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Peut-être serais-je parvenu à le rendre moins imparfait, si j'eusse différé sa publication; mais un sentiment facile à comprendre me fesait une loi de ne pas tarder plus long-temps. Puisse le public me tenir compte de mes efforts, et accueillir cet essai avec la même indulgence que la Société qui l'a provoqué; puisse surtout la conviction qui l'a dicté passer dans l'esprit du lecteur.

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NOTIONS PRÉLIMINAIRES.

Avant de rechercher les applications diverses que le principe de la liberté religieuse est destiné à recevoir dans nos lois, il convient, ce me semble, de le constater, de le décrire. Il compte encore aujourd'hui assez d'adversaires qui nient son existence ou qui restreignent sa portée, pour qu'il soit nécessaire d'en reconnaître l'étendue, d'en fixer la réalité.

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Les uns, qui ne regardent le présent qu'à travers le passé, n'aperçoivent dans l'article 5 de la Charte: «< chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection, » qu'une voie pour arriver à l'article 6: cependant la religion catholique, apostolique et « romaine est la religion de l'état. » A leurs yeux c'est ce second article qui renferme le principe; le premier n'exprime qu'une exception dérogatoire qu'il faut resserrer dans les limites les plus étroites. (1)

(1) « La religion catholique, dit la Charte, est la religion de l'état; ses dogmes font partie des lois de l'état; l'état ne fait « que tolérer les autres cultes; l'état croit à la religion catholi

« que, il la professe, il lui confie ses destinées. L'état donne

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Les autres reconnaissent le principe de la liberté religieuse, mais ils l'étranglent et l'empêclrent de se développer, en l'appliquant exclusivement à l'action intérieure de la conscience séparée du culte dont ils abandonnent l'existence à l'arbitraire de l'autorité (1).

D'autres enfin prétendent qu'en proclamant la liberté religieuse, le législateur a permis à chacun de choisir son Dieu et de pratiquer le culte qui exprimerait le mieux sa pensée religieuse; mais qu'il a en même temps fait de ce choix une nécessité et ordonné à chacun d'adopter un symbole (2).

Ces adversaires ne sont pas les seuls; il en est d'autres encore d'autant plus redoutables qu'habitués à défendre nos libertés, ils ont plus de crédit pour attaquer celle-ci. Jaloux à l'excès de l'indépendance de l'individu, ceux-ci prennent parti pour lui contre l'église et poussent l'autorité publique entre le gouvernement religieux et ses sujets. Peu soucieux au contraire de l'indépendance des églises et redoutant leur opposition aux franchises nationales, ils s'efforcent à les affaiblir,

«bien l'hospitalité aux autres religions qu'il tolère; mais cette « tolérance n'exclut pas une foi unique aux vérités du catho«licisme.» M. Menjaud-Dammartin, réquisitoire dans le procès du Courrier-Français.

(1) V. arrêt de la Cour de Metz, du 29 décembre 1826. (2) V. arrêt de la Cour de Paris, du 27 décembre 1828, dans l'affaire Dumonteil.

et ne trouvent jamais trop courte la chaîne qui les retient à l'état. Les entreprises du sacerdoce contre l'empire, voilà leur mot d'ordre; la constitution civile du clergé, voilà leur modèle.

Ces opinions diverses et opposées viennent de ce que, avant tout, on ne se rend pas compte de la réalité du principe proclamé par la Charte. Ce principe n'est autre que celui de la séparation complète du temporel et du spirituel; car la Charte, d'accord avec la révolution, consacre la liberté religieuse, et liberté religieuse ou séparation réelle, pour l'individu comme pour l'église, de la loi divine et de la loi humaine, c'est la double face d'une même idée. L'une est le principe pur, théorique, abstrait; l'autre le principe appliqué, mis en œuvre. Ou tout au moins cette indépendance mutuelle de la religion et de l'état est la seule forme sous laquelle la liberté religieuse puisse se produire complète; l'une ne peut exister sans l'au tre; elles sont si intimement unies qu'il est presque permis de les confondre en une seule, comme on confond dans l'homme l'intelligence et les organes qui la desservent.

L'homme n'est justiciable de la loi civile que pour les faits qui affectent l'ordre social; pour tout le reste il est indépendant. Il peut croire, douter, nier; il peut agir en conséquence de ses croyances, les mettre en pratique, et ses actions ne peuvent être arrêtées qu'autant qu'elles blessent quelque intérêt légitime.

J.

Voilà le principe de la liberté religieuse, celui que la Charte proclame, celui dont je m'efforce dans cet essai de déduire les conséquences, de présenter les développemens. Je n'ai ni à le justifier, ni même à l'établir; c'est une vérité légalement acquise qu'il ne s'agit plus aujourd'hui que de mettre en pratique.

Pour comprendre tout ce que ce principe a de sagesse, il suffit de jeter les yeux sur la nature des lois civiles et sur celle des lois religieuses, sur leurs sujets et sur leur but.

La loi religieuse toute spirituelle s'adresse à des volontés libres et veut être exécutée librement ; c'est la conscience qu'elle gouverne, c'est pour une vie qui ne commence qu'au-delà du tombeau, qu'elle réserve ses châtimens et ses récompenses. La loi civile toute temporelle, sachant triompher des volontés par la coactions, ne comprend que les actions, et seulement dans leur rapport à l'ordre social; elle agit actuellement, et ne saurait rien remettre; le temps est pour elle ce que pour l'autre est l'éternité. L'une règle nos rapports avec la Divinité, l'autre nos rapports avec nos semblables; l'une se propose le salut de l'ame, le bonheur d'une vie éternelle; l'autre la conservation des biens de ce monde et le bonheur fugitif qu'on y peut goûter (1). « Ce sont, dit M. Berville, deux

(1) Regium imperium quietem publicam, episcoporum sollicitudo felicitatem æternam hominibus procurat, testante apos

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