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Mais il ne s'agit pas ici de savoir si cette multiplicité de pratiques religieuses est contraire ou conforme à la saine raison; si elle exerce une influence favorable ou nuisible à la religion ellemême. Est-elle coupable? voilà toute la question; question qui, en vérité, n'en est pas une. Quand y aura-t-il multiplicité punissable? sera-ce au-delà de quatre, de cinq, de six solennités annuelles qu'elles commencera? c'est un point à fixer d'abord pour prévenir tout arbitraire. Il en serait, dans ce système, de la dévotion comme de l'usure, qui n'est un délit que par l'habitude: moins l'homme serait dévôt et moins il serait punissable; plus au contraire il multiplierait ses prières et les signes de sa foi, plus il s'approcherait du châtiment.

Pour qu'il y ait crime ou délit, il faut qu'il y ait atteinte portée à un intérêt légitime; il faut qu'il y ait tout à la fois infraction à la morale et dommage à la société. Où sont ici ces caractères? Quel intérêt légitime blesse-t-il, quelle loi de morale enfreint-il, l'homme qui, mettant le salut de son ame au dessus de tous les biens de ce monde, néglige ceux-ci pour s'attacher à celui-là; et qui, les nécessités de la vie physique une fois satisfaites, se concentre tout entier dans la vie religieuse? Fait-il autre chose que celui qui, ne comptant pour rien les promesses de la religion, voit le bon

escheller, ou pétarder, ils font leurs prières; l'intention et l'espérance pleine de cruauté, de luxure et d'avarice. » Essais, Liv. 1, chap. 56.

heur dans la richesse et la poursuit de ses efforts? L'un et l'autre travaillent pour leur plus grand bien; l'objet de leur recherche diffère seul. Le premier sacrifie un bonheur passager à un bonheur qu'il croit éternel; le second veut faire marcher de front l'espérance et la réalité; et sacrifie quelquefois une éternité pour lui douteuse à un présent dont il est sûr. Tous les deux obéissent à leur intérêt personnel; chacun d'eux l'entend différemment.

Dira-t-on, celui-ci l'entend bien, l'autre se trompe? En cherchant son bonheur, l'un fait le bonheur de ses concitoyens, il produit; l'autre ne fait que le sien propre; il consomme et ne produit pas. Eh bien! soit; il pourrait agir d'une façon plus directement utile aux autres; il se trompe. S'ensuit-il que son erreur soit un délit ? La richesse est-elle donc une vertu, et son défaut un crime? Sans contredit le travail est un devoir pour l'homme, mais seulement pour satisfaire à ses besoins d'existence et de progrès. La société a le droit incontestable non pas de l'ordonner, mais de le recommander, de le mettre en honneur, dele mettre aussi en nécessité en opposant le refus de ses produits à la paresse indigente, et la force de son glaive à la paresse déprédatrice. Le citoyen qui ne demande rien pour rien à la société, qui • se suffit, qui respecte toutes les propriétés, tous les droits, peut incontestablement disposer de ses facultés comme il l'entend, bien ou mal pour lui; pour une réalité ou pour une illusion, il n'im

porte; dans cette limite, il est le maître de placer son bonheur où il veut.

S'il en est ainsi, comment une église pourraitelle être coupable de conseiller ce qu'il est permis à chacun de faire? Ce sera un mauvais conseil, si l'on veut; mais non pas un conseil criminel; on pourrait agir avec plus de sagesse, mais non pas avec plus d'innocence. Au temps où c'était une obligation civile d'assister aux fêtes de l'église catholique, où ses commandemens venaient saisir le pauvre et l'agriculteur au milieu de leurs travaux les plus nécessaires, pour les traîner dans le temple, c'était sans doute un droit pour l'autorité qui leur prêtait l'appui de sa force, de ne l'accorder qu'à des presciptions qu'elle croyait raisonnables: autrement des intérêts sacrés auraient été violés. Le principe du protectorat des princes une fois admis la dépendance des églises en ce point était inévitable. Mais aujourd'hui que ces commandemens ne doivent avoir d'autre appui que la volonté de ceux à qui ils s'adressent, ils peuvent aller légitimement aussi loin que cette volonté pourrait aller elle-même. En redevenant purement spirituel, le gouvernement de l'église doit reconquérir son indépendance.

Voilà pour la question de doctrine. Quant à la question de droit elle appelle la même solution. Il n'existe aucune loi qui défende aux églises, en général, d'établir autant de fêtes qu'elles le jugeront convenable. Il en résulte qu'elles peuvent toutes

en instituer, à quelque nombre qu'elles s'élèvent. Je dis toutes, malgré l'article 14 de la loi du 18 germinal an 10 qui dispose, à l'égard de la religion catholique, qu'aucune fête, à l'exceptiou du dimanche, ne pourra être établie sans le permission du gouvernement; et malgré l'indult du 9 avril publié le 19 germinal an 10 (19 avril 1802), qui fixe à quatre le nombre de ces fêtes et le compose ainsi : la Nativité de Jésus-Christ, l'Ascension, l'Assomption de la Vierge, et la fête de tous les

Saints.

La Charte en proclamant l'égalité des cultes n'a pas voulu sans doute que les uns pussent à leur gré solenniser toutes les époques mémorables de leur croyance, tandis que cette faculté serait interdite aux autres. Cependant c'est ce qui arriverait nécessairement, si l'église catholique seule était arrêtée par la loi du 18 germinal an 10 dans une carrière ouverte aux autres. En proclamant la liberté, elle n'a pas entendu non plus que les églises fussent rangées sous la verge que l'empire avait voulu tenir levée sur l'église catholique; qu'elles fussent obligées à demander au pouvoir la permission de rendre grace à Dieu, à lui faire agréer la forme de leur culte et le nombre de leurs prières. Le spirituel alors aurait dépendu du temporel; la liberté n'aurait pas existé. Elle a donc abrogé toutes les lois antérieures qui consacraient, plus ou moins directement, la confusion des deux principes qu'elle a séparés; la prééminence de l'un sur l'autre.

CHAPITRE XI.

Du mode de convention et du culte extérieur..

Des principes que j'ai rappelés dans le chapitre qui précède il résulte que c'est un droit incontestable pour le gouvernement religieux de fixer le temps et le lieu des cérémonies du culte, et d'appeler les fidèles à leur participation; mais quel sera le mode de cette convocation? Pourra-t-il les employer tous indifféremment? Non, sans doute; les droits d'autrui viennent ici, comme ailleurs, borner la liberté des sociétés religieuses. Elles ne peuvent avoir des crieurs, des tambours, des trompettes ou des cloches qu'autant que l'usage de ces instrumens pourra se concilier avec les exigences légitimes de la police. On conçoit très bien qu'il puisse importer au repos de la cité qu'aucune proclamation ou convocation publique n'appelle les religionnaires à la pratique de leur culte.

Où en serions-nous, si toutes les associations. qui se forment dans le sein de nos villes annonçaient leurs assemblées par des cris ou par le bruit d'instrumens éclatans? Il peut y avoir de la poésie dans le son des cloches, mais, avant tout, il y a du bruit; et ce bruit est parfois intolérable. On

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