Page images
PDF
EPUB

et la construction de forteresses opposées aux places fortes de la France.

L'effet de cette note faillit être compromis par une maladresse de Talleyrand (il était encore ministre), qui, croyant venir en aide aux observations de Wellington, fit courir le bruit que les exigences des alliés rendaient imminent un soulèvement général en France. Cette manœuvre diplomatique eut le résultat contraire à celui qu'en attendait le prince de Bénévent: en inquiétant les alliés, elle les rendit plus rigoureux; la Russie consentit à laisser détacher de la France de 1814 quelques places de guerre.

Ainsi réduites, les conditions précédemment posées par Met-ternich furent communiquées à Talleyrand, le 16 septembre. Talleyrand ne contesta que le terme de sept ans assigné à l'occupation, laissant à négocier sur les quotités indiquées dans le surplus des conditions. Les négociateurs maintinrent leur ultimatum (20 sep tembre).

Sur ces entrefaites, arriva la chute du ministère TalleyrandFouché et l'avénement du duc de Richelieu.

Dans la reprise des négociations, le nouveau ministre des affaires étrangères fut efficacement soutenu par Alexandre, dont le concours amena des transactions favorables à la France. Le 2 octobre, fut signée, par les plénipotentiaires étrangers et par le duc de Richelieu, la convention que Louis XVIII annonça aux Chambres le 7 octobre. Elle contenait les principes essentiels du traité à signer après le règlement de quelques points secondaires. Ces dernières questions occupèrent la diplomatie jusqu'au 20 novembre, date de la conclusion définitive.

Voici, en substance, ce qu'était l'œuvre soumise par le duc de Richelieu aux deux Chambres, qui, pas plus que le ministre, pas plus que le roi, n'étaient libres de ne pas l'accepter.

La France fut ramenée à ses limites de 1790, laissant, toutefois, en dehors de ces limites les territoires et places de Philippeville et de Marienbourg, le duché de Bouillon, Sarrelouis et le cours de la Sarre, Landau et la rive gauche de la Lauter (moins Wissembourg), toute l'ancienne Savoie et une partie du pays de Gex; la France renonçait à tenir garnison à Monaco, elle s'engageait à démolir et à ne jamais reconstruire les fortifications d'Huningue.

Les reprises de territoires étaient peu considérables en apparence; mais, en réalité, elles ouvraient aux armées ennemies notre fron tière du Nord-Est.

La France dut, en outre, payer une contribution de guerre de 700 millions et pourvoir à l'entretien d'une armée de 150,000 hommes destinée à occuper la ligne de nos places fortes sur les frontières du Nord et de l'Est, pendant cinq ans. La durée de cette occupation pouvait, après la troisième année, être supprimée ou réduite, à la volonté des Alliés. Toutes les autres troupes étrangères devaient évacuer immédiatement le territoire français.

Par un article additionnel, singulièrement placé là, les puissances contractantes s'engageaient à unir leurs efforts pour amener l'abolition de la traite des noirs.

Une convention additionnelle chargeait des commissaires liquidateurs de régler le montant des réclamations des gouvernements et sujets étrangers contre la France.

Une autre convention, spéciale à l'Angleterre, stipulait le remboursement de sommes perdues par les sujets britanniques depuis 1793.

Le montant de ces deux conventions s'éleva à plus de 300 millions; l'occupation du territoire en 1814 et celle qui suivit ne coûtèrent pas moins de 800 millions, ce qui, avec l'indemnité de guerre de 700 millions, fait un total minimum de 1,500 millions.

Voilà ce que coûta, seulement au Trésor public, l'aventure du 20 mars, sans compter les pertes matérielles subies par l'État et celles que souffrirent les particuliers.

Le jour de la signature du traité, le duc de Richelieu rentra chez lui, où l'attendaient un de ses collègues, Barbé-Marbois, et un de ses amis, M. de Barante. Ses traits étaient bouleversés, ses yeux pleins de larmes ; il se laissa tomber dans un fauteuil et, pressant sa tête de ses deux mains, il s'écria : « Je viens de signer un traité pour lequel je devrais porter ma tête sur l'échafaud! » Le public sut avec quelle douleur le ministre avait mis son nom au bas d'un traité aussi dur pour la France; mais nul ne songea à railler ses larmes patriotiques.

