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peut ètre inquiété pour ses opinions religieuses. Comment donc en présence d'un pareil principe, confirmé par toutes les lois postérieures, enraciné dans notre législation, pourrait-on légalement incriminer un homme qui ne croit pas, qui passe pour impie et qui s'avoue athée, mais qui respecte l'ordre public et les droits d'autrui?

CHAPITRE III.

De l'exposition et de la discussion des doctrines.

Ce n'est point assez pour l'homme de pouvoir choisir librement l'objet de son adoration, de concevoir et de laisser paraître qu'il a conçu autrement que les autres; il doit encore lui être permis d'exprimer sa pensée, de l'exposer, de la justifier par tous les moyens que la nature et la société lui procurent. La parole (1), ce sens social, cet instrument unique de nos relations morales et intellectuelles, doit être libre, parce que sans cette liberté l'homme isolé, pour ainsi dire, au milieu de ses semblables, perdrait presque tous les avantages de l'état social.

Si la libre communication de la pensée est un de ces droits naturels, un de ces droits absolus que les constitutions politiques sont plutôt appelées à protéger qu'à octroyer; c'est surtout lorsqu'elle s'applique aux croyances religieuses. C'est dans ce cas un devoir pour l'homme de publier sa pensée, de la répandre, de la soutenir, de la faire triom

(1) Ce mot comprend pour moi l'écriture et la presse, ainsi que tous les autres moyens de communiquer la pensée, découyerts ou à découvrir.

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pher; le silence est un crime pour celui qui croit avoir découvert la vérité; il la doit à tous. Aussi aurait-il une véritable contradiction à interdire d'exposer, de défendre sa doctrine et de discuter les doctrines contraires, après avoir reconnu la liberté de conscience. C'est ce que M. de Courvoisier, lui-même, faisait observer dans la discussion de la loi du 17 mai 1819. « Une loi, disait-il, qui reconnaît les divers cultes chrétiens et qui protége tous les autres, ne peut, sans se placer en opposition avec ses principes, prohiber à aucun d'eux l'expo+ sition et la défense de ses dogmes et de ses pratiques (1). » Aussi ce droit n'est-il plus ouvertement contesté aujourd'hui, on débat seulement sur son étendue.

Impuissante à discerner la vérité comme à l'imposer, la loi ne doit interdire sous peine de châtiment que ce qui apporterait dommage soit aux individus, soit à l'état; là elle doit s'arrêter. Permis à chacun d'émettre une doctrine, quelle qu'elle soit, de discuter et de combattre toutes les croyances émises quelles qu'elles puissent être; pourvu que dans la lutte il ne fasse pas injure aux personnes ; pourvu que ses coups ne portent que sur les idées et qu'il ne trouble ni l'ordre ni la paix publics. Permis à chacun de se tromper, l'erreur est un droit de l'examen.

Cette base ne paraît pas être celle de notre lé

(1) V. Chambre des députés, séance du 10 avril 1819.

gislation sur la presse. Pour peu qu'on l'examine de près, on la voit marcher entre deux principes opposés, celui de l'autorité et celui de la liberté, cédant tantôt à l'un tantôt à l'autre. Ainsi, d'un côté, forcée d'abaisser toutes les barrières devant l'action de la pensée, elle livre tout à la discussion et à l'examen; elle reconnaît qu'elle n'est point chargée de la défense des opinions; tandis que, d'un autre côté, comme épouvantée du danger que vont courir des idées et des croyances qui lui sont chères, elle permet le combat, mais se réserve le choix des armes et fixe les coups qu'on peut frapper.

Ainsi, dit-elle, vous pouvez douter de la vérité et de la sainteté des doctrines qui passent pour vraies et pour saintes dans l'opinion de la majorité; vous pouvez plus encore, vous pouvez penser qu'elles sont fausses, impies, et chercher à les anéantir; mais je vous défends d'en rire comme de grossières superstitions. Libre à vous de traiter telles cérémonies religieuses de criminelles idolâtres, mais gardez-vous d'en faire l'objet d'une plaisanterie. En un mot, je ne suis pas la protectrice des doctrines religieuses, mais je les protége contre l'outrage et la dérision.

Aux termes de l'article 8 de la loi du 17 mai 1819 (1), corrigé et augmenté par l'article 1er de

(1) « Tout outrage à la morale publique et religieuse, ou aux bonnes mœurs, par l'un des moyens énoncés en l'article premier, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an, et d'une amende de 16 fr. à 500 fr. »

la loi du 26 mars 1822 (1), chacun peut s'attaquer à la croyance religieuse la plus révérée et s'efforcer de montrer qu'elle est une absurdité; mais il le doit faire avec respect. Il peut nier par exemple la divinité du christianisme, la sainteté et la perpétuité de ses dogmes; mais son attaque et sa négation doivent être formulées comme s'il avait foi à ces choses. Il ne saurait les traiter avec moquerie, car elles sont saintes. Oui saintes pour ceux qui les professent et les défendent, et non pour ceux qui les attaquent et qui les nient. Faudra-til traduire Montesquieu en police correctionnelle pour avoir placé ces paroles dans la bouche d'un. persan : « Outre ce magicien (Louis XIV), il y a <«< un autre magicien plus fort que lui, qui n'est << pas moins maître de son esprit qu'il l'est lui-même << de celui des autres. Ce magicien s'appelle le pape: <«< tantôt il lui fait croire que trois ne font qu'un, << que le pain qu'on mange n'est pas du pain, que

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le vin qu'on boit n'est pas du vin, et mille autres «< choses de cette espèce. Et pour le tenir toujours « en haleine et ne point lui laisser perdre l'habi<<< tude de croire, il lui donne de temps en temps de

(1)« Quiconque, par l'un des moyens énoncés en l'article premier de la loi du 17 mai 1819, aura outragé ou tourné en dérision la religion de l'état, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d'une amende de 300 fr. à 6,000 fr.— Les mêmes peines seront prononcées contre quiconque aura outragé ou tourné en dérision toute autre religion dont l'établissement est légalement reconnu en France.

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