tout ce que votre ministère vous donne de force et d'ascendant sur les esprits; que vos leçons et vos exemples forment les jeunes citoyens à l'amour de nos institutions, au respect et à l'attachement pour les autorités tutélaires qui ont été créées pour les protéger; qu'ils apprennent de vous que le Dieu de la paix est aussi le Dieu des armées, et qu'il combat avec ceux qui défendent l'indépendance et la liberté de la France!

Citoyens qui professez les religions protestantes, la loi a également étendu sur vous sa sollicitude. Que cette morale, commune à tous les chrétiens, cette morale si sainte, si pure, si fraternelle, les unisse tous dans le même amour pour la

patrie, dans le même respect pour ses lois, dans la même affection pour tous les membres de la grande famille!

>>

Que jamais des combats de doctrine n'altèrent ces sentimens, que la religion inspire et commande !

Français, soyons tous unis pour le bonheur de la patrie et pour le bonheur de l'humanité! Que cette religion qui a civilisé l'Europe soit encore le lien qui en rapproche les habitans, et que les vertus qu'elle exige soient toujours associées aux lumières qui nous éclairent! »

La réorganisation de l'instruction publique fut ensuite soumise aux législateurs; et, selon les opinions, on eut lieu de s'étonner ou de s'applaudir qu'après l'acte solennel de réconciliation avec la cour de Rome la religion ne soit pas devenue une des bases du nouveau projet : deux tribuns, Carrion-Nisas (1) et Daru, aperçurent là un

(1) Carrion-Nisas, entrainé par ses souvenirs comme par une trop facile éloquence, improvisa à ce sujet un discours qui anima pendant quelques momens la discussion; d'abord il s'éleva avec une grande véhémence contre les apôtres de la philosophie, puis fit un tableau touchant de l'éducation monastique : « Eh! s'écria-t-il, qui pourrait » blâmer le charme que plus d'un esprit excellent éprouve en se rap>> pelant ces maisons d'étude et de paix ! Qui n'a jeté plus d'un regard >> et plus d'un soupir vers les jours et les lieux de l'enfance! Qui ne » s'est senti mille fois ramener par une involontaire rêverie dans >> l'ombre religieuse des cloitres et le mélancolique silence des dor» toirs !... La postérité notera la dernière moitié du dix-huitième siècle >> comme une époque de maladie pour l'esprit humain. Un homme » parut entre plusieurs autres qui sembla prendre à tâche de rassem >> bler en lui toute l'inconstance et toute l'inconséquence de l'homme... » Il eut une influence prodigieuse sur son siècle : c'est à lui que >> nous devons cette funeste maxime d'éducation que tout homme » doit être propre à toutes choses, et que la même sagesse doit être >> commune à tous!... Les principes de Rousseau sont incompatibles » avec toute espèce de police sociale, et les sentimens qu'il inspire sont >> encore plus dangereux, s'il est possible, que ses principes... Mais » appartient-il à la patrie française, lui qui a toujours pris soigneuse» ment le titre de citoyen d'un état alors étranger à la France ?... » Le tribun Girardin crut devoir défendre la mémoire de Jean-Jacques. (Séance du 6 floréal an 10.)

grand vide ou un grave oubli. Un orateur du gouvernement, Roederer, a répondu

:

« Les personnes qui observent avec intérêt l'action et le jeu des pouvoirs publics, et leurs rapports avec les institutions, ont remarqué avec satisfaction l'indépendance où celle-ci se trouve relativement à une autre institution collarale à laquelle elle était autrefois affiliée, et qui vient de renaître elle-même. Nul autre système d'enseignement public n'eût été compatible avec cette indépendance. Il eût été impossible d'établir en France des milliers d'écoles secondaires et d'y réunir tous les élèves qui ont besoin de l'instruction de cet ordre, si l'on y eût aussi enseigné la religion. L'expérience a prouvé que la plupart des pères de famille voulaient que leurs enfans fussent élevés dans les principes de leur culte, et qu'ils préféraient les écoles salariées par eux-mêmes, où l'on enseignait leur religion, aux écoles gratuites qui ne l'enseignaient pas. Mais si le gouvernement s'était chargé de la religion dans les écoles secondaires, devenues nationales, il aurait fallu remettre l'enseignement au sacerdoce des divers cultes; il aurait fallu mettre un enseignement pour chaque culte avoué par l'Etat dans chaque école; il aurait fallu en écarter les enfans dont les parens sont attachés à un autre culte. On sent assez combien de raisons détournaient d'un pareil système, et combien il eût été imprudent de l'adopter.

» L'instruction publique et la religion sont et doivent être deux institutions différentes, qui concourent au même but par les moyens qui leur sont propres, et qui sont loin de s'exclure mutuellement. L'instruction et la religion étaient également réclamnées par l'intérêt public: la philosophie, qui rétablit l'une, a aussi rappelé l'autre, car c'est elle qui a tendu les bras à la religion; et cetie grande restauration, que quelques gens regardent comme le triomphe de l'une des deux, fait assurément la gloire de l'une et de l'autre. »

« La religion, ajouta le tribun Jard-Panvilliers, la religion, sans cesser d'être l'objet du respect des législateurs, ne doit plus être celui de leurs discussions. La tribune nationale ne doit point s'emparer du domaine de la chaire évangélique. »

Le projet de loi sur l'instruction publique avait été présenté le 30 germinal, par le conseiller d'état Fourcroy. Plusieurs tribuns ont parlé pour; quelques uns sur, mais en se bornant à des remarques indépendantes de son admission; un seul, Duchesne, prononça une opinion contre. Le Tribunat, conformément à un rapport fait par Jacqueminot au nom de la section de l'intérieur, vota son adoption le 8. floréal, à la majorité de quatre-vingts voix contre neuf.

Reporté au Corps législatif, ce projet fut défendu par les conseillers d'état Fourcroy et Roederer, et encore appuyé par les orateurs du Tribunat Siméon et Jard-Panvilliers. Dans la séance du 11 floréal an 10 (1er mai 1802), il obtint pour son adoption définitive les suffrages de deux cent cinquante-un législateurs; il y eut vingt-sept boules noires.

On doit encore à la seconde session de l'an 10 l'établissement de la Légion d'Honneur. Cette délibération eut de graves résultats ; l'opposition républicaine échoua dans ses derniers efforts. Mais elle fut bientôt justifiée des superbes dédains jetés alors sur ses patriotiques alarmes : elle annonçait le retour des priviléges et des majorats; elle voyait renaître l'ambition des titres et le mépris des vertus, enfin la noblesse héréditaire; et ce malheur s'est rapidement consommé.

Le projet de loi portant création d'une Légion d'Honneur fut présenté au Corps législatif le 25 floréal par le conseiller d'état Roederer, et renvoyé le 27 à l'examen des tribuns (1). Dès le 28 le Tribunat entendit, par l'organe de Lucien Bonaparte, un rapport très peu développé de sa commission de l'intérieur, qui concluait à l'adoption de ce projet. La discussion s'ouvrit aussitôt : Savoye-Rollin parla contre; Fréville pour; Chauvelin contre; Carrion-Nisas pour. Le rapporteur, dans une réplique qui s'éloignait du respect dû à la liberté des opinions, insista avec chaleur pour faire triompher l'avis qu'il avait été chargé d'émettre; (1) Le 26 était un dimanche.

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