Si telle fut l'émotion produite chez un émigré, resté si longtemps étranger aux sentiments de la France nouvelle, on comprend aisément quelle dut être l'impression de la nation entière.

Le traité de 1814 avait enlevé à la France plus de territoire, plus de puissance, plus de richesses que ne lui en prit le traité de 1815; elle avait subi le premier avec résignation comme un cruel retour de fortune; elle ne s'est jamais résignée au second et, même après

en avoir subi un autre plus désastreux, elle le maudit encore. C'est qu'en 1815, on ne se contenta pas de lui imposer la fatale loi: Malheur aux vaincus! on voulut ajouter l'outrage à la défaite et le lui faire sentir. En s'abandonnant à l'entreprise du 20 mars, la France avait peut-être commis une faute dont il était juste qu'elle supportât les conséquences; elle n'avait rien fait qui excusât une humiliation. L'armée avait donné à Waterloo tout ce qu'on peut attendre de la valeur et de la vigueur humaines : elle eût dû être victorieuse si la victoire appartenait toujours à l'héroïsme. Elle ne demandait, et le peuple avec elle, qu'à combattre encore devant Paris ou derrière la Loire et, si la France alors ne fut pas défendue, le crime en est à une assemblée inintelligente et à un traître dont elle ne sut pas déjouer et punir les perfidies. Napoléon lui-même reçoit, en ces tristes moments, une sorte de grandeur par la bassesse des autres pouvoirs.

En 1814, l'opinion publique attribua à l'empereur les désastres de la patrie; ce n'était pas là la vraie justice, car lorsqu'une nation s'est faite l'esclave d'un homme, elle n'est pas absoute de ses malheurs par la folie de cet homme. En 1815, l'opinion imputa aux Bourbons les humiliations dont elle fut victime. Ce n'était pas juste encore. Comme l'année précédente, les Alliés avaient proclamé qu'en prenant les armes contre Napoléon, ils n'entendaient pas imposer un gouvernement à la nation française. Que fit l'Assemblée qui prit en main le pouvoir après Waterloo, pour revendiquer le droit du peuple français? que fit l'inepte gouvernement provisoire institué par cette Assemblée? quel effort tenta la nation ellemême ?

Les Bourbons, on devait s'y attendre, profitèrent des circonstances, ils rentrèrent à la suite des troupes ennemies : ce fut le malheur de leur situation et ils n'eussent pu l'éviter qu'en renonçant à leurs prétentions au trône de France. La voix publique leur a reproché pendant quinze ans d'être « revenus dans les bagages de l'étranger, » ce qui est littéralement vrai, sans être absolument équitable. Ils portent la responsabilité des traités de 1815 et ils ne sauraient la décliner complétement puisqu'ils ont eu le triste bénéfice d'en profiter. Il faut reconnaître cependant que l'influence personnelle de Louis XVIII a atténué un peu les exigences des vainqueurs.

Mais ni Louis XVIII ni les princes de sa famille n'ont su ou voulu comprendre les causes générales du 20 mars, et si le roi convint à

Cambrai que son gouvernement avait pu faire des fautes, s'il promit que l'expérience acquise ne serait pas perdue, il oublia promptement ceite promesse. Au lieu de livrer à la justice de l'histoire, comme l'avait fait Napoléon, ceux qui l'avaient trahi ou délaissé, il les livra à la justice des conseils de guerre, de la pairie, des cours prévôtales ou les abandonna à la fureur des assassins. L'opinion publique ne sépara pas des exigences de l'étranger les vengeances des Bourbons; celles-ci lui parurent la conséquence de celles-là, et le ressentiment des traités de 1815 enveloppa les Bourbons: ils en ont porté la peine en 1830.

