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CHAPITRE VI.

Des processions, de l'obligation d'y assister, de tendre le deyant des maisons et de se découvrir sur leur passage.

La législation de l'ancienne monarchie qui transformait les commandemens de l'église catholique en obligations civiles, qui contraignait quand celle-ci ne pouvait plus convaincre ou persuader, fournirait de nombreuses dispositions pour obliger à décorer les maisons devant lesquelles doivent passer les processions du culte catholique. Tous sans exceptions, juifs, calvinistes, etc., seraient forcés de lui faire honneur. Mais la révolution de 1789 est venue mettre un terme à cette mission apostolique du législateur : la constitution

de 1791, celle de l'an II, celle de l'an III ont brisé ces armes gothiques. Pour contraindre aujourd'hui un citoyen à tendre sur le passage des processions, c'est dans nos codes qu'il faut chercher une loi qui l'y oblige, et l'on ne saurait en trouver.

L'ordre de rendre cet hommage aux processions peut être général et s'adresser à toute la France, ou particulier à une commune. Dans le premier cas c'est du chef de l'État qu'il émane, car lui seul a droit de commander ainsi à tout le peuple;

dans le second cas c'est du pouvoir municipal. Mais, quelle que soit son origine, il ne peut obliger ceux à qui il s'adresse s'il ne s'appuie sur un acte législatif.

Dans une monarchie constitutionnelle, le prince n'a d'autres droits que ceux qui lui sont réservés par la constitution. La constitution consacre en même temps et limite son pouvoir; elle trace le cercle dans lequel il peut légitimement agir; s'il en sort il dépasse la limite posée, il y a envahissement, usurpation; ses actes ne sont plus que des faits sans caractère légalement obligatoire; ce sont des actes nuls de soi, comme dit Bossuet, et contre lesquels il y a toujours ouverture à re

venir.

Une ordonnance royale ne saurait donc obliger aucun citoyen à tendre le devant de sa maison sur le passage des processions, car la Charte n'a point donné au roi le droit de faire des ordonnances de cette nature (article 14). Il est inutile d'ailleurs d'insister sur ce point; il n'existe aucune ordonnance royale sur cet objet.

Ce droit qui manque au monarque, au dépositaire du pouvoir exécutif, on prétend le trouver dans un simple maire, son agent, sa créature. Voici comme on raisonne : « La loi du 24 août 1790 (numéros 1er et 3 de l'article 3 du titre X (1)), confie

(1) Article 3. « Les objets de police conférés à la vigilance et à l'autorité des corps municipaux sont: N° 1, Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les quais,

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à la vigilance de l'autorité municipale le maintien du bon ordre dans les cérémonies publiques; la loi du 19-22 juillet 1791, article 46, titre 1or, permet aux corps municipaux de faire des arrêtés sur les objets confiés à leur vigilance, un maire peut donc ordonner par arrêté de tapisser le devant des maisons sur le passage des processions; car une procession du culte catholique est une cérémonie publique, et l'obligation de tendre les maisons a pour but d'assurer le bon ordre dans cette cérémonie, et constitue une mesure d'ordre et de police (1). »

Mais maintenir l'ordre est-ce prescrire de tapisser le devant des maisons? N'est-ce pas plutôt réprimer ceux qui le troublent ou peuvent le troubler? Troubler l'ordre, c'est faire une action contraire à la justice ou à la loi; c'est choquer un intérêt légitime, c'est rompre et troubler la paix de la société; c'est agir enfin, et celui qui ne tapisse pas se borne à ne pas agir. Dira-t-on que son refus peut devenir une occasion de désordre et de scandale? Malheur à ceux qui sont capables de se porter à des excès parce qu'un citoyen ne se mêle pas aux cérémonies de leur culte. Dans ce cas

les rues, les places publiques; ce qui comprend, etc...... no 3. Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblemens d'hommes, tels que les foires, marchés réjouissances et cérémonies publiques. >>

(1) V. le jugement du tribunal de police correctionnelle d'Aix, du 5 février 1819.

le citoyen qui reste passif n'est pas celui qui trouble l'ordre, c'est celui qui s'irrite de cette inaction. Ce n'est pas le premier que la police municipale doit réprimer, c'est le second.

Eh quoi! parce que l'apparition d'un citoyen dans un lieu public, d'un juif, par exemple, comme dans quelques villes d'Allemagne, pourra exciter quelque effervescence populaire, la police serait en droit de forcer ce citoyen à se séquestrer dans sa demeure, ou à s'expatrier, ou à faire amende honorable; et l'on prétendrait justifier une pareille mesure en disant qus les corps municipaux sont investis du droit de faire des arrêtés pour le maintien de l'ordre; ce serait une tyrannie. Parce que des fanatiques s'irriteraient de voir un citoyen se refuser aux pratiques de leur culte, il faudrait satisfaire à leur violence? Il faudrait donc aussi contraindre les dissidens à fréquenter nos temples, à cacher leur croyance, si quelques énergumènes s'avisaient de l'exiger? Ce serait faire un étrange abus de la loi; ce serait, par le plus indigne sophisme, faire servir à l'oppression des citoyens l'autorité créée pour leur protection; ce serait employer à donner satisfaction aux perturbateurs la force destinée à les réprimer.

Aussi la Cour de cassation a-t-elle condamné cet odieux système de l'omnipotence de la majorité ou de la force brutale, par deux arrêts (1)

(1) V. arrêts du 20 novembre 1818, et du 27 novembre 1819.

d'autant plus remarquables qu'ils étaient précédés d'une décision contraire de la même Cour (1). C'est donc un point de jurisprudence fixé maintenant (2), que l'on ne peut contraindre aucun citoyen à tapisser le devant de sa maison sur le passage des processions, ni le condamner pour avoir négligé ou refusé de le faire.

Je dis aucun citoyen, car je ne conçois pas la distinction que faisait M. le procureur-général Mourre, dans le procès de M. Roman (3). Selon ce magistrat les dissidens seuls sont déliés de l'obligation de concourir à la pompe des processions; les catholiques y sont soumis et devraient être condamnés s'ils tentaient de s'y soustraire.

« Pour le catholique, disait-il, cet hommage <«< constitue l'ordre de cette cérémonie et même « l'ordre public. —Il constitue l'ordre de la céré« monie : les siècles attestent à cet égard l'obser<«< vance la plus religieuse. - L'ordre public : de la

part des catholiques le refus est une insulte, la << loi violée, c'est la Charte qui déclare que la re<<ligion catholique est la religion de l'État, etc. »>

Si le catholique seul est condamnable, il faut d'abord fixer cette qualité; mais comment? Ferezyous une enquête? vous déterminerez-vous d'après les actes extérieurs de religion? Si c'est d'après ces

(1) V. arrêt du 29 août 1817.

(2) V. Répertoire de législation de M. Favard de Langlade, vo Procession, à la fin.

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