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Labédoyère voulait expliquer les causes de sa conduite. Le président du conseil ne le lui permit pas, disant « qu'il n'y a pas de crime innocent » et exigeant que l'accusé s'expliquât uniquement sur le « crime » qui lui était imputé.

<< Comment voulez-vous, reprit Labédoyère, que je combatte des faits publics, des actions que j'avoue? Ma seule défense est dans l'examen des causes politiques qui m'ont porté à la démarche dont je réponds devant vous. Vous ne voulez pas l'entendre; je n'insisterai pas. Je dirai seulement que je mourrai avec l'espoir que mon souvenir n'éveillera jamais un sentiment de haine ou de honte, que mon fils, arrivé à l'âge de servir son pays, n'aura pas à rougir de son père, et que la patrie ne lui reprochera pas mon nom. »

Le conseil déclara Labédoyère coupable de trahison et de rébellion et le condamna à la peine de mort.

Sur les instances de sa mère et de sa femme, le jeune général consentit à se pourvoir en révision.

Dans l'intervalle, la mère et l'épouse firent une tentative d'évasion qui ne réussit pas.

Le 19 août, le conseil de révision rejeta le pourvoi. Une heure après, l'ordre d'exécution était signé pour le jour même.

Dans l'après-midi, vers trois heures, au moment où le roi sortait pour sa promenade habituelle, une jeune femme, toute en pleurs, se jeta aux genoux de Louis XVIII, en criant: Grâce, sire, grâce! Le roi la regarde et reconnaît Mm de Labédoyère : « Madame, répond-il d'un ton sévère, je connais vos sentiments pour moi ainsi que ceux de votre famille; je regrette de vous refuser. Je ne peux qu'une chose pour votre mari : je ferai dire des messes pour le repos de son âme. » Puis il partit. La mère du condamné essaya aussi d'aborder le roi à son retour, elle en fut empêchée.

A cinq heures et demie, Labédoyère quitta la prison de l'Abbaye pour aller subir la mort à la plaine de Grenelle. Après avoir embrassé un ami qui était venu là lui dire l'adieu suprême, il se plaça devant le peloton d'exécution, à bout portant, et, debout, les yeux libres, il dit d'une voix ferme : « Tirez, mes amis, surtout ne manquez pas!» Il tomba.

La famille de Labédoyère fit inhumer le corps au cimetière du Père-La-Chaise, dans une allée alors peu fréquentée et longeant la muraille de clôture. Il ne fut pas permis d'inscrire le nom sur la face du tombeau tournée vers le public; on dut le mettre sur celle qui regardait le mur Cette disposition n'a pas été changée depuis lors.

Selon la rigueur des lois militaires, la sentence était juste. Mais l'équité et la bonne politique commandaient de ne pas poursuivre des fautes auxquelles toute la nation avait été associée et que le gouvernement royal avait provoquées par des erreurs que Louis XVIII lui-même reconnaissait à Cambrai. L'exécution de Labédoyère, comme celle de Ney, qui allait bientôt la suivre, a causé à la Restauration un mal inappréciable. La mémoire populaire ne lui pardonna jamais la mort de ces deux hommes, l'un si jeune, si géné– reux, si loyal, malgré tout, l'autre si illustre, tous deux si vaillants.

Ce Napoléon, contre lequel alors on accumulait tant d'imprécations, non pas toutes imméritées, s'était montré plus habile ou plus clément : en 1815, il n'ordonna aucune poursuite, ne lança aucune excommunication contre ceux qui, lui ayant prêté serment, comblés par lui, de dignités, d'honneurs, de richesses, l'avaient abandonné en 1814 ou avaient prononcé sa déchéance.