En dehors du traité et des conventions conclus avec la France, les quatre puissances, Angleterre, Autriche, Prusse et Russie, signèrent entre elles, sous la même date du 20 novembre, un traité particulier confirmant les traités de Paris et de Vienne, et stipulant « des réunions consacrées aux grands intérêts communs et à l'examen des mesures qui seront jugées les plus salutaires pour le repos et la prospérité des peuples et pour le maintien de la paix en Europe. » Ces réunions furent réalisées, dans la suite, par les congrès d'Aixla-Chapelle, de Troppau, de Laibach et de Vérone. Bien que la France ne fût pas engagée dans ce traité, communication en fut donnée au gouvernement du roi, dans une note où il était dit que, loin d'écouter des conseils pouvant provoquer des mécontentements, le roi n'opposera à ses ennemis que « son dévouement aux lois constitutionnelles, la volonté d'être le père de tous ses sujets sans distinction de classe ou de religion, » et où l'on exprimait des vœux pour le maintien et la conservation de l'autorité constitutionnelle de Sa Majesté,... et que la France reprendra la place éminente à laquelle elle a été appelée dans le système européen. »

Il y avait là d'excellents conseils et comme un hommage involontaire à cette France à qui, tout en l'humiliant, on ne pouvait contester sa« place éminente » en Europe.

Les traités de 1815 ont été souvent désignés sous le nom de Sainte-Alliance. C'est une désignation inexacte. Le véritable traité de Sainte-Alliance fut une sorte de pacte, plus religieux que politique, proposé par Alexandre, sous l'influence d'une illuminée allemande, M. de Krudener, qui mêlait le mysticisme à l'amour. Ce pacte, conclu« au nom de la Très-Sainte et indivisible Trinité », entre les souverains de Russie, d'Autriche et de Prusse, « convaincus de la nécessité d'asseoir leur marche sur les vérités sublimes qu'enseigne l'éternelle religion du Dieu Sauveur, » déclarait que les trois

souverains s'engagent à la face de l'univers, à ne prendre pour règle de leur conduite que les préceptes de cette religion sainte, à s'entendre fraternellement et à ne s'envisager eux-mêmes que comme délégués de la Providence pour gouverner trois branches d'une même famille, confessant ainsi que la nation chrétienne, dont eux et leurs peuples font partie, n'a réellement d'autre souverain que Celui à qui seul appartient en propriété la puissance, parce qu'en lui seul se trouvent tous les trésors de l'amour, de la science et de la sagesse infinie, c'est-à-dire Dieu, notre souverain Sauveur Jésus-Christ, le Verbe du Très-Haut, la Parole de Vie. »

Quand cet étrange document diplomatique fut présenté à Louis XVIII, il le signa, peut-être sans l'avoir lu; cela n'avait pas d'inconvénient. Plus positif, le représentant de l'Angleterre refusa d'y adhérer sous prétexte qu'il n'y avait là rien de pratique. Ce n'était, en effet, que de la rêverie pure, et les signataires n'en tinrent pas autrement compte. Le traité de Sainte-Alliance précéda d'environ deux mois les traités sérieux: il est du 26 septembre.

CHAPITRE IV

Procès du maréchal Ney.

[blocks in formation]

§ I. PROCÈS DU MARÉCHAL NEY. Dans le même moment où se concluaient les funestes traités, s'accomplissait un événement qui émouvait profondément l'opinion publique en France et tenait éveillée l'attention de l'Europe: la Chambre des pairs jugeait le maréchal Ney, accusé de haute trahison et d'attentat contre la sûreté de l'État.

Revenu à Paris après la bataille de Waterloo, Ney en était parti le 9 juillet, pour passer en Suisse. Apprenant à Lyon que toutes les routes étaient gardées par les Autrichiens, il se retira d'abord à Saint-Alban (Allier). Là, il reçut de sa femme avis qu'il était porté sur la liste de proscription du 24 juillet, mais qu'il trouverait asile au château de Bessonis (Lot), où il se rendit aussitôt. Le 5 août, il y fut arrêté, sur un ordre donné par le préfet du Cantal, à qui avait été révélée la retraite du maréchal.

Transféré à Paris, interrogé aussitôt par M. Decazes, puis incarséré d'abord au dépôt de la préfecture de police, Ney fut, ensuite,

« PreviousContinue »