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LIBERTÉ RELIGIEUSE

EN FRANCE.

PREMIÈRE PARTIE.

DE LA LIBErté religiEUSE DANS SES RAPPORTS AVEC

L'INDIVIDU.

1

CHAPITRE PREMIER.

De la croyance.

Les relations de l'homme à la Divinité sont de deux sortes.

Les unes purement morales, purement spirituelles, ont la pensée pour instrument et pour terme; elles ne vont pas au-delà du cœur. Les autres au contraire sont extérieures et visibles; elles sont des faits qui tombent sous les sens. Par les premières, l'homme croit; par les secondes, il rend ses semblables confidens ou témoins de sa croyance. Celles-ci sont la manifestation, l'exposition, la discussion de la doctrine, le culte enfin que l'homme religieux pratique pour se rendre

la Divinité favorable ou pour se fortifier contre lui-même.

Puisque l'état de l'homme religieux est double, puisque, considéré dans ses rapports avec la Divinité, l'homme est tantôt un être pensant, tantôt un être agissant; c'est aussi sous ce double point de vue qu'il convient d'examiner le principe de la liberté religieuse.

Et d'abord, dans une législation qui admet ce principe, quelle doit être l'action de la loi sur la pensée religieuse.

S'il est une vérité certaine, c'est que la contrainte ne pouvant jamais produire que des faits, la croyance échappe absolument à son action. On ne tire pas des coups de fusil aux idées, a dit Rivarol, c'est par le raisonnement qu'il faut les combattre. Cependant c'est sur le principe contraire que s'appuient, sans se l'avouer, peut-être, tous les partisans de l'intolérance (1). Il faut nécessairement qu'ils espèrent atteindre la pensée à travers les sens, autrement les privations qu'ils imposent, les châtimens qu'ils infligent à l'homme dont la croyance religieuse diffère de la leur, ne seraient que les plus cruelles tyrannies; elles n'auraient d'autre but que de faire souffrir. C'est pour

(1) Et si aliqui per annum contumaces in excommunicatione persistant, ex tunc temporaliter compellantur redire ad ecclesiasticam unitatem, ut quos a malo non retrahit timor Domini saltem pœnæ temporalis, disait Louis IX dans son ordonnance de 1228.

éteindre l'hérésie en France que nos rois se sont rendus les complices ou les instrumens de tant de religieuses atrocités. Et ce but est le plus honorable qu'on puisse supposer aux efforts de ceux qui de nos jours travaillent à rendre la religion catholique dominante et exclusive. Leurs menées sourdes, leurs espérances contre la plus chère de nos libertés, ne pouvant trouver d'autre excuse auprès des gens de bonne foi, on me pardonnera de m'arrêter sur une vérité si frappante d'évidence.

La loi ne peut vaincre la résistance que par la contrainte; la force, voilà son dernier argument. Il faudra donc si elle veut que ses prescriptions ne soient vaines, qu'elle ne prescrive rien qui ne puisse se résoudre en un fait; il faudra qu'elle s'abstienne de commander à la pensée, car la pensée est au-delà de son action, son indépendance est absolue. Il est impossible à l'homme de croire par cela seul que la crainte ou l'intérêt le lui commande; sa conscience est au-dessus de sa volonté comme au-dessus de la loi (1). Libre par sa nature, elle ne cède qu'à elle-même. Vous contraindrez la parole à se placer sur les lèvres; jamais la pensée à pénétrer dans le cœur. La douleur, ou la crainte, pourront faire qu'on déclare vrai ce qui est faux; elles ne feront pas qu'on le croie. Les lèvres du martyr agiront

(1) « La volonté, quelque absolue et quelqu'indépendante qu'on la suppose, ne manque jamais d'obéir aux décisions de l'entendement. Locke, De la conduite de l'esprit dans la recherche de la vérité.

comme jadis celles de l'accusé dans les angoisses de la question.

Arrêté par l'impossibilité d'imposer la vérité, le législateur l'est aussi par son incapacité à la discerner. Il est sans plus de lumières à cet égard que chacun de ses sujets, et il a moins d'intérêt à ne se point tromper que chacun d'eux.

L'inévidence des religions et la faillibilité du pouvoir sont deux réalités qu'il faudrait pouvoir effacer avant que d'accorder à la loi le droit de décider ce qui est vrai, en matière de foi, et ce qui ne l'est pas. Quelle sagesse y aurait-il à déposer l'usage de sa raison pour s'en remettre aveuglément à une raison non moins faillible. Aussi le dogme de l'infaillibilité du pape, quelque ridicule, quelque monstrueux qu'il paraisse, est-il une nécessité pour les catholiques. Tant que ce dogme ne sera pas descendu dans les lois des peuples, tant que leurs législateurs ne seront que des hommes de passage et de circonstance créant pour le présent des règles que l'avenir n'accepte jamais, contre lesquelles il se débat toujours; le pouvoir ne saura se dire l'organe de la vérité. Il n'a pas le dépôt exclusif de l'intelligence et de la raison; à quel titre se prétendrait-il celui de la vérité ? A combien d'erreurs et de sottises la raison n'aurait-elle pas été condamnée si elle eût dû souscrire à toutes les décisions du pouvoir. Que de vérités contradictoires répandues dans le monde, et chacune pourtant vérité absolue et immuable.

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