§ VII. MASSACRES DANS LE MIDI. Tandis que ces faits se passaient Paris, les scènes sanglantes de Marseille et d'Avignon se renouvelaient dans les départements du Midi, livrés aux fureurs des anciens volontaires royaux, de comités royalistes et de populations chez lesquelles se mêlaient aux haines politiques les haines et les vengeances religieuses. Ce n'était pas seulement les bonapartistes, c'était aussi les protestants que l'on traquait, que l'on égorgeait. L'exemple avait été donné, dès le 15 juillet, par un commissaire royal, le comte de Bernis, qui, à la tête de bandes furieuses de volontaires royaux, se présenta devant Nîmes, où se trouvait le général Gilly avec quelques compagnies d'infanterie. En vertu d'une capitulation conclue le 15, la ville arbora le drapeau blanc. Gilly et la troupe devaient partir le lendemain, après avoir déposé les armes. Le 16, en effet, les soldats désarmés défilèrent entre les volontaires. Quand ils furent engagés dans les rues de la ville, les royalistes firent feu sur eux, les poursuivant sur la route d'Arles, où d'autres bandes les attendaient.

La caserne de gendarmerie fut pillée; puis, à l'appel du tocsin, plusieurs milliers d'assassins brisent les portes des maisons occupées par des bonapartistes, massacrent les habitants, pillent les appartements. Ces effroyables scènes durèrent deux jours entiers après lesquels il s'établit une sorte d'ordre, de méthode régulière dans le meurtre et le pillage, les victimes de chaque jour étant désignées à l'avance.

De Nimes, ces exécutions sauvages s'étendirent aux environs

Des bandits, ayant pour chefs des hommes appelés Cervan, Truphémy, Jacques Dupont, parcouraient les campagnes, pillant les villages, dévastant les propriétés, arrachant les oliviers, faisant la chasse aux bonapartistes. Un de ces chefs d'égorgeurs, plus cruel encore que les autres, est resté odieusement célèbre sous le nom de Trestaillons.

A Uzès, un autre bandit, nommé Graffans, stimulé par l'exemple. de Nîmes, envahit avec des furieux les maisons des protestants, tue les hommes, chasse les femmes, vole ou détruit les meubles; avec l'autorisation du commandant de place et du sous-préfet, il se fait livrer six protestants enfermés dans la prison comme bonapartistes et les égorge sous les fenêtres du sous-préfet.

Cette autre Saint-Barthélemi se prolongea durant cinq mois, sans qu'aucune autorité tentât le moindre effort, prescrivît la moindre mesure pour en arrêter le cours, sans que pas une voix osât réclamer contre les assassins et en faveur des victimes. Par respect pour la religion, les meurtres étaient suspendus le dimanche. Ce jour-là appartenait exclusivement aux femmes catholiques, qui se mettaient à la recherche des jeunes filles et femmes protestantes, les entraînaient dans la rue, les couchaient par terre, relevaient leurs jupes par derrière et les frappaient avec fureur à coups de battoirs dans lesquels étaient fixées des pointes de fer dessinant une fleur de lys qui laissaient des marques sanglantes. On appelait ces instruments de torture et d'outrage des battoirs royaux.

Épouvanté des excès et de la prolongation de la terreur blanche, le préfet du Gard réclama l'intervention des troupes autrichiennes, dont la présence, en effet, tint les assassins en respect pour un moment. Mais, après l'évacuatiou du territoire, malgré une visite du duc d'Angoulême, qui essaya de calmer les esprits et promit protection aux protestants, les scènes de violence recommencèrent. Le 12 novembre, le temple protestant de Nîmes est assailli, forcé, saccagé, les protestants sont maltraités, chassés. Le général Lagarde, accouru avec quelques troupes pour arrêter le désordre, est blessé d'un coup de pistolet. Le duc d'Angoulême, averti, revient de Toulouse, et réussit à mettre fin aux assassinats. Après son départ, beaucoup de bonapartistes furent encore expulsés ou incarcérés, mais il n'y eut plus de massacres.

D'autres grandes villes furent le théâtre de scènes semblables à celles de Nimes. A Toulouse, l'adjudant général Ramel, déporté par le Directoire, comme complice de Pichegru, nommé, à ce titre,

