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Marbois, qui, sous le Directoire, avait été déporté á la Guyane, dė◄ fendit la déportation en faisant le tableau des souffrances qu'il avait endurées. Ce récit satisfit la majorité, qui vota la déportation.

Dans l'article 4, qui déclarait séditieux le fait d'invoquer le nom de l'usurpateur ou de quelqu'un de sa famille, la Chambre, sur a proposition de M. de Marcellus, ajouta ou de tout autre chef de rébellion. » Ces mots étaient dirigés contre le duc d'Orléans, dont le nom avait été prononcé après l'abdication de Napoléon et que les ultra-royalistes soupçonnaient d'aspirer au trône de Louis XVIII. Le projet de la commission, ainsi amendé, fut voté par 293 voix contre 69 (30 octobre). La discussion avait pris deux séances. Au Luxembourg, la loi sur la liberté individuelle fut votée malgré une opposition très-énergique de Lanjuinais, qui la compara à la loi des suspects de 1793 et la présenta comme pouvant amener de nouveaux massacres de septembre, et après deux jours de débats, par 128 voix contre 37 (27 octobre).

La loi sur les cris séditieux fit reparaître à la Chambre des paire les propositions de peine capitale, dont Chateaubriand se fit l'apologiste. Néanmoins, la loi fut adoptée, sans changement, par 121 voix contre 27 (7 novembre).

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§ IV. COURS PRévôtales. Ces deux lois, qui mettaient à la discrétion de l'autorité, l'une la liberté de tous les citoyens, l'autre les moyens de poursuivre toutes les manifestations par lesquelles peut se produire l'hostilité contre un gouvernement, ne suffisaient pas à assouvir la soif de vengeances dont étaient atteints les royalistes, et l'on vient de voir qu'ils avaient exigé du gouvernement le rétablissement des cours prévôtales. Dans la séance du 17 novembre, le ministre de la guerre présenta le projet de loi destiné à réaliser le vœu de la majorité.

C'était, comme toujours, pour épouvanter les méchants et rassurer les bons que le roi proposait de rétablir une juridiction excentionnelle empruntée à l'ancienne législation d'avant 1789.

La loi établissait, dans chaque département, une cour prévôtale composée d'un prévôt choisi dans l'armée, ayant au moins le grade de colonel, d'un président et de quatre juges choisis dans le tribunal de première instance. Ces cours poursuivaient tous les indivídus, civils et militaires ou autres, prévenus de rébellion, de réunion séditieuse, d'avoir fait partie d'une bande armée, de lui avoir fourni des armes, munitions ou vivres, d'avoir arboré un drapeau autre que le blanc, publié des écrits, proféré des discours ou des

cris séditieux, ou des menaces d'attentat contre la personne du roi ou des membres de sa famille, excité des citoyens à attaquer ou renverser l'autorité royale. Ces cours connaissaient encore des vols et crimes commis avec violence par des militaires en activité ou en demi-solde, congédiés ou licenciés; pour ces deux dernières catégories, il fallait que le fait eût été commis dans l'année qui avait suivi le congé ou le licenciement.

Le prévôt pouvait poursuivre sur de simples dénonciations privées. Il pouvait non-seulement se porter, de sa personne, partout où il le jugeait convenable, mais aussi requérir le transport de la cour entière pour siéger et juger sur le lieu même du crime.

Les arrêts des cours prévôtales étaient sans appel, sans recours en cassation, et exécutoires dans les vingt-quatre heures. Le roi ne pouvait faire grâce qu'aux seuls condamnés recommandés à sa clémence par la cour prévôtale elle-même.

Après un débat qui occupa les séances des 3 et 4 décembre, et dans lequel toutes les rigueurs de la loi furent défendues par Georges Cuvier, commissaire du roi, 290 voix contre 14 adoptèrent la loi.

Portée le 12 à la Chambre des pairs, la loi des cours prévôtales y fut votée, le 15, sans discussion, par 120 voix contre 11.

