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viduelle appliquée à la religion, qu'elle consacre; c'est le droit de professer sa religion, c'est-à-dire de se rassembler pour la pratique des cérémonies qu'elle commande. L'individu ne serait pas libre si, pour faire un acte essentiel de liberté, il devait au préalable en obtenir la faculté du magistrat. Quoi! parce que le mot chacun figure dans l'article 5 de la Charte, son auteur aurait voulu limiter ainsi la liberté des cultes? Mais ce mot a la même portée que le mot nul de l'article 62 (1), que les mots tout homme de la constitution de 1791 (2), et le mot nul encore de celle de l'an III (3). Ce n'est pas à l'individu que la Charte arrête et borne la liberté religieuse, c'est au contraire jusqu'à lui qu'elle la porte et l'étend, afin de faire clairement entendre que chacun est le seul juge de sa religion sur cette terre, et que nul ici-bas n'a le droit de lui en demander compte; que ce n'est pas seulement les églises ou sociétés religieuses qui sont libres, que c'est encore les membres de ces grands. corps qui s'en peuvent séparer librement.

S'il en était ainsi qu'on le prétend, que serait venu faire parmi nous l'article 5?Quel bienfait nouveau nous aurait-il apporté? Etait-il besoin de son secours pour assurer à chacun le droit d'adorer,

(1)« Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels, » (2) « La constitution garantit à tout homme la liberté d'exercer le culte auquel il est attaché. »

(3) « Nul ne peut être empêché d'exercer, en se conformant aux lois, le culte qu'il a choisi. »

chez soi, au sein de sa famille, le Dieu que lui révélait sa raison? Le domicile du citoyen n'étaitil pas, légalement, libre avant lui? Il fut un temps, il est vrai, où, sous prétexte de servir un Dieu de miséricorde et de paix, la vie de famille était espionnée, gênée, tourmentée de mille façons; où le domicile était violé, où le citoyen au lit de mort était forcé de retenir son dernier soupir pour entendre la menace des vengeances du ciel, ou des supplices de la terre s'il ne succombait pas tant de cruautés. Mais ces jours sont heureusement bien loin de nous; la Charte n'était pas attendue pour mettre un terme à de pareils actes de persécution; tout autre était sa mission. Avant elle, la liberté religieuse avait été plusieurs fois inscrite sur nos Codes, et n'en avait pas été effacée.

Le Code pénal, selon cette doctrine, serait plus libéral que la Charte; ses articles 291 et suivans: permettaient les assemblées religieuses, même celles secrètes, pourvu que le nombre de leurs membres ne dépassât pas vingt; tandis que la liberté de la Charte ne s'étendrait pas au-delà de la famille. Dans ce sens étroit l'article 5, loin de donner une garantie nouvelle à la liberté, n'aurait fait au contraire que raccourcir la chaîne qui l'entravait. Mais cette interprétation est évidemment fausse. La Charte a voulu consacrer le culte extérieur et visible; elle a voulu protéger le culte public que les croyans d'une même secte professent en commun dans des édifices consacrés à la prière; elle a dé

claré libres les actes religieux enfin qui, par leur publicité, tombent dans le domaine de la loi, et non pas ces actes privés que les lois les plus tyranniques n'ont atteints jamais qu'en hésitant.

Comment d'ailleurs les partisans de cette doctrine n'ont-ils pas vu que l'induction qu'ils tirent du mot chacun est aussitôt détruite par le mot égale que renferme l'article 5. « Chacun, y est-il dit, professe sa religion avec une égale liberté, etc. » Non seulement c'est la liberté pour chacun, mais une égale liberté qu'il promet. Il ne considère les religions que comme des occasions égales de l'exercice de la même liberté; quelles qu'elles soient, les citoyens qui les pratiquent étant égaux devant la loi, ils doivent les professer avec la même liberté. L'article 5 est presque la conséquence nécessaire de l'article 1er.

Si vous prétendez enchaîner mon culte à mon foyer, m'interdire d'élever à mon Dieu un temple où puissent monter vers son trône mes chants mêlés aux chants de mes coréligionnaires, où puissent se célébrer en commun les mystères sacrés de ma foi, je ne professe pas ma religion avec liberté, puisqu'elle exige ces adorations communes, ces assemblées de prières et de sacrifices qui me sont défendues. Ma croyance n'est libre que dans mon ame où l'on ne saurait l'atteindre; par les actes qui la rendent saisissable, elle est esclave. L'application de la Charte m'est donc déniée. Mais qu'on se rappelle que l'article 5 promet l'égalité à

toutes les religions, et que si le mot chacun détruit la liberté pour mon culte, le mot égale la détruit pour tous. Ainsi les catholiques, les luthériens, les calvinistes et les juifs ne sauraient légalement unir leurs voix pour célébrer les mystères de leur religion, si cette profession commune est interdite au mahométan, à l'anabaptiste, au quaker, au louiset ou à tout autre.

Il suffit, je pense, d'avoir indiqué que cette doctrine conduit nécessairement à l'esclavage pour tous ou à la liberté par privilége, pour en avoir fini avec elle. J'ai cru devoir une réfutation particulière à cette opinion, que le nom de M. Lanjuinais recommandait naturellement, et qui d'ailleurs a trouvé des représentans dans les cours du royaume. Il me reste à examiner celles qui se fondent sur la combinaison des lois secondaires avec la Charte.

Ces lois secondaires sont les articles 291 et 294 du code pénal de 1810, sur lesquels s'appuient les partisans de l'autorisation préalable; ces articlesportent:

« 291. Nulle association de plus de vingt personnes, dont le but sera de se réunir tous les jours ou à certains jours marqués pour s'occuper d'objets religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu'avec l'agrément du gouvernement, et sous les conditions qu'il plaira à l'autorité publique d'imposer à la société, etc. »

«< 294. Tout individu qui, sans permission de l'autorité municipale, aura accordé ou consenti

l'usage de sa maison ou de son appartement, en tout ou en partie, pour la réunion des membres d'une association même autorisée, ou pour l'exercice d'un culte, sera puni d'une amende de 16 fr. à 200 fr. »

Et puis la loi du 7 vendémiaire an 4 (29 septembre 1795), dont l'article 17, est ainsi conçue :

« L'enceinte choisie pour l'exercice d'un culte sera indiquée et déclarée à l'adjoint municipal, dans les communes au-dessous de cinq mille ames, et dans les autres aux administrations municipales du canton ou arrondissement. Cette déclaration sera transcrite sur le registre ordinaire de la municipalité ou de la commune, et il en sera envoyé expédition au greffe de la police correctionnelle du canton. Il est défendu d'user de ladite enceinte avant d'avoir rempli cette formalité. »

En présence de ces textes, trois opinions s'élèvent: suivant l'une, la loi du 7 vendémiaire an 4 (19 septembre 1795) aurait été abrogée par le code pénal, dont les dispositions toujours en vigueur, sous le règne même de la Charte, se concilieraient parfaitement avec la liberté que celle-ci promet; c'est celle de la cour de cassation.

Suivant une autre, la loi du 7 vendémiaire an 4 n'aurait point été abrogée en totalité, son article 17 aurait subsisté à côté des articles 191 et 294 du code pénal qui n'auraient jamais eu pour objet le culte public d'une religion, mais les associations secrètes, les clubs politiques et religieux, le droit

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