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INVASION DE 1814

DANS LE

DÉPARTEMENT DES VOSGES.

CORRESPONDANCE INÉDITE DU GÉNÉRAL CASSAGNE,

publiée par M. A. Benoit.

Membre correspondant.

AVANT-PROPOS.

L'invasion de 1814 dans le département des Vosges a déjà fourni à M. Ch. Charton quelques pages du plus grand intérêt, insérées dans le XIIIe volume des Mémoires de la Société d'Emulation (année 1870) (1). En transcrivant aujourd'hui la correspondance du général de brigade Cassagne, commandant le département des Vosges, avec son chef immédiat, le général de division baron Lacoste, commandant la 4 division militaire à Nancy, je ne fais que compléter le récit intéressant de notre respectable confrère, en y apportant le concours inattendu de pièces officielles inédites.

Les lettres du général, déposées aux archives de la 4o division militaire, furent, lors de la suppression de celle-ci, transférées à Metz. Elles y étaient encore, lorsque presque tous les papiers des archives militaires furent, il y a quelques années,

(4) V. du même auteur Les Vosges pittoresques, 1867, éd. pop. p. 47-53.

dispersés ou mis au pilon. Heureusement qu'un zélé collectionneur, M. Dufresne, put en sauver une forte partie et me permit, avec son obligeance habituelle, d'en prendre copie.

J'avoue avoir fait ce travail avec le plus vif intérêt. Les lettres du général Cassagne, toutes écrites de sa main, sauf une lorsqu'il était alité, témoignent des sentiments les plus généreux et les plus nobles. Ce vieux guerrier couvert de blessures savait aussi bien administrer qu'il avait su se battre. Sous un aspect sévère, il cachait un grand fond de bonté. Le plus petit détail ne pouvait lui échapper, et sa sollicitude s'étendait principalement sur les malheureux évacués des ambulances et sur les pauvres otages espagnols, dont on me permettra de dire un mot. Ces otages formaient un bataillon de travailleurs; ils étaient enfermés dans une caserne sous la surveillance immédiate du capitaine d'Hennezel, aide de camp du général, et sous la garde d'un lieutenant et d'un détachement très-minime du 139e régiment d'infanterie. Outre des militaires, il s'y trouvait des avocats, des bourgeois, des prêtres, des femmes et même des enfants. Un dépôt pareil existait à Neufchâteau. Lors de l'invasion, on les fit tous évacuer vers l'intérieur de la France.

L'ennemi arrivait au moment de la conscription et des levées qui venaient d'être décrétées, avec les réquisitions de voitures, de chevaux, d'arres (1), etc. Pour suffice à tout cela, le général n'avait à Epinal qu'un faible dépôt de dragons. Il avait, du reste, trouvé dans le préfet un collaborateur dévoué. On verra que les sous-préfets de Saint-Dié et de Remiremont étaient aussi à la hauteur de leur tâche.

Aux soucis des levées, aux soins à donner aux malades, aux remontes, vint s'ajouter une nouvelle charge pour le général : ce fut la recherche des fuyards de la Grande-Armée dans le département. C'est un épisode assez triste mais des plus curieux de cette époque néfaste (2).

(1) Les fragments de la correspondance relatifs aux levées forment l'Appendice no I.

(2) V. l'Appendice n° 2.

L'empire allait s'écrouler, mais jusqu'à la fin, les fonctionnaires obéirent aux ordres du maître. On pourra s'en assurer en parcourant les lettres du secrétaire général du département de la Meurthe qui remplaçait le baron Riouffe, mort victime de son dévouement. J'ai cru devoir intercaler ces quelques lettres puisqu'elles concernent aussi les Vosges et qu'elles montrent quels tracas administratifs et militaires tenaient en haleine les généraux territoriaux et tous les autres employés au moment des circonstances les plus critiques.

