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XC. Exemple de l'appetit sensible qui eft

en nors.

Mais ces appetits, ou fi je les ofois ainfi appeller, ces volontez fenfibles, paroiffent clairement dans l'exemple que j'ai rapporté. Car en lifant, non-feulement nous remarquons fort bien les lettres, mais auffi nous les parcourons toutes. Nous mouvons les yeux à propos pour lire tous les mots les uns après les autres. Nous revenons après avoir parcouru toute la ligne ; nous tournons le feuillet, après que la page eft finie ; & tout cela fe fait avec dépendance des perceptions, & par la détermination qui fuit des objets que nous avons remarquez, puis qu'en effet, nous ne mouvons la tête pour recommencer une ligne, finon parce que nous avons remarqué que nous avions achevé de parcourir la precedente. Et ce font ces mouvemens qui fe font ainfi en conféquence des perceptions & des connoiffances fenfibles, que nous appellons des volontez fenfibles, ou, pour parler plus régulierement, des actes de l'appetit fenfitif.

XCI. A la verité, les Bêtes n'agissent pas par des principes plus parfaits

que nous.

Nous difons donc, qu'à la verité il ne faut pas attribuer aux Bêtes rien de plus que ce qui fe trouve dans les hommes. Les Animaux peuvent fans doute faire tous leurs mouvemens de la même maniere, ou par les mêmes prin

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cipes que nous faifons les nôtres dans plufieurs de ces rencontres, où il y a infiniment plus d'industrie que dans tous les mouvemens des Bêtes. Et certainement, il ne feroit point raifonnable de vouloir que le bruit que fait un chien en abboyant, fe faffe avec plus de connoiffance que le fon des paroles d'un Prédica,

teur.

XCII. Mais qu'elles agiffent auffi par des principes à peu près femblables

mes,

aux nôtres.

Mais auffi,à confiderer la grande reffemblance qui fe trouve entre la maniere d'agir des animaux & celle des hommes;il faut dire,fans dou te, qu'elle procede à peu près des mêmes principes dans les uns & dans les autres. N'eft-il pas vrai qu'un chien voit fon maître, & que dans la foule il le diftingue de tous les autres homde la même maniére que nous voyons les lettres dans un livre, & que dans une fi grande. multitude nous les diftinguons les unes des autres? Pourquoi donc ce chien s'adrefferoit-il à cet homme plûtôt qu'à un autre s'il ne l'avoit vû & diftingué de la forte? Pourquoi lui feroit-il tant de careffes? Pourquoi donneroitil tant de fauts extraordinaires, des marques par d'une fi grande allegreffe, fi en le reconnoiffant il n'avoit reffenti quelque impreffion, qui le détermine à faire tous ces treffaillemens, du moins en la maniere que nous reffentons quelque impreffion qui nous détermine à mouvoir les en yeux lifant, fans que d'ailleurs nous y faflions aucune reflexion? Il est donc indubi

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table que tous ces mouvemens du chien qui s'a proche, qui faute, & qui careffe fon maître procedent du fentiment qu'il a eu, & qu'ils fe font en confequence de la vûë, c'est-à-dire, par la détermination des connoiffances fenfibles qui ont precedé, de la même maniere que les mou vemens de nos yeux & de nôtre tête se font en conféquence de la vûë que nous avons euë des lettres, & du difcernement fenfible que nous en avons fait. Ainfi, il y a dans cette Bête des connoiffances & des appetits fenfibles, puifqu'elle voit, qu'elle fent, qu'elle diftingue les. objets, & qu'elle agit en conféquence de ces fentimens.

XCIII. Les raifons des nouveaux Philofophes prouvent bien que les Bêtes n'ont point de connoiffances fpirituelles.

Les raifons qui ont été alleguées ci-dessus, pour montrer que les Bêtes ne fçauroient avoir des connoiffances, à moins qu'elles ne fuffent pourvûës de raifon & d'une ame spirituelle, n'ont auffi nulle force après le difcernement que nous venons de faire des deux fortes de connoiffances. Car il eft bien vrai, que pour les connoiffances fpirituelles, qui furviennent pour l'ordinaire dans nos fentimens mêmes, il faut un principe indivifible, dont la force & réner gie étant répandue dans toutes les parties du corps, faffe que tous les divers fentimens foient néanmoins apperçus par cet indivifible principe: ce qui ne pouvant convenir à un principe materiel, nous concluons, fuivant le raifonnement de faint Gregoire de Nyffe, que nous.

avons une ame spirituelle, puifque nous experimentons que ce nous, qui fent dans toutes les diverfes parties du corps, eft un nous entiérement indivifible; & que le même nous qui voit, eft auffi le même nous qui touche, ou qui entend.

XCIV. Mais elles ne prouvent rien à l'égard des connoiffances fenfibles.

Mais à l'égard des connoiffances fenfibles, il n'en eft pas de même comme il n'y a là aucune reflexion, par laquelle l'animal puiffe fe dire à lui-même, je voi, je touche, je fens auffi il n'eft nullement neceffaire que ce principe qui le fait ainfi voir & fentir, foit indivifible; il peut être repandu par tout le corps, & même il peut quelquefois fe divifer, lorfque l'on coupe l'Animal en pièces, de même façon que le principe qui donne la vie aux Plantes fe peut partager, lorfqu'on arrache un rejetton d'un Arbre, & qu'on le tranfplante.

XCV. Les perceptions fenfibles peuvent être fans liberté & fans raison.

Davantage, il eft vrai que cette reflexion indivitible que nous faifons fur nos pensées fpirituelles par ces penfées mêmes, eft quelque chofe de fi relevé & de fi au-deffus de la portée des corps, qu'il n'eft pas poffible d'imaginer une fubftance materielle, pour fubtile & pour penetrante qu'elle foit, qui puiffe en venir là. İl eft encore trés-veritable, que ces pensées ne peuvent proceder que d'une fubftance, qui foit aufli pourvûë de la faculté de raifonner, de dé

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liberer,de vouloir,de fe déterminer : ce font des fuites indifpenfablement neceffaires, & qui nous convainquent aisément, que nous, qui experimentons en nous toutes ces facultez, nous fommes pourvûs d'un principe plus parfait que tout ce qu'on peut imaginer de corporel,c'est-à-dire, d'une ame fpirituelle. Mais pour les connoiffances fenfibles, rien de tout cela n'eft requis. Ce font des operations qui ne font pas au-deffus de la matiére: les objets ne font que des corps & des corps finguliers qui font actuellement prefens,qui agiffent fur les organes des fens, & qui y caulent de certaines émotions. Le principe qui exerce le fentiment, le fait à la verité d'une maniere admirable, & fi vous voulez, incompre henfible; mais enfin il le fait fans cette refle xion, & fans cette attention, qui feule eft le caractere de la fpiritualité de nôtre ame,& aink ce peut être un principe materiel,

XCVI. Il est vrai ce que dit Ariftote, que le corps des Animaux eft une machine.

L'autorité d'Ariftote ne favorife nullement les nouveaux Philofophes. Car lors qu'il dit que les animaux font comme des machines an tomates, il ne dit rien, de quoi tout le monde ne demeure d'accord. Il n'y a perfonne qui ne reconnoiffe en effet que le corps des Animaux eft une machine admirable, pourvûë d'une infinité de petits refforts, qu'un Ouvrier infiniment induftrieux a arrangez avec une adresse incomprehenfible. Nous convenons tous en ce point; & il ne s'agit que de fçavoir a outre

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