Page images
PDF
EPUB

m

CHAPITRE X,

Du culte.

S'il est vrai que les églises soient des sociétés spirituelles ayant le salut de l'ame pour unique objet, travaillant pour un avenir que la société politique ne connaît ni ne comprend, l'autorité ne peut pas plus leur prescrire le culte qu'elles doivent pratiquer que le symbole qu'elles doivent

croire.

Pour se prétendre le droit de régler les cultes, d'ordonner la forme et le temps des prières, comme le faisaient les capitulaires et les ordonnances de nos rois, il faut s'attribuer un droit plus relevé : celui de maîtriser les intelligences, de commander aux cœurs. Car le culte n'a de valeur qu'autant qu'il est l'expression de la conscience; il n'est que le signe sensible d'une disposition de l'ame. Qu'importe que les lèvres prononcent des paroles disposées dans un certain ordre; qu'importe la position du corps, si ce n'est la conscience qui se manifeste; si derrière ces actes matériels vous cherchez en vain une pensée religieuse (1). Autant

(1)« La prière, dit Montaigne, est une voix trop divine pour n'avoir austre usage que d'exercer nos poulmons et plaire

vaudrait adopter les petits moulins à prières de ces peuples Mogols, dont parle M. BenjaminConstant.

<< L'adoration principale que l'homme doit à Dieu, dit Bayle (1), consiste dans les actes de l'esprit; car si nous concevons qu'un roi ne regarderait pas comme un hommage fait à sa personne par des statues la situation où le vent les poserait en les faisant tomber, par hasard, lorsqu'il passerait, ou bien la situation à genoux dans laquelle on mettrait des marionnettes; à plus forte raison doit-on croire que Dieu, qui juge sûrement de toutes choses, ne compte point pour un acte de soumission et de culte ce qu'on ne fait pour lui qu'extérieurement. >>

C'est donc à la conscience que le législateur s'adresse lorsqu'il prescrit un culte; il faut qu'il se croie la puissance et le droit de la contraindre, sous peine de n'exercer qu'une tyrannie ridicule et de n'ordonner qu'une parade impie. Or, c'est là une de ces vieilles illusions du pouvoir absolu, dont la raison a depuis long-temps fait justice. En proclamant la liberté religieuse, le législateur a solennellement confessé cette erreur; il a reconnu hautement son incapacité à discerner la vérité, et surtout son impuissance à la faire prévaloir. Com

à nos oreilles. C'est de la conscience qu'elle doit estre produitte, et non pas de la langue.» Essais, liv. 2, chap. 56.

(1) Commentaire philosophique sur ces paroles: Compelle intrare, 1 part., chap. 2.

re

ment pourrait-il donc retenir le gouvernement du culte, se prétendre le droit d'en régler la pratique? N'y aurait-il pas une contradiction choquante à déclarer les citoyens maîtres d'embrasser la religion qu'ils croient la plus agréable à Dieu, et à leur commander, en même temps, de lui déplaire par un culte qu'ils croient indigne de sa majesté, et plus propre à l'irriter qu'à le fléchir (1).

C'est à l'église elle-même, à l'église seule, à composer avec autorité les prières qu'elle se propose d'adresser au ciel; c'est à son gouvernement seul, gouvernement sans coaction, à régler l'ordre des chants et des sacrifices, à déterminer la langue, les vêtemens, les postures exigées dans le temple; à fixer le lieu et le temps des assemblées. Gardien des intérêts de la société, le législateur ne peut porter la main sur l'encensoir sans dénaturer le principe même de sa mission. Ou les lois par lesquelles il prescrit une discipline ne feront que réfléchir les commandemens de l'église, ou au contraire ce sera une discipline de sa façon que le législateur lui imposera. Dans le premier cas il corrompt le gouvernement religieux, en transformant en lois de simples conseils, en rendant civilement obligatoires des pratiques qui cessent d'avoir aucune valeur dès l'instant qu'elles cessent de s'appuyer sur la conscience; en substituant la force du glaive à la force de la pensée; en munissant

(1) V. Locke, Epist. de tolerant., 2o vol. de ses œuvres.

la parole de la doctrine de la terreur de la discipline, comme s'exprime le sixième concile de Paris. Dans le second cas, c'est sur le gouvernement religieux lui-même que la contrainte s'exerce; il n'est plus ici question de l'alliance du magistrat et du pontife, comme disent les gallicans; le pontife a disparu derrière le magistrat; celui-ci commande seul dans le temple. Dans les deux hypothèses la liberté religieuse est violée.

Cependant si l'on consulte le recueil des preuves des libertés de l'église gallicane, libertés, ce me semble, vantées outre mesure par des écrivains préoccupés encore des craintes qui agitaient le dix-huitième siècle, on y vera consacré dans les princes le droit de régler le culte et la discipline de l'église. On y justifie, ou plutôt on y cite comme exemples à imiter les capitulaires de Charlemagne qui prescrivent tantôt la manière de célébrer la messe, tantôt quelles personnes seront employées au service des autels. Mais ce qui était alors conséquent, quoique tyrannique, serait aujourd'hui tyrannique et inconséquent tout à la fois. Les princes étaient alors réputés par l'église elle-même les protecteurs et les gardiens de la discipline. « Soit <«< que la discipline soit augmentée, leur disait-elle, << soit qu'elle souffre du retardement, Dieu en de<< mandera compte aux rois, à la garde et à la pro«tection desquels il l'a confiée (1). >> Les rois

(1) Sixième concile de Paris.

avaient pris droit de ces paroles pour se mettre à la place de l'église.

Aujourd'hui les princes ne sont plus que les chefs de l'état, ils n'ont plus mission que de protéger les intérêts civils; la force sociale ne leur est confiée que dans ce but ; ils en abuseraient s'ils la détournaient sur les choses religieuses. Que signifie donc en présence de la liberté des cultes cette défense de toucher à ce qui existe et d'y rien changer sans permission, que la loi du 18 germinal an X adresse aux églises catholiques et protestantes (1)? Serait-il vrai qu'aujourd'hui la volonté ministérielle dût présider à la discipline des églises, la diriger, la faire, la pousser ou l'arrêter suivant son caprice? Je n'en crois rien. La liberté que la loi constitutionnelle consacre est précisément celle de changer de culte, de modifier sa discipline, de faire subir à l'un et à l'autre tous les changemens que la conscience ou la raison plus éclairée demandent. D'ailleurs ce droit de censure préalable qu'on accorderait au gouvernement en vertu d'une loi de l'empire, ne pourrait dans tous les cas atteindre que les églises qui y sont dénommées. Toutes celles qui sont venues plus tard et

(1) Articles organiques de la convention du 26 messidor an 9, article 39: « Il n'y aura qu'un catéchisme et qu'une li«turgie pour toutes les églises catholiques de France. »

Articles organiques des cultes protestans, article 5 : « Au• cun changement dans la discipline n'aura lieu sans la même autorisation (celle du gouvernement). »

« PreviousContinue »