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envoyé pour sommer le général de rendre la place de Condé qu'il commandait. Acquitté sur le chef du meurtre, Bonnaire fut, à l'unanimité, déclaré coupable de n'avoir pas réprimé le meurtre.

Le conseil, tout en reconnaissant que le fait imputé au général n'était prévu par aucune loi pénale, civile ou militaire, le condamna à la déportation et à la dégradation de la Légion d'hon

neur.

Mielton, déclaré coupable de meurtre, fut condamné à mort et fusillé le 29. Le même jour, Bonnaire fut dégradé publiquement à la place Vendôme.

Le 15 juillet, Mouton-Duvernet est condamné à mort par le conseil de Lyon, et fusillé le 26. Le lendemain, des dames lyonnaises allèrent, en grande toilette, danser sur le lieu du supplice; des royalistes fêtèrent l'exécution par un banquet, où fut servi un foie de mouton que les convives percèrent de leurs cou

teaux.

Le 17 mai, à Paris, le général Gruyer avait été condamné à mort; la peine fut commuée en vingt ans de détention. Il mourut en prison.

D'autres condamnations capitales furent prononcées, mais par contumace, contre les généraux : Lefebvre-Desnouettes (11 mai); Rigaud (16 mai); Gilly (25 juin); Drouet d'Erlon (10 août); Lallemand aîné (20 août); Lallemand jeune (21 août); Clausel (11 septembre); Brayer (18 septembre); Ameilh (15 novembre).

Les vengeances royalistes n'atteignaient pas seulement les personnes, elles s'en prirent aussi aux choses. On proscrivait, on détruisait tous les insignes, emblèmes, objets quelconques pouvant rappeler la Révolution ou l'Empire. Les aigles disparaissaient du pont d Iéna, le chiffre de Napoléon était, dans les parties du Louvre construites sous son règne, remplacé par celui de Louis XVIII; le préfet de la Côte-d'Or célébra le 21 janvier 1816, en faisant abattre, dans son département, tout ce qu'il y restait d'arbres de la liberté; à Orléans, en présence de tous les fonctionnaires, y compris les magistrats de la cour royale en robes rouges, le préfet faisait brûler, sur la place du Martroi, par la main du bourreau, le portrait en pied de Napoléon, qui était à l'hôtel de ville, des bustes, des tableaux, des gravures de l'époque impériale; et tout ce monde officiel dansait autour du bûcher en chantant: On va leur percer le flanc.

L'Institut subit une épuration. On en élimina non-seulement les

◄ régicides », mais aussi des savants, des écrivains, qui n'avaient commis d'autre crime que celui de n'être pas sympathiques au gouvernement nouveau. A l'Académie française, les exclusions furent prononcées d'après un travail fait par un des membres mêmes de la compagnie, M. Suard.

L'année précédente, on avait supprimé le Musée des monuments français, créé à grand'peine par Alexandre Lenoir, et l'on en avait dispersé les richesses. En 1816, une ordonnance royale prescrivit de le remplacer par une École de beaux-arts, dont l'ouverture fut fixée au 15 octobre. Mais la première pierre n'en fut posée qu'en 1820.

Le 13 avril 1816, fut licenciée l'École polytechnique.

La mort même ne fut pas respectée et Saint-Denis vit une nouvelle violation de sépulture. Le fils aîné de Louis Bonaparte, roi de Hollande, qui avait été enterré dans la vieille abbaye, en fut expulsé. Le curé de Saint-Leu-Taverny le recueillit et le fit inhumer dans son église.

Deux villes perdirent le nom de Napoléon qui leur avait été donné, parce que l'Empire les avait, sinon fondées, du moins agrandies. Napoléonville redevint Pontivy, et Napoléon-Vendée devint Bourbon-Vendée. Les établissements, les rues de Paris qui portaient des dénominations rappelant les événements ou les hommes de la Révolution et de l'Empire, reprirent ou reçurent des appellations royalistes. Dans des familles même, où beaucoup d'enfants avaient, à leur naissance, été appelés Napoléon, on n'osa pas conserver ce nom proscrit; on les appela, par retranchement, Léon.

