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plus restreint, le moment précis de la consécration, au dogme de la présence réelle. Ce dogme de la consubstantiation expose le culte luthérien à l'outrage spécial que vous nommez sacrilége quand il est dirigé contre la religion catholique. Les luthériens auraient donc, dans votre système, besoin comme les catholiques, à cause d'un dogme spécial, d'une protection spéciale. Vous ne la leur accordez pas. L'homme qui profanera le mystère luthérien ne sera puni que comme perturbateur, celui qui profanera le mystère catholique sera puni comme sacrilége. La position des deux cultes est pourtant identique. Pourquoi cette différence? Pourquoi? c'est que votre principe n'est pas d'accorder à chaque dogme spécial unė garantie spéciale, mais de conférer un privilége à une seule croyance (1)...>>

Confusion de la loi civile et de la loi religieuse, mépris avoué de l'égalité proclamée par la Charte: tels sont les deux caractères de cette loi réclamée, a-t-on dit, par les cours royales, et que ces cours persistent à tenir en dehors de notre législation comme de nos mœurs.

(1) Chambre des députés, séance du 7 avril 1825.

CHAPITRE X.

De l'égalité civile et politique.

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Le droit de croire, de laisser voir sa croyance, de l'exposer, de la discuter, de la soutenir la meilleure et la seule vraie, de la pratiquer, de ne pouvoir être contraint à aucun acte religieux, de n'être jugé et puni que pour les faits qui troublent l'ordre social, ne constitue pas pour l'individu toute la liberté religieuse. Il faut encore essentiellement que sa croyance ne lui fasse perdre aucun de ses droits de citoyen, comme elle ne doit l'exempter d'aucun de ses devoirs. Il faut qu'il soit sur la même ligne que les autres membres de la cité, que sa religion ne soit pour lui ni un titre d'exclusion, ni un titre d'admission. S'il en était autrement ce serait faire acheter par l'inégalité une liberté que nul ici-bas n'a le droit de vendre; ou bien ce serait punir, par des privations, des pensées et des actions qui ne sont justiciables d'aucune puissance humaine.

« Je ne vois pas de raison, dit Paley, pour que les hommes de différentes croyances religieuses ne s'asseient pas sur le même banc, ne délibèrent pas dans le même conseil, ne combattent pas dans les

mêmes rangs aussi bien que les hommes qui diffèrent d'opinion sur un sujet quelconque d'histoire naturelle, de philosophie et de morale. » est difficile, en effet, de concevoir pourquoi le croyant ne deviendrait pas magistrat, ou pourquoi le magistrat ne pourrait pas professer le culte que sa conscience adopte. On ne conçoit pas surtout comment l'une ou l'autre de ces interdictions pourrait se concilier avec la liberté religieuse. Aussi ce principe si philosophique, consacré par la Charte, que tous les citoyens sont égaux devant la loi, et également admissibles à tous les emplois, sans aucune distinction de croyance, est-il la conséquence nécessaire de la séparation de la loi civile et de la loi religieuse, comme il en est ensuite le gardien.

Partout où l'ordre civil et l'ordre religieux sont indépendans l'un de l'autre, partout où la cité n'est point gouvernée par la foi ni la foi par la cité, la loi civile ne peut priver de tout où partie de la vie politique celui qui adhère ou qui n'adhère pas à telle ou telle croyance, sans être coupable d'inconséquence. N'est-ce pas entrer sur le domaine de la conscience que d'interroger le symbole auquel un citoyen s'est attaché pour en faire dépendre l'intégrité de ses droits? N'est-ce pas confondre les deux ordres de choses que l'on a séparés?

¿Partout, au contraire, où le magistrat est pon tife, où le souverain est tout à la fois gardien des

intérêts civils et des intérêts religieux, où l'église et l'état sont confondus sous la même direction, là sont éminemment citoyens ceux qui se rapprochent le plus du symbole légal; tandis que ceux qui s'en éloignent, s'éloignent aussi de la cité, sont privés des droits et des avantages dont jouissent les premiers. Il y aurait plus de justice sans doute mais autant d'inconséquence de la part du législateur à ne point distinguer les dissidens des conformistes par des inégalités civiles, sous ce système politique, qu'à souffrir ces inégalités après avoir reconnu la liberté des cultes.

Ainsi dans les temps où nos rois s'intitulaient les protecteurs de la foi, où la religion catholique était incorporée à la loi, les catholiques seuls jouissaient de la plénitude des droits de cité qui existaient alors. Nul ne pouvait remplir aucune charge de judicature dans les cours, bailliages, sénéchaussées, prévôtés et justices du royaume, ni celles de hauts justiciers, même celles de maire, d'échevin ou autres officiers municipaux; nul ne pouvait être greffier, notaire, procureur, huissier, sergent de quelque juridiction que ce pût être, ni être reçu dans aucuns offices ou fonctions publiques, qu'il n'eût une attestation du curé de sa paroisse constatant qu'il professait actuellement la religion catholique apostolique et romaine. Sans cette attestation on ne pouvait non plus obtenir aucune licence en droit ou en médecine (1); on

V. Déclaration du 13 décembre 1696, art. 13 et 14; décla – ration du 14 mai 1724, art. 12 et 13.

ne pouvait être reçu chirurgien, apothicaire, sage-femme, imprimeur, libraire, etc. (1).

Ainsi en Angleterre où le roi est en même temps chef de l'église et de l'état, on retrouve des prohibitions identiques; en substituant l'église catholique à l'église anglicane, on pourrait se croire en France. De même que le roi catholique prive des droits politiques ses sujets protestans, de même le roi anglican exclut d'une foule de fonctions publiques ses sujets papistes (2). Des deux côtés on est conséquent, car des deux côtés le principe est le même la confusion du temporel et du spirituel, le mépris de la conscience des peuples, l'adoption d'un symbole obligatoire pour tous les fonctionnaires, pour tous ceux qui voudront exercer leurs droits de citoyens.

pas

Grace à Dieu, ce principe théocrațique n'a réussi à se glisser dans notre législation. On n'aurait jamais pu faire reculer la France jusque là; l'égalité était déjà trop vieille parmi nous; ses racines étaient

(1) V. déclaration du 20 février 1680; arrêt du conseil du 15 septembre 1685, et déclaration du 14 mai 1724, art. 14. (2) Si l'on veut se donner une idée de l'esclavage qui pesait sur les catholiques d'Irlande en particulier, on n'a qu'à lire un acte de Georges III, destiné à les réhabiliter en partie, et intitulé: An act for the relief of his Majesty's papish or roman catholic subjects of Ireland. Par les nombreuses interdictions que cet acte de faveur renferme (art. 9), on pourra juger de la rigueur de ceux rendus ouvertement contre eux. Il est rapporté en entier dans An historical review of the state of Ireland by Plowden, 2 vol, 1 part. 421 p.

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