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élément de trouble sinon de succès, qu'il faut enlever au despotisme, de quelque côté qu'il vienne, d'un ministère ou d'une église.

Méconnue à sa naissance par l'assemblée constituante, qui la première l'avait accueillie, outragée par la convention, enchaînée par l'empire, la liberté religieuse s'est vue, à la restauration, attaquée avec fureur par un clergé aveugle qui ne sait pas comprendre que sa chute est là précisément où il place son triomphe. Justement effrayés des entreprises d'un sacerdoce avide de domination, de véritables amis des libertés publiques se sont émus, et dans leur trouble ils ont appelé les lois de tous les régimes à leur aide; ils ont sacrifié la liberté religieuse à la conservation des autres libertés, comme on jette à la mer une partie de sa cargaison pour sauver le reste. Dans la crainte de voir l'église s'emparer de la cité, ils ont fait effort pour rendre la cité maîtresse de l'église. C'est là une voie fausse et dangereuse dans laquelle la frayeur a pu les engager, mais dont ils doivent se hâter de sortir par justice et par raison. Aussi long-temps qu'ils y resteront la liberté religieuse sera, comme dans l'ancienne monarchie, resserrée entre deux camps enne-· mis celui de la domination sacerdotale, celui de la suprématie civile.

Née sous l'influence de ces deux systèmes, notre législation les a reproduits et aidés tour à tour. Tantôt elle se rend maîtresse du temple et de ses ministres, elle commande au sanctuaire, elle institue le prince premier pontife; c'est lui qui fixe le nombre des cérémonies, l'ordre des sacrifices et des prières; c'est lui enfin qui juge si le prêtre se conduit selon la règle. Tantôt, au contraire, elle veut que la cité se conforme à la volonté de l'église, obéisse à ses commandemens, suspende ses travaux aux jours de ses solennités; lui fasse honneur et se garde surtout de sourire au spectacle de ses superstitions, ou bien encore elle déchire telle de ses dispositions que la loi canonique n'accepte pas et fait couler le sang des sacriléges.

Comme si ce n'était assez de ces contradictions écrites, la jurisprudence des tribunaux est venue y ajouter. Préoccupés d'idées qui ne sont plus depuis long-temps les nôtres, quelques uns ont voulu transformer en lois des souvenirs de l'ancienne monarchie; tandis que d'autres ont prétendu concilier les lois préventives de l'empire avec les promesses de la

charte.

Cette lutte de la théocratie et de la suprématie civile ne promet que servitude, quel que soit

le parti qui triomphe. L'un et l'autre nous ont déjà prouvé ce que la liberté pouvait attendre d'eux. Le premier veut étouffer l'intelligence humaine, dompter la volonté par la force, établir sa domination sur l'asservissement de la pensée. Le second veut bien de la liberté; mais il ne s'en soucie guère que pour lui seul, et dans son impatience d'en jouir, il consentirait volontiers à la fonder sur le despotisme.

Voilà le double danger qui rend la question religieuse l'une des plus importantes de notre époque.

La société de la morale chrétienne l'a bien jugée ainsi, lorsque, à deux reprises, elle a appelé l'attention publique sur la liberté des cultes, considérée tour à tour dans son principe philosophique et dans ses règles d'application. « Ce n'est point assez, disait en son nom M. Berville (1), qu'un principe soit inscrit dans la loi; il faut, pour qu'il ait toute sa sanction, qu'il passe dans les mœurs, dans les habitudes, dans les idées de la nation tout entière. C'est pour préparer ce résultat qu'un respectable citoyen, M. Lambrechts, fonda par testament, il y a quelques années, un prix

(1) Rapport au nom de la commission chargée de l'examen du concours sur l'exercice de la liberté religieuse.

pour le meilleur mémoire sur le principe de la Liberté des Cultes. Vous n'avez point oublié ce concours, ni le nom du lauréat, M. Vinet, dont l'intéressant travail mérita vos suffrages.

« Toutefois ce n'était point assez encore. Si la première sanction d'un principe est dans l'opinion qui le protége, il en est une seconde non moins essentielle; elle consiste dans les institutions secondaires qui en garantissent et en assurent l'application. C'est dans les réglemens particuliers, dans les lois spéciales, dans la jurisprudence des tribunaux que doivent se trouver les garanties les plus certaines des principes écrits dans la loi constitutionnelle.

«Telle a été la pensée de M. Gaëtan de la Rochefoucauld en proposant ce concours. Il a voulu appeler l'attention des publicistes, des jurisconsultes, des législateurs et des magistrats sur l'état de notre législation et de notre jurisprudence en matière de liberté religieuse. Dresser l'inventaire de nos garanties, constater celles que nous possédons, signaler celles qui nous manquent, poser les bases sur lesquelles il convient de les fonder, voilà quelle était la tâche des concurrens. >>

Telle est celle aussi que j'ai tenté de remplir, sans me dissimuler un seul instant et ma fai

blesse et les difficultés qui m'attendaient. Si je n'ai pas la prétention d'avoir fourni jusqu'au bout une aussi vaste carrière et d'avoir toujours surmonté les obstacles dont elle était semée, j'ai du moins la conscience d'y avoir toujours marché avec franchise et loyauté. J'ai considéré la séparation de l'ordre religieux de l'ordre civil, non seulement comme un des besoins les plus pressans de notre société, mais encore comme le sens véritable de l'article 5 de la charte. Je me suis attaché à ce principe comme à la vérité; mon travail n'en est que la déduction. Libre de toute prévention politique, de toute exagération de parti, je ne me suis point préoccupé des avantages passagers que les ennemis de nos institutions pourraient trouver dans les conséquences que j'en ai tirées; il m'a suffi qu'elles me parussent être la vérité. C'est un livre de doctrine et de principes que j'ai voulu faire. Je me suis placé, pour l'écrire, au-dehors des agitations du moment. En entrant dans les passions du jour, j'aurais craint de prendre quelque chose de leur nature haineuse et partiale; j'ai voulu demeurer froid de peur de devenir injuste.

Composé dans un temps marqué, à heure fixe, ce livre se ressent nécessairement de la précipitation qui a présidé à sa rédaction.

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