Je ne puis terminer ces quelques lignes sans parler des combats de Ferdrupt et d'Igney qui sont racontés d'une manière bien saisissante. On ne peut qu'admirer ces braves dragons qui pendant que les gendarmes et les chasseurs arrivaient à Remiremont « d'une vitesse qui passe l'imagination, »> entrent en bon ordre, se mettent en bataille sur la place, reçoivent quelques cartouches qui leur manquent, et retournent en avant retrouver l'ennemi.

Il me reste à remercier l'aimable collectionneur qui a bien voulu me permettre de reproduire les lettres du général Cassagne et à souhaiter aux amateurs de l'histoire vosgienne de les lire avec autant d'intérêt que j'en ai pris à les copier. Ces lettres, qui étaient destinées à rester perpétuellement ensevelies dans la poussière des cartons administratifs, sont trop flatteuses pour les habitants des Vosges, pour qu'elles ne reçoivent point tout l'accueil qu'elles méritent.

I.

Epinal, le 24 décembre 1843...

A Monsieur le baron Lacoste, général de division commandant la 4e division militaire.

Mon Général,

J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint la note des conscrits partis jusqu'à ce jour.

Demain je ferai partir 98 chevaux, il m'en restera encore 6, qui ne pourront partir en ce moment, étant retenus à l'infirmerie pour de petits accidents.

Le Préfet vient de recevoir l'ordre de fournir 210 chevaux de selle.

Mes occupations se multiplient à un tel point que j'ai à peine le temps de respirer; sous peu, j'espère que nous serons débarrassés, à ma grande satisfaction.

Agréez, je vous prie, mon Général, la nouvelle assurance de mon respect.

II.

Bon CASSAGNE.

Mon Général,

Epinal, le 23 décembre 4843. à 40 h. du m.

Au même.

M. le Préfet a reçu cette nuit, du Sous-Préfet de St-Dié, une dépêche par laquelle il le prévient que le préfet de Colmar vient de lui donner avis que l'ennemi est entré à Basle. Le 21, M. de La Vieuville (1), instruit de cet événement, a donné l'ordre au

(1) Préfet du Haut-Rhin,

Payeur et au Receveur général de se tranporter à Saint-Dié avec leurs papiers; il a également fait partir, pour la même ville, sa compagnie de réserve avec sa caisse et ses effets militaires.

Je viens de m'entretenir avec M. le Préfet, pour arrêter ensemble les mesures qu'il y aurait à prendre dans cette circonstance; il a été convenu qu'il mettrait à ma disposition tous les gardes forestiers, afin de pouvoir éclairer avec facilité tous les points de communication avec le département du Haut-Rhin.

Je vais réunir la gendarmerie du département à Epinal, Saint-Dié et Remiremont, et j'en détacherai les postes nécessaires, sur les points où pourrait pénétrer l'ennemi, afin d'être prévenu avec célérité de tous ses mouvements.

Le Préfet a envoyé des hommes intelligents et sûrs pour faire connaître d'une manière positive la direction que prendra l'ennemi en sortant de Basle, et l'en avertir sur le champ, par les moyens les plus sûrs.

Je vais passer en revue le dépôt du 6e régiment de dragons pour connaître positivement le nombre d'hommes que l'on peut mettre à cheval, le nombre des chevaux qui peuvent être utiles dans cette circonstance et le nombre de harnais complets qui restent en magasin; je demanderai ensuite au Préfet le nombre de chevaux nécessaires pour ce complément, et ils me seront fournis de suite sur le contingent marqué au département. J'aurai l'honneur de vous rendre compte de tous ces détails, lorsque je les connaitrai parfaitement, et vous tiendrai au courant sur tout ce que j'apprendrai sur les mouvements de l'ennemi, d'après les rapports ultérieurs que je recevrai. Je vous proposerai, s'il y a lieu, mon Général, de placer des postes de correspondance pour que nous puissions communiquer avec célérité.

Je vous prie de me faire connaitre vos intentions sur ce que je dois faire dans le cas où l'ennemi se porterait dans le département des Vosges.

Agréez...

Bon CASSAGNE.

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