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CHAPITRE PREMIER

Les Bourbons. Le comte d'Artois en France. Convention du 23 avril. Arrivée de Louis XVIII.

Déclaration de Saint-Ouen.

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Louis XVIII à Paris. Premiers actes. - Premier ministère. Traité du 30 mai. La Charte. L'ouverture des Chambres.

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§ I. LES BOURBONS. La France de 1814 ne connaissait pas les Bourbons. Les hommes âgés alors de 40 à 50 ans se rappelaient confusément qu'au temps de leur jeunesse, la nation s'était levée tout entière pour mettre fin aux intolérables abus de l'ancien régime; que Louis XVI avait juré une Constitution, mais que lui-même, sa femme, ses frères, toute sa famille, avaient employé tous les moyens licites et illicites, jusques et y compris l'intervention des armes étrangères, pour remettre la nation sous le joug; beaucoup de ces hommes avaient répondu à l'appel de la patrie en langer, à la levée en masse, à la réquisition et avaient combattu

pour la République contre l'invasion ayant pour auxiliaires des princes de la maison de Bourbon; qu'enfin, le roi Louis XVI, jugé et condamné par la Convention nationale, avait été publiquemen exécuté le 21 janvier 1793, et que cette date avait été célébrée assez longtemps par une fête commémorative.

Depuis, un autre Bourbon, le jeune duc d'Enghien, qui avait porté les armes contre la France, avait été arrêté, de nuit, sur territoire neutre, amené à Paris, enfermé à Vincennes, jugé, condamné et fusillé dans un des fossés du château. Mais, cet événement, accompli par les ordres de Bonaparte, alors premier consul, entouré d'un certain mystère, n'avait guère été ébruité et n'avait pas fortement ému le public.

Qui était ce Louis-Stanislas-Xavier, que le Sénat de l'Empire venait de déclarer roi des Français? Quelques survivants d'avant 1789 savaient seuls que ces noms étaient ceux du comte de Provence, frère de Louis XVI, prince sournois qui avait mené de souterraines intrigues contre le roi et avait été un des plus perfides ennemis de la reine, un des plus assidus colporteurs ou inventeurs de médisances et de calomnies contre Marie-Antoinette, un de ceux qui avaient le plus contribué à perdre l'Autrichienne dans l'esprit public.

Les mêmes hommes pouvaient se souvenir des galanteries de l'autre frère de Louis XVI, le comte d'Artois, qui, lui, avait compromis la reine par son amour autant que le comte de Provence la compromettait par ses méchants propos. Personne ne savait que, par suite d'un serment fait à sa dernière maîtresse mourante, madame de Polastron, et chevaleresquement tenu, le comte avait renoncé à la vie galante et s'était jeté à corps perdu dans la dévotion. Moins vaillant chevalier, il n'avait pas même mis le pied sur la côte de Quiberon.

Les fils du comte d'Artois, les ducs d'Angoulême et de Berry raient parfaitement inconnus, et l'on avait oublié que la femme du premier était la fille de Louis XVI, enfermée au Temple avec son père et sa mère, puis échangée contre les représentants livrés aux autrichiens par Dumouriez.

Depuis 1795, date, non moins oubliée, de la mort du fils de Louis XVI, Louis-Stanislas-Xavier avait pris le titre de Louis XVIII, comme successeur légitime de son neveu, et avait joué, sans grand éclat, le rôle de prétendant, errant à travers les monarchies indifférentes, fuyant devant les armes victorieuses de Napoléon et, en

dernier heu, réfugié à Hartwell, petit village d'Angleterre, où alla le trouver la résolution du Sénat.

Le plus connu ou, pour parler plus exactement, le moins ignoré de tous les Bourbons était le prince portant alors le titre de duc d'Orléans, que des militaires, encore présents sous le drapeau, avaient vu combattre à Valmy et à Jemmapes, sous le nom de duc de Chartres. Après la mort de son père, ce Philippe, qui avait substitué au nom d'Orléans celui d'Égalité, qui avait voté hautement la mort de Louis XVI, le duc de Chartres, déjà fugitif de France à la suite de la tentative rebelle de Dumouriez pour le faire roi, avait parcouru différents pays sous un nom déguisé; puis, de 1799, il s'était réconcilié avec le frère aîné de Louis XVI, était allé en Sicile, où il avait épousé sa cousine, fille du roi des Deux-Siciles, alors dépossédé de ses États continentaux; plus tard, le duc d'Orléans était passé en Espagne, mais avait dû quitter ce pays sur l'ordre des Cortès, après avoir essayé de se faire nommer commandant d'armée et lieutenant général du royaume.

§ II. LE COMTE D'ARTOIS EN FRANCE. - Lorsque, le 1 janvier 1814, les armées étrangères eurent pénétré sur le sol de France, le ro d'Hartwell adressa au peuple français une proclamation pleine de vagues promesses de liberté. Les alliés parlaient aussi de liberté ; la liberté promise est toujours une arme puissante contre le despotisme. La proclamation royale ne fut lue de personne

Pour joindre l'action à la parole, Louis XVIII, tout en restant à Hartwell, où le retenaient sa grandeur et ses infirmités, envoya son frère, le comte d'Artois, et les deux fils de celui-ci, les ducs d'Angoulême et de Berry, sur le continent pour y faire les affaires de la famille.

Le duc de Berry s'arrêta à l'île anglaise de Jersey, d'où il imaginait que sa présence allait soulever aussitôt la Bretagne et la Vendée. Rien ne bougea; les contingents bretons et vendéens défendaient vaillamment la patrie contre l'invasion.