commandant de place par Louis XVIII, voulant, le 17 août, réprimer des désordres causés par les royalistes, est renversé de cheval, percé de coups, laissé pour mort. Il n'était que blessé; quelques personnes le portent dans une maison voisine. La foule, apprenant que sa victime n'a pas succombé, revient, brise la porte de la maison, pénètre dans la chambre du blessé et l'achève. Bordeaux eut aussi ses victimes, les deux frères Faucher, les jumeaux de la Réole. Tous deux, en 1794, avaient été condamnés à mort comme ayant fait publiquement l'éloge de Louis XVI. Ils étaient déjà sur l'échafaud, lorsque le représentant Lequinio ordonna la révision du procès, qui aboutit à un acquittement. Après avoir servi dans les armées de la République, ils avaient été réformés par suite de blessures et s'étaient retirés à la Réole, leur pays natal. Pendant les Cent Jours, ils occupèrent des fonctions militaires. Au mois d'août 1815, arrêtés comme détenteurs d'armes de guerre, ils ne furent accusés que d'actes politiques, traités en prison avec une horrible barbarie, puis condamnés à mort et exécutés le 27 septembre.

Ce fut, du moins, un meurtre accompli juridiquement.

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§ I. ÉLECTIONS DE 1815. Une ordonnance royale du 13 juillet avait dissous la Chambre des représentants des Cent Jours et convoqué les colléges électoraux pour nommer une nouvelle Chambre des députés. La même ordonnance portait le nombre des députés de 259 à 599, abaissait l'âge des éligibles de 40 à 25, celui des électeurs de 30 ans à 21; le cens d'éligibilité demeurait fixé à 1000 fr., le cens électoral à 300.

Par d'autres ordonnances, 29 membres de la Chambre des pairs, ayant siégé durant les Cent Jours, furent exclus, 90 nouveaux pairs furent nommés; enfin, la pairie fut rendue héréditaire pour tous les membres de la Chambre.

Les deux Assemblées devaient avoir à reviser quelques articles de la Charte.

Les élections eurent lieu le 19 août, suivant le système impérial. Chaque collège d'arrondissement élisait autant de candidats que le

département devait avoir de députés. Huit jours après, le collège de département choisissait ses députés sur la liste totale des arrondissements. Une ordonnance du 26 juillet avait désigné les candidats parmi lesquels les colléges électoraux devaient nommer leurs présidents.

Les élections s'accomplirent donc dans la seconde quinzaine d'août, alors que l'occupation étrangère couvrait presque tout le territoire, que les départements du Midi étaient livrés à la fureur de bandes d'assassins royalistes, que les conseils de guerre et les cours d'assises prodiguaient les sentences de mort contre les bonapartistes, et que nul n'était plus assuré de conserver sa vie ou sa liberté, car était bonapartiste tout individu suspect de tiédeur envers le gouvernement royal.

Sous l'Empire, les préfets avaient une influence dominante en matière d'élections. Mais, au mois d'août 1814, les préfets étaient, en grande majorité, de nomination toute récente, fougueux royalistes, ardents d'une haine officielle contre les hommes et les choses du régime déchu, mais absolument étrangers dans les départements mis sous leur coupe, n'en connaissant ni les tendances, ni les habitudes, et croyant suppléer aux connaissances absentes par l'emportement d'un zèle souvent maladroit.

Le 24 août, la Chambre de 1815 était élue.

Le ministère avait compté sur des députés royalistes, sans doute, mais dociles et complaisants, comme on y était habitué sous l'Empire; son espoir fut déçu. La très-grande majorité de la Chambre se composait de jeunes nobles et de vieux émigrés, tous résolus à faire une guerre sans merci à la Révolution et à constituer une royauté puissante, vigoureuse, sachant se défendre et se venger. Leur première préoccupation était de faire tomber Fouché, dont la présence dans le conseil du roi leur paraissait une monstruosité. Fouché venait de subir un grave affront. Le duc et la duchesse d'Angoulême arrivaient de Bordeaux. Le roi voulut leur présenter son ministère; la duchesse déclara qu'elle ne recevrait jamais un des hommes qui avaient envoyé son père sur l'échafaud. Cette parole aggrava l'éloignement que le roi éprouvait pour le ministre de la police. Talleyrand exploita cette circonstance en apprenant à Louis XVIII les dispositions des députés à l'égard de Fouché. Celuici fut poussé à donner sa démission, que le roi accepta. Fouché reçut, en compensation, l'ambassade de Saxe.

Fouché ne jouit pas longtemps de cet exil diplomatique; il devait

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