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raient que la nation ne salarie aucun culte, que les communes ne peuvent, en nom collectif, acquérir ni louer de local pour l'exercice des cultes, et qu'il ne peut être établi aucune taxe pour acquitter les dépenses d'aucun culte ou le logement des ministres (1).

Avant ces lois, la constitution civile du clergé (2) et après elle la loi du 18 germinal an 10, qui mêlaient par plus d'un point l'église avec l'état, regardaient les ministres du culte catholique comme des fonctionnaires publics, et les salariaient en conséquence.

La Charte a été dictée par un esprit différent. Son auteur a pensé que la mission du pouvoir était de reconnaître tous les besoins légitimes, de les agréer et de les satisfaire. Il a reconnu que l'exercice du culte catholique et des autres cultes chrétiens étaient un véritable besoin pour la majorité du peuple français, et il a décrété que ces cultes seraient entretenus aux frais du trésor public.

Sans contredit les gouvernemens doivent satisfaire les besoins des peuples, mais les besoins qui sont communs à la nation et que la nation n'a pas

le moyen de satisfaire par elle-même; autrement le citoyen ne serait plus qu'un être passif, qu'une sorte de machine à payer l'impôt. C'est à lui de faire tout ce qui peut s'exécuter sans danger pour

(1) V. art. 2, 3, 8 et 9 de la loi du 3 ventose an 3; titre 4, art. 7 de celle du 7 vendémiaire an 4.

(2) Loi du 12 juillet 1792, tit. 2, art. 1er.

l'ordre public; c'est à lui d'entretenir les ministres de son culte; car cette action directe de sa part n'a et ne peut avoir aucun inconvénient pour la paix de la société. L'exemple des cultes non salariés par l'état en est une preuve manifeste. En agissant ainsi, non seulement on laisse chacun maître de l'administration d'une affaire personnelle, dont il est juge en dernier ressort, mais encore on respecte le droit des dissidens.

Dans tous les cas, et si l'on pensait qu'il importe au gouvernement de salarier les ministres des cultes, d'abord parce que le peuple entendrait mal à se pourvoir lui-même et n'y parviendrait pas sans trouble et sans danger, ce que je suis bien loin de croire; et ensuite parce qu'il peut par là gagner la confiance de ses commettans, ce serait du moins pour lui un devoir d'entretenir, autant que cela serait possible, les ministres de tous les cultes, quels que fussent d'ailleurs leur date et le nombre de leurs sectateurs. Il n'y a pas moins d'injustice à contraindre, en France, les non-chrétiens à soutenir les temples du Christ, qu'il y en a en Angleterre à faire peser sur les catholiques l'entretien des ministres anglicans.

CHAPITRE III.

Du pape et des concordats.

Le pape n'est pas seulement le chef d'une monarchie élective, l'un des plus faibles princes de la terre, il est encore le chef visible de l'église, le premier parmi les évêques. En vertu de son premier titre, il revêt la pourpre, il prend les insignes de la royauté, il a un territoire, des soldats, des tribunaux, des sujets. Comme successeur de StPierre, il se nomme le serviteur des serviteurs de Dieu; il est dépositaire et gardien de la foi de l'église. Comme prince, il a des ambassadeurs, comme pontife il a des légats.

Les relations avec le pape changent donc de nature et d'objet selon qu'on se place devant le prince ou devant le pontife, selon qu'on agit avec la cour de Rome ou avec le saint-siége. On ne peut se séparer du saint-siége sans cesser d'être catholique, parce qu'il est le centre de l'unité de la foi, du moins ainsi l'enseigne l'église; on peut rompre avec la cour de Rome et lutter contre elle, comme on le pourrait faire contre la cour d'Autriche ou celle d'Angleterre, sans cesser d'être uni avec le saintsiége. On peut mépriser les ordres du prince sans

cesser de révérer la parole du père des fidèles. La puissance du pape comme chef des états romains s'arrête à la frontière; sa souveraineté temporelle finit avec son territoire. Son autorité spirituelle, puissance d'opinion, ne connaît pas plus de limites territoriales que la pensée. Tout membre de l'église est sujet du saint Père; les habitans du territoire des états romains sont seuls assujettis au gouvernement du prince.

C'est là une de ces vérités triviales, à force d'évidence, qu'on est presque honteux de répéter et qu'on regrette surtout de voir si souvent méconnaître. On la méconnaît ou on l'oublie chaque fois qu'on parle de faire un concordat avec Rome, ou de régler les rapports de l'état avec elle autrement qu'avec les autres cabinets. La cour de Rome considérée comme puissance politique n'est pas d'une autre nature que les autres cours de l'Europe. Comme elles, elle est soumise à la triple application du droit des gens, du droit positif et de la force; comme elles, elle a des intérêts temporels à défendre, des droits à débattre, des prétentions à soutenir. Ce sont là des rapports à régler, mais à régler avec elle, par les mêmes voies qu'avec les autres puissances.

Quant aux droits de l'église, ils ne sauraient être l'objet de conventions diplomatiques. « Que des intérêts temporels soient réglés par des traités dont il ne sort que des effets temporels, tout se passe dans l'ordre naturel, et parmi les intéressés;

mais qu'un acte d'où il sort des effets spirituels, un acte mi-partie religieux et politique, et plus encore de la première nature que de la seconde, dépende exclusivement d'un acte diplomatique, soit cimenté à part du pouvoir ecclésiastique et des intéressés; voilà, je l'avoue, ce qui dépasse ma conception propre, et peut-être aussi celle de beaucoup de monde » (1).

Dépositaire d'intérêts politiques, chargé d'affaires d'une nation et non pas d'une église, le gouvernement n'a mission que pour régler ce qui touche à ces intérêts, et il ne le peut faire qu'avec un pouvoir de la nature du sien, c'est-à-dire avec le chef des états romains. Le pontife n'a que faire dans ces démêlés temporels. S'agit-il d'un besoin de l'église, par exemple, de pourvoir à l'institution des évêques, au nombre des ministres, à la juridiction canonique, etc., le pontife est compétent, mais l'état ne l'est pas. S'agit-il, au contraire, d'un intérêt temporel, de la possession d'Avignon par exemple, l'état est compétent, le chef des états romains l'est aussi, mais le pontife ne l'est pas.. C'est sur la confusion de ces qualités diverses que reposent tous les concordats.

Au temps où l'église était dans l'état et l'état dans l'église, où les princes étaient tout à la fois chefs d'une société politique et chefs d'une société religieuse, les concordats étaient une conséquence

(1) M. de Pradt, Des quatre Concordats, t. 1

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