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une corne à leur bonnet pour faire honneur au catholicisme. S'il y avait un costume civique légalement établi, on pourrait, logiquement du moins, condamner ceux qui en porteraient un différent; mais lorsque chacun n'est soumis qu'aux caprices de la mode ou de son goût, lorsque chacun peut revêtir tel costume qu'il lui plaît pourvu qu'il n'ait rien de contraire à la décence, il est difficile de concevoir pourquoi le costume religieux serait seul proscrit; c'est un costume de fantaisie, comme celui du quaker, qui ne doit appeler ni priviléges ni proscriptions.

Il faut penser aujourd'hui que ce n'est pas seulement le droit des sectateurs nouveaux de s'assembler dans un édifice public ou privé pour s'y livrer en commun à la prière, mais que c'est encore celui des hommes religieux d'une même église de se rapprocher en confrérie, en congrégation quels que soient leur nombre et leur costume, pourvu que les uns et les autres se conforment à la loi du 17 vendémiaire an IV, et à l'article 294 du Code pénal, sainement entendu. On ne saurait non plus contester en présence de la Charte le droit d'établir des chapelles domestiques et des oratoires particuliers; car ou ces chapelles sont destinées à recevoir une association religieuse, ou elles ne doivent servir qu'à un culte de famille. Dans le premier cas, il suffira d'obtenir l'agrément de l'autorité municipale, non pour l'érection de la chapelle, mais pour en consentir l'usage à une

association. Dans le second cas, il n'est aucune condition à remplir. Il doit être sans doute permis de disposer son habitation selon ses besoins ou ses goûts on n'est pas encore venu à ce point d'imaginer un appartement légal obligatoire pour tous. Lorsque chacun est maître d'avoir chez soi une salle de spectacle ou un boudoir, il est difficile de comprendre comment il lui serait défendu d'y avoir un oratoire ou une chapelle : ce serait pousser bien avant le despotisme.

La loi du 18 germinal an X avait cependant été jusque là. Cette loi qui blesse si vivement et par tant de côtés à la fois la liberté religieuse, avait interdit (article 44) d'établir des chapelles domestiques et des oratoires particuliers sans une permission du gouvernement; et cette prohibition avait été fortifiée par deux décrets impériaux (1). Mais ces dispositions sont aujourd'hui sans force; la Charte en a purgé notre législation.

expresse

Il est pareillement permis de se réunir dans la même demeure, de se placer sous l'invocation d'un saint, de prendre sa vie pour modèle et de lui rendre un culte particulier; comme il est permis de se réunir dans une maison de santé, dans une pension bourgeoise, pour y vivre sous un régime commun, d'après une règle commune, sous la direction du même médecin. Il n'importe que ces maisons communes soient désignées sous le

(1) V. décret du 22 décembre 1812; celui du 26 juin 1813, et l'avis du conseil-d'état du 9 novembre de la même année,

nom de couvens ou de pensions; ce qui est licite dans un cas ne saurait être un délit dans l'autre.

Qu'on laisse donc en paix toutes les associations quelle que soit leur règle, quel que soit leur patron, sauf à chacun à répondre de ses actes. Que si quelqu'un, jésuite ou oratorien, commet un crime, qu'on le punisse lui et ses complices s'il en a; que s'il publie par la voie de la presse ou par la prédication, des paroles non pas antigallicanes, car il est dans le droit de chacun de le faire, mais des paroles qui provoquent directement à la révolté, qui suscitent les peuples à renverser par la violence l'ordre établi, ou qui attentent aux mœurs publiques, qu'on le punisse. Jusque là qu'on laisse chacun libre, qu'on n'inquiète pas par des incapacités ceux dont on ne partage pas les doctrines. Si on les croit fausses, qu'on les combatte comme on combat la pensée, par la pensée; qu'on ne leur donne pas l'avantage d'une ́persécution; qu'on souffre enfin que chacun professe sa religion sous le nom et d'après la règle ́qu'il voudra choisir : c'est le vœu de la liberté.

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CHAPITRE III.

De la nature des sociétés religieuses.

Après avoir essayé d'établir le droit d'exister pour les sociétés religieuses, il me reste à rechercher ce qu'elles sont, quel est leur moyen d'ordre et de direction sur les membres qui les composent; quels sont enfin leurs droits et leurs devoirs envers la société politique au sein de laquelle elles

vivent.

Voyons d'abord ce qu'elles sont.

En se réunissant les hommes religieux n'ont mis en société que des croyances, que des espérances, que des pensées et que des volontés communes pour rechercher la vérité, la professer et la répandre. De pareils élémens ne constituent qu'une société spirituelle; spirituelle en elle-même et dans tout ce qui lui est propre; dans son objet, dans ses membres, dans son action, dans son principe et dans sa fin. Car elle n'a besoin des actes sensibles qu'à raison de la nature humaine qui ne permet pas à la pensée de se communiquer sans le secours des sens.

Le lien essentiel, le lien unique d'une pareille société, c'est la foi dans un symbole commun, c'est

une croyance religieuse commune. Il suit de là que lorsque le symbole s'altère pour quelques uns, lorsque leur croyance religieuse se modifie, le lien social se relâche ou se rompt pour eux, et qu'ils peuvent se retirer matériellement, par leur personne, d'une société, où leur présence physique n'était que le signe de leur rapport moral, et dont la seule séparation réelle, celle de la pensée, celle du cœur, est déjà faite à leur égard.

La société religieuse est donc spirituelle et libre; voilà son double caractère. Par société libre, j'entends dire que chacun est le maître de s'en séparer du moment qu'elle ne satisfait plus sa pensée religieuse; j'entends dire que chacun n'y entre et n'y demeure que parce qu'il croit à la sainteté de ses dogmes, à la pureté de ses pratiques et surtout à leur utilité pour son salut. C'est pour lui, pour lui seul, dans l'intérêt de sa vie future qu'il s'est rangé sous sa bannière; dès l'instant qu'il ne croit plus marcher vers ce but, en la suivant, il l'abandonne. Pourquoi ne le pourrait-il pas? Qui le retiendrait dans une société dont il ne pourrait sans crime et sans danger accomplir les devoirs ; dans une société qui, loin de le conduire au salut qu'il y était venu chercher, l'empêcherait d'y jamais arriver? Serait-ce l'intérêt de ses coassociés? Qu'importe à leur salut, son salut ou sa damnation? La route nouvelle où celui-ci s'engage ne les empêche pas de continuer celle qu'ils ont suivie jusqu'alors. Que tous les catholiques

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