§ V. PROCÈS DU COMTE LAVALETTE. Tandis que la réaction royaliste se préparait ainsi de nouvelles armes pour la vengeance, l'ordonnance de proscription du 24 juillet continuait à produire ses effets. Le 20 novembre 1815, comparaissait devant la cour d'assises de la Seine, le comte Lavalette, directeur des postes sous l'Empire et durant les Cent Jours, accusé : 1° de complicité dans un complot ayant pour but et pour résultat le retour de l'usurpateur, son triomphe et le renversement du gouvernement du roi; 2° d'usurpation de fonctions publiques, pour avoir repris la direction des postes le 20 mars.

Après les débats, dans lesquels il fut impossible de démontrer la participation de l'accusé à un complot, qui d'ailleurs n'existait pas, le président de la cour, au lieu de poser au jury une question sur chaque chef d'accusation, réunit les deux chefs en une seule question, de sorte que, si le jury répondait non, il acquittait sur le second chef, avoué par l'accusé; s'il répondait oui, il condamnait sur le premier chef, que l'accusé repoussait et que le ministère public n'avait pu établir. Vainement le défenseur de l'accusé réclama contre cette dérogation aux usages judiciaires; le président

maintint sa décision. Le jury répondit oui et Lavalette fut condamné à la peine de mort.

Heureusement, cette condamnation ne devait pas recevoir son effet, non par un acte de la clémence royale, mais par un acte de dévouement de la femme du condamné.

Une démarche en vue de la grâce fut pourtant essayée. Le duc de Raguse conduisit madame Lavalette aux Tuileries sur le passage du roi au sortir de la messe. Louis XVIII vit la comtesse et, sans s'arrêter, lui dit sèchement : « Madame, je ne puis faire autre chose que mon devoir. »

Lavalette s'était pourvu en cassation. Pendant les jours de délai qu'entraînait le pourvoi, un projet d'évasion fut préparé.

Le 20 décembre, le pourvoi étant rejeté et l'exécution fixée au lendemain matin, madame Lavalette, accompagnée de sa jeune fille Joséphine, âgée de douze ans, vint à la Conciergerie faire sa visite quotidienne à son mari. Elle était enveloppée d'un épais manteau garni de fourrure. A l'heure réglementaire, on vit la mère et la fille sortir de la prison et remonter dans la chaise à porteurs qui les avait amenés. Quelques minutes après, le gardien, entrant dans la cellule du comte, n'y trouva plus le prisonnier, mais la comtesse. L'alarme fut aussitôt donnée; on courut après la chaise, on la rejoignit; la jeune fille s'y trouvait seule. On ne réussit pas à découvrir le fugitif.

Par les soins d'amis dévoués, M. Lavalette était monté, rue Harlay, dans un cabriolet qui l'avait conduit rue du Bac, à un hôtel où la police ne songea pas à le chercher, car c'était celui du duc de Richelieu. Le duc n'était pas dans le secret. L'appartement qui servit d'asile à M. Lavalette était celui de M. Bresson, caissier du ministère des affaires étrangères. Il y resta trois semaines, puis, à l'aide de Bruce, Hutchinson et Wilson, officiers anglais, il put quit. ter Paris, le 3 janvier, et gagner la Belgique, puis la Bavière.

Madame Lavalette fut retenue six semaines à la Conciergerie. La fureur causée par l'évasion de l'ancien directeur des postes fut telle dans le parti royaliste que la comtesse, en sortant de prison, dut retirer sa fille du couvent où elle était en pension. Dès que l'on y avait connu la part qu'elle avait prise à la délivrance de son père, la jeune Joséphine était devenue un objet de répulsion et de haine; plusieurs familles avaient déclaré qu'elles retireraient leurs enfants si l'on ne renvoyait pas une pensionnaire souillée d'un tel acte.

CHAPITRE III

Traités de 1815.

Au cours de ces divers événements, le 25 novembre, tous les ministres se rendirent à la Chambre des pairs et le duc de Richelieu donna lecture des traités dont le roi avait annoncé la conclusion, le 7 octobre, dans son discours d'ouverture des Chambres, mais qui ne furent définitivement signés que le 20 novembre.

La même communication fut faite, le même jour, à la Chambre des députés.