§ III. DÉBATS LÉGISLATIFS. Pendant tous ces événements, la Chambre de 1815 poursuivait sa session dans un esprit de domination parlementaire et avec des emportements de passion réac→ tionnaire qui, tout à la fois, indisposaient contre elle l'opinion publique et marquaient, de jour en jour, un écart plus grand entre la majorité et le ministère, effrayé des extrémités où la Chambre poussait la royauté.

Le 15 décembre 1815, le ministère avait présenté un projet de loi électorale dont les dispositions étaient combinées de manière à faire prédominer dans les élections l'influence du gouvernement en faisant entrer dans les colléges électoraux, avec un petit nombre d'électeurs censitaires, à peu près tous les fonctionnaires tenant leur position du gouvernement. La commission de la Chambre chargée de l'examen de ce projet y substitua un contre-projet tout dif

férent qui devait assurer la prépondérance à la grande propriété. La Chambre, malgré les efforts du ministère, convertit le travail de sa commission en une loi qui fut votée le 6 mars. Le 3 avril, elle fut rejetée par la Chambre des pairs.

Le 5 avril, un nouveau projet, ne devant avoir qu'une durée provisoire, fut apporté au Palais-Bourbon. Les mêmes divergences se reproduisirent, la commission refit un contre-projet, que la Chambre adopta le 10 avril, mais que le gouvernement ne se hâta point de soumettre à la Chambre des pairs.

La discussion du budget révéla, sous une autre forme, l'antagonisme de vues entre le parlement et le cabinet. Tandis que celui-ci, pour faire face aux exigences de la situation financière, proposait une augmentation d'impôts sur la propriété foncière et les aliénations de bois de l'État, les grands propriétaires, en majorité dans l'Assemblée, reportaient l'aggravation d'impôts sur les patentes, c'est-à-dire sur le commerce et l'industrie, et refusaient de vendre les bois de l'État. La plus grande partie de ces bois provenait des biens du clergé et la majorité se réservait de les lui restituer.

La Chambre se montra, d'ailleurs, soucieuse des intérêts du Trésor et jalouse de réaliser le plus possible d'économies; elle soumit toutes les dépenses à un contrôle rigoureux et posa des règles sévères dont une partie subsiste encore aujourd'hui. Sur un point cependant, la nécessité l'obligea à une mesure regrettable. Il avait fallu augmenter le taux de tous les cautionnements. Pour indemniser de cette mesure une catégorie de cautionnés qui ne recevaient de l'État aucun traitement, ceux qu'on appelle officiers ministériels (notaires, avoués, greffiers, huissiers, agents de change), la loi de finances les autorisa à présenter leurs successeurs. l'ar ce moyen détourné se trouva rétablie la vénalité des offices, tant attaquée sous l'ancien régime et que la Révolution avait abolie.

Prenant hardiment l'initiative sur des questions dont elle savait bien que le ministère ne la saisirait pas, la Chambre n'hésita pas à voter des résolutions pour l'augmentation des traitements ecclésiastiques, la reconstitution des biens du clergé et des propriétés de main morte, l'abolition du divorce, la remise au clergé de la direction de l'instruction publique, la substitution du gibet à la guillotine, etc. C'est à l'occasion de la présentation au roi d'une de ces résolutions (qui n'avaient pas le caractère de lois), que Louis XVIII, à qui toutes ne répugnaient pas, dit : « Une pareille Chambre semblait introuvable. » Ce mot, qui était un éloge dans la bouche du

roi, fut repris par le public comme une épigramme et est resté attaché, comme une réprobation, à la mémoire de la Chambre de 1815.

Après le vote du budget, qui eut lieu le 17 avril au Palais-Bourbon et le 27 au Luxembourg, une ordonnance royale du 29 déclara close la session de 1815 et fixa au 1er octobre l'ouverture de la session de 1816.

§ IV. MUTATIONS MINISTÉRIELLES. Aussitôt après la séparation des Chambres, le duc de Richelieu s'empressa de se débarrasser de deux de ses collègues, M. de Vaublanc, ministre de l'intérieur, inepte et gênant, imbu des passions de la majorité, et qui, en plus d'une occasion, avait compromis le cabinet, et Barbé-Marbois, garde des sceaux, médiocrité inutile. Le ministère de l'intérieur fut donné à M. Lainė, président de la Chambre des députés ; M. Dambray devint garde des sceaux par intérim. Avec Barbé-Marbois, qui reprit la présidence de la Cour des comptes, se retira son secrétaire général, l'ancien secrétaire de l'abbé de Montesquiou, M. Guizot. Ce fonctionnaire avait pris une large part aux mesures réactionnaires du ministère de la justice, son zèle était irréprochable, mais il avait une tache ineffaçable, impardonnable en ce temps-là: il était protestant (6 mai).

