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croyances qu'elle les protêge ou les prohibe, c'est à titre d'actions légitimes ou criminelles. Comme toutes les autres les actions religieuses sont sujettes de la loi. Celle-ci doit proscrire et réprimer tous les actes coupables, quels que soient les lieux où ils se commettent, un temple ou une place publique; quel que soit le principe qui les crée, l'immoralité ou le fanatisme.

Elle ne doit prohiber aucune action religieuse, à moins qu'elle ne blesse l'ordre social ou les droits des particuliers; et dans ce cas ce n'est point comme action religieuse qu'elle l'interdit et la condamne, mais seulement comme action coupable (1). La liberté ne permet pas qu'une action innocente en elle-même et légitime comme acte de la vie privée, puisse être interdite dans l'exercice d'un culte. Elle ne permet pas non plus qu'un acte innocent soit proscrit de la vie civile parce qu'il serait condamné par une croyance quel

conque:

D'un autre côté la loi, dans l'intérêt d'une croyance, ne peut imposer des prescriptions spéciales, civiles ou religieuses, aux citoyens libres de partager ou de ne point partager la religion du législateur. Active et passive à la fois, la liberté veut pouvoir faire toute action qui ne blesse aucun intérêt légitime, et en même temps s'abstenir de toute pratique religieuse qui n'a point

(1) V. Principes de politique, par M. Benjamin-Constant, p. 279.

sa racine dans la conscience; qui loin d'être l'expression vraie de la foi la blesse et la contredit.

Ainsi, à bien prendre, la liberté religieuse ne souffre ni lois prohibitives ni lois prescriptives. La loi qui prohiberait un acte religieux comme acte religieux, ne lui serait pas moins hostile que celle qui le prescrirait au même titre; tandis qué la loi qui commanderait l'accomplissement d'un devoir social qui aurait un caractère religieux aux yeux de quelques uns, ne serait pas plus contraire à la liberté que celle qui condamnerait un acte nuisible à la société, bien qu'il eût un principe religieux. La loi prescriptive du recrutement, par exemple, qui fait marcher à la guerre les quakers comme les autres citoyens, malgré leur scrupule religieux, ne blesse pas plus la liberté religieuse que ne le ferait la loi prohibitive qui condamnerait les sacrifices humains.

En sorte que l'on est conduit à dire que si d'un côté l'homme religieux n'est jamais, en cette qualité, justiciable de la société civile, qu'elle ne saurait lui imposer ni lui défendre aucune action à ce titre; d'un autre côté ce caractère d'homme religieux ne détruit pas la qualité de citoyen et ne le soustrait à aucune des lois soit prescriptives soit prohibitives créées dans un intérêt social et politique, et prises dans l'ordre des rapports des hommes entre eux. Cette dernière condition me paraît essentielle, car il ne suffirait pas qu'une action, née des rapports de

l'homme avec la divinité, fût utile à la société pour que la loi pût en prescrire l'accomplissement; autrement le législateur pourrait rendre obligatoire telle pratique du culte qui lui semblerait profitable à l'état.

Ce principe de l'indépendance absolue de l'homme religieux consacré par les lois de la révolution que j'ai citées plus haut, est confirmé par l'article 5 de la Charte. « Chacun professe sa re

ligion avec une égale liberté, et obtient pour <«< son culte la même protection. » Cet article n'assure pas seulement la liberté de la conscience séparée du culte, mais la liberté de la religion tout entière, avec ses actes secrets et inviolables de la pensée et ses adorations publiques. Il assure la profession, l'exercice, la pratique de la religion et non pas seulement le droit d'y croire, comme l'a décidé, à tort, la Cour de Metz (1). Car professer une religion ce n'est pas croire seulement, c'est agir; c'est tout à la fois en approuver les dogmes et la morale, les rites et la discipline, et les pratiquer publiquement. Que deviendrait l'égalité promise, si l'un ne pouvait faire ce qui serait permis à l'autre; leur droit est le même, leur sort doit être le même aussi.

La Charte aurait employé les mots de liberté de conscience au lieu de ceux de profession religieuse, qu'elle devrait recevoir encore la même application; parce que lorsque la loi parle elle (1) V. l'arrêt du 29 décembre 1826.

est présumée vouloir faire plus que déclarer législativement une vérité philosophique; ce sont des droits positifs, pratiques, qu'elle reconnaît, et non des facultés théoriques. Mais la Charte a prévenu toute contestation raisonnable, elle a parlé des usages, des habitudes, des pratiques extérieures, du culte enfin, parce que ce sont là des actes susceptibles d'opposition et de trouble qui peuvent avoir besoin de la protection de la loi.

Cette indépendance de l'homme religieux est blessée par plus d'une loi secondaire, les unes prohibitives, les autres prescriptives. Celles-ci sont ouvertement hostiles à la liberté; c'est par leur texte même qu'elles s'y opposent; elles ne se justifient que par des motifs qui, pour avoir été déduits avec habileté, peut-être, par un commissaire du roi, ne s'en présentent pas plus naturellement à l'esprit des justiciables; tandis que les premières n'y sont contraires que par leur motif, et ce motif est bien moins apparent, bien moins saisissable que le texte lui-même de la loi. Aussi l'article 5 de la Charte a-t-il plus à souffrir des lois prohibitives que des autres. Je ne connais, à proprement dire, qu'une seule loi prescriptive, c'est la loi du serment; car l'obligation de tapisser le devant des maisons sur le passage des processions, et de leur rendre honneur, ne s'appuie sur aucune loi.

Examinons d'abord ces deux obligations; nous parcourerons ensuite les diverses prohibitions fondées sur des motifs religieux.

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CHAPITRE V.

Du serment.

Au temps où la religion catholique était loi de l'état en France, où l'on posait en principe que le souverain était aussi le directeur des consciences, il était conséquent qu'il pût imposer tous les actes religieux qu'il jugeait nécessaires au salut de ses sujets. Il lui était permis, à plus forte raison, d'emprunter à la religion des pratiques qu'il transportait dans la vie civile pour y produire des effets civils. Tel était le serment. Mais aujourd'hui que la liberté religieuse est inscrite en tête de nos Codes, le législateur peut-il légitimement conserver l'une des conséquences d'un principe qui n'existe plus? Je ne le saurais croire.

Le serment consiste à prendre Dieu à témoin de la vérité d'un fait ou de la sincérité d'une promesse, et à se soumettre à sa vengeance dans le cas de mensonge ou d'infidélité. C'est un acte de religion, disent les jurisconsultes (1), Divini nominis attestatio. A côté de l'art. 5 de la Charte il doit pro

(1) V. Recueil de jurisprud. canon. de Guy du Rousseaud de la Combe, v serment. - Lois civiles de Domat, liv. 3, tit. 6, sect. 6. Pothier, Des obligations, part. 1, chap. 1, art. 8,

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