Le comte d'Artois, débarqué en Hollande, sous la protection anglaise, gagna la Suisse, entra en France par Pontarlier, se rendit à Vesoul, puis à Nancy, rebuté d'abord par un général autrichien, puis toléré par un général russe sous la condition impérieuse de n'arborer aucune cocarde, de ne prendre aucun titre politique, de ne faire aucun acte public. Sa présence ne servit qu'à provoquer à Troyes, de la part d'une douzaine de royalistes, pendant l'occupation de cette ville par les Russes, une manifestation dont le seul

résultat fut, au retour offensif de Napoléon sur Troyes, i execution d'un vieux gentilhomme comme « traître à la patrie. »>

Le duc d'Angoulême, débarqué à Saint-Jean-de-Luz, eut un succès plus effectif. D'accord avec quelques royalistes de Bordeaux, il fit, lui aussi, une proclamation promettant l'abolition de la conscription et des droits réunis. Puis, les royalistes bordelais obtinrent du duc de Wellington l'envoi d'un corps de 15,000 hommes qui occupa Bordeaux au nom du roi d'Angleterre. Le duc d'Angoulême, qui marchait à la suite des Anglais, fut accueilli à Bordeaux aux cris de Plus de conscription! à bas les droits réunis! Mais lorsqu'il voulut prendre une attitude politique, le duc de Wellington s'y opposa formellement, en termes assez durs, et le neveu de Louis XVIII n'eut qu'à obéir. Il avait, du moins, livré à l'ennemi une ville française.

Les alliés, jusqu'à leur entrée dans Paris, s'étaient absolument refusés à toute manifestation en faveur des Bourbons. Dans le seul gouvernement anglais, il y avait quelque tendance vers eux, non par sentiment, mais en les considérant comme une éventualité pour les substituer à Napoléon, si la dynastie de celui-ci n'était pas soutenue par les Français.

On a vu, dans le livre précédent, l'écroulement soudain de l'Empire avant même que l'empereur eût tenté une dernière chance militaire, la nomination d'un gouvernement provisoire à la suite de la déchéance prononcée par le Sénat « conservateur, » qui ne songea qu'à la conservation de ses dotations, et la prompte défection de tout ce qui constituait la machine officielle du régime impérial.

Un des membres de ce gouvernement provisoire, M. de Montesquiou, était un partisan déclaré, un agent officieux des Bourbons. Dans sa logique de légitimiste, il contesta au Sénat le droit d'appeJer au trône Louis-Stanislas-Xavier, soutenant que ce prince était roi de France à titre d'héritier, par droit de naissance, du fils de Louis XVI, du jeune Louis XVII, qui, pour avoir commencé et fini son règne en captivité, n'en avait pas moins été roi légitime de France.

Sans tenir beaucoup de compte de la Constitution votée par le Sénat, M. de Montesquiou écrivit à Hartwell pour rendre compte au nouveau roi des événements qui s'accomplissaient.

Cependant, en présence de l'acte sénatorial sur la déchéance et de l'assentiment qu'y donnait, ostensiblement ou tacitement, sinon

la totalité, du moins la généralité de la nation, deux faits considérables s'étaient produits.

L'un était l'abdication de Napoléon; l'autre fut l'arrivée à Paris du comte d'Artois, le plus jeune des frères de Louis XVI. Le comte avait reçu à Nancy où, comme on l'a vu plus haut, il jouait un assez triste rôle derrière l'armée russe, un message de Talleyrand, qui, redoutant peut être quelque revirement de fortune, pressait le prince de se rendre à Paris afin d'y prendre possession du pouvoir.

Le comte recueillit, tout le long de la route, des hommages, des acclamations qu'il provoquait aisément par ces mots : « Plus de conscription! Plus de droits réunis! » mots dont l'effet était magique sur des populations décimées par la guerre, ruinées par l'impôt, mot dangereux dont sa légèreté ne comprenait certainement pas toute la portée.

Le Sénat essaya vainement de retarder la marche du prince par des tentatives de négociations, pour s'assurer des garanties et lui faire prendre des engagements. Le comte d'Artois se refusa à toute entente et, poursuivant son chemin, fit à Paris, le 12 avril 1814, une entrée presque triomphale, escorté par la garde nationale, entouré des autorités municipales et de ce nombreux état-major qui ne manque jamais en pareil cas. On y remarquait, avec quelque étonnement, des maréchaux de l'Empire: Kellermann, Moncey, Oudinot, Marmont, Ney, Sérurier. Une troupe de cosaques, fermant la marche du cortége, donnait à la fète son vrai caractère.

Le comte d'Artois se rendit, comme un triomphaleur, à NotreDame, où le clergé lui chanta le même Te Deum qu'il avait tant de fois chanté pour Napoléon; puis, le prince alla s'installer aux Tuileries, dans les appartements de Marie-Louise, la nièce de MarieAntoinette.

De Nancy à Paris, le comte d'Artois avait évité de s'engager ni vis-à-vis du Sénat, ni vis-à-vis du gouvernement provisoire; mais, pour avoir été écartée, la difficulté n'était pas résolue et elle allait se représenter avec plus d'insistance.

A cette entrée du comte d'Artois se rattache une légende qui eut quelque temps, pour la Restauration, la fortune de « la poule au pot » d'Henri IV. Le prince avait été reçu, à la barrière de la Villette, par M. de Talleyrand, qui lui avait adressé une courte et insignifiante allocution, à laquelle le comte répondit par quelques vagues paroles que personne ne recueillit. Le soir, lorsqu'on pré

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