§ V. CONSPIRATIONS. En inquiétant toutes les existences, en empêchant toutes les manifestations publiques d'opinions et de sentiments, la Terreur blanche, qui dura depuis le mois de juillet 1815 jusqu'à la fin de 1816, devait, comme c'est le propre de toute terreur, produire la propagande occulte des haines et le concert souterrain, c'est-à-dire des conspirations en vue de mettre fin aux persécutions. Le récent et prodigieux succès de l'aventure du 20 mars semblait, d'ailleurs, promettre une victoire facile et sûre aux rêveurs qui bâtissent des conspirations en France. Il n'est donc pas étonnant qu'il en ait été formé en 1816 c'est le contraire qui serait surprenant.

Le ministère remanié était à peine constitué que, dans la soirée du 6 mai, une dépêche expédiée de Grenoble par le général Donnadieu, commandant la division militaire de Grenoble, vint le bouleverser; elle disait : « Vive le roi! Monseigneur les cadavres de ses ennemis couvrent les chemins à une lieue à l'entour de Grenoble. Je n'ai que le temps de dire à Votre Excellence, que les troupes de Sa Majesté se sont couvertes de gloire. A minuit, les montagnes étaient éclairées par les feux de la rébellion dans toute la province. La ville a été attaquée sur tous les points à la fois. Des prisonniers

arrivent à chaque instant. Déjà, plus de soixante sont en notre pouvoir. Un bien plus grand nombre est attendu. La Cour prévôtale va en faire prompte et sévère justice... Toutes les autorités civiles et militaires ont fait leur devoir. On évalue le nombre des brigands qui ont attaqué la ville à quatre mille... »

C'est en ces termes, mensongèrement pompeux, que le général Donnadieu annonçait le coup de main tenté contre Grenoble, le 5 mai, par Paul Didier, ancien avocat, esprit inquiet et mal réglé, à la tête de quatre à cinq cents anciens militaires et paysans, qu'il avait entraînés, les uns au nom de Napoléon II, les autres en parlant du duc d'Orléans, tous en leur promettant le concours de l'Autriche. Cette entreprise insensée avait été dénoncée aux autorités de Grenoble, qui étaient en mesure de la faire échouer quand Didier et les siens se présentèrent. Une seule décharge suffit à les mettre en déroute, laissant derrière eux six cadavres.

Sans attendre une seconde dépêche, le ministère expédia ordre au général Donnadieu de mettre le département de l'Isère en état de siége, et aux préfets des départements voisins de comprimer la révolte avec la plus grande énergie. Les jours suivants arrivent de nouvelles dépêches, à peu près aussi alarmantes. Le 11, le gouvernement apprend que la Cour prévôtale et le conseil de guerre, agissant en vertu de l'état de siége, ont déjà condamné à mort 21 individus, dont 14 ont été immédiatement exécutés; qu'il a été sursis à l'exécution de deux parce qu'on en attend des révélations et que six autres sont recommandés par leurs juges à la grâce royale. Le 12, le ministère expédie l'ordre de mort pour tous les condamnés, ordre qui fut aussitôt exécuté. Il y avait parmi les condamnés un adolescent de seize ans.

De sa propre autorité, le général prescrivait les mesures les plus sanguinaires. Une véritable chasse aux paysans était organisée dans les montagnes voisines. « Tout habitant dans la maison duquel sera trouvé un insurgé, ou qui, l'ayant recelé sciemment, ne l'aura pas dénoncé, sera condamné à mort; sa maison sera rasée... Tout habitant chez qui on aura trouvé des armes de guerre ou de chasse, sera livré à la commission militaire et sa maison sera rasée. »

Il fallut que le ministre de la guerre écrivit sévèrement au général pour lui rappeler que l'état de siége n'abroge pas les lois et lui prescrire de révoquer ses ordres sauvages.

Trois autres condamnations capitales, prononcées par la Cour prévôtale, avaient aussi été suivies de deux exécutions.

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