Le traité de 1814 était la revanche, aussi légitime que peut l'être une revanche, prise sur un ennemi, victorieux pendant vingt ans, vaincu après une année entière de combats où il avait été encore plus d'une fois vainqueur et qui s'était fait craindre et respecter jusque dans sa dernière défaite. On lui accordait, du moins, les honneurs de la guerre.

Les traités de 1815 furent inspirés par la volonté d'infliger à la France un châtiment, une humiliation; de la faire déchoir politiquement, moralement, matériellement, du rang que, jusque-là, elle avait tenu parmi les peuples. N'ayant plus de conquêtes récentes à lui reprocher et à lui enlever, on remonta dans le passé historique, on lui reprocha d'avoir conquis, on prétendit lui reprendre des provinces dont la possession était consacrée par le temps, par l'attachement des populations.

La Prusse qui, l'année précédente, n'avait eu qu'un rôle très-secondaire dans la coalition et à qui, cette année, le hasard des événements avait donné un des premiers rôles, se montrait particulièrement acharnée au démembrement de la France : c'était le châtiment de la part qu'avait eue la France de l'ancienne monarchie à l'agrandissement des marquis de Brandebourg. La Prusse ne parlait de rien de moins que d'enlever à la France les départements représentant la Flandre, l'Alsace, la Lorraine, une partie de la Champagne, et, pour faire réussir ses convoitises, elle y intéressait l'Autriche, la Sardaigne, les Pays-Bas. Chacun aurait eu sa part de France, la plus grosse restant, naturellement, à la Prusse. Des cartes circulaient où nos provinces de l'Est étaient comprises dans l'Allemagne. Les chefs militaires commandant les places de cette

région avaient refusé de laisser annoncer le retour de Louis XVIII, par la raison que ces territoires étaient d'ores et déjà devenus allemands.

Ce n'était pas là seulement les rêves exagérés de quelques publicistes, de quelques officiers abusant de la victoire. C'était la prétention, diplomatiquement exprimée, des négociateurs officiels qui préparaient le traité de paix. Le représentant de l'Autriche avait nettement formulé des exigences contre la confirmation du traité de Paris, il demandait pour les Pays-Bas la partie de nos districts du Nord ayant fait partie autrefois de la Belgique; pour le roi de Sardaigne, la Savoie; pour la Prusse et l'Allemagne, plusieurs de nos départements de l'Est. Il y ajoutait la démolition des fortifications d'Huningue, qui ne seraient jamais relevées; 600 millions pour frais de guerre et 200 millions pour construire des places fortes destinées à nous tenir en bride; enfin, l'occupation d'une partie de nos frontières, pendant sept ans, par une armée de 150,000 hommes de troupes étrangères entretenues aux frais de la France.

Sur les instances de Talleyrand, le duc de Wellington avait adressé aux négociateurs des autres puissances, en son nom privé et comme expression de son opinion toute personnelle, une note où il signalait les inconvénients des exigences qu'on voulait imposer à la France. Cette démarche n'ayant pas eu de succès, Louis XVIII demanda une entrevue au czar et à Wellington. Alors, s'adressant au duc: « Mylord, dit-il, je croyais, en rentrant en France, régner sur le royaume de mes pères. Il paraît que je me suis trompé; je ne saurais cependant rester qu'à ce prix. Croyezvous, mylord, que votre gouvernement consente à me recevoir, si je lui demande encore asile ? » Alexandre fut ému du sentiment qui inspirait ces fières et mélancoliques paroles; il comprit la dignité froissée du monarque, qui ne séparait pas sa grandeur personnelle de la grandeur de son pays. «Non, non, sire, s'écriat-il, Votre Majesté ne perdra pas ces provinces, je ne le souffrirai pas. »

Le lendemain, une note du comte de Nesselrode, le négociateur russe, rappelait à ses collègues que, si les alliés avaient droit à des garanties morales, ils ne pouvaient exiger le droit de conquête, car ils n'avaient pris les armes que pour maintenir le traité de Paris. Repoussant toute idée de cession de territoire, le comte proposait des mesures militaires pour tout le temps jugé nécessaire,

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