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Didier réussit, pendant près d'un mois, à se soustraire aux recherches de la police et à passer en Savoie. Dénoncé par un montagnard à qui il avait demandé l'hospitalité, arrêté par la gendarmerie piémontaise, remis aux autorités françaises, il fut ramené à Grenoble, condamné à mort par la Cour prévôtale et exécuté le 10 juin. Ce fut la vingt-cinquième victime livrée à la mort.

On a cru longtemps que la conspiration de Didier avait eu pour but de faire passer le trône de Louis XVIII au duc d'Orléans. Rien n'a, depuis, justifié cette supposition; rien non plus n'a fait connaître les véritables motifs de Didier.

Tandis qu'une aussi sanglante répression, répondant à une attaque aussi peu redoutable, épouvantait le Dauphiné, un autre procès, dont les suites devaient être non moins terribles, s'instruisait à Paris.

Le Moniteur du 11 mai avait annoncé la découverte d'un complot « dont le but était l'anarchie, le brigandage et le retour de l'exécrable régime de 1793. » La feuille officielle ajoutait que les conspirateurs étaient, pour la plupart, de la dernière classe du peuple, n'ayant aucun moyen d'exécution, bien convaincus de leur nullité, dont la police surveillait tous les mouvements, n'avait jamais perdu la trace, et que leur complot, dont elle avait constamment tenu les fils, n'avait jamais donné la moindre alarme au gouvernement.

Un complot si peu dangereux n'en amena pas moins devant la Cour d'assises vingt accusés, dont les principaux étaient Plaignier, ouvrier cambreur, Carbonneau, écrivain public et Tolleron, ciseleur.

Les débats ne firent ressortir contre eux d'autre projet que celui de former entre les patriotes une sorte d'association dont les affiliés se prêteraient réciproquement assistance en cas de troubles politiques. Une carte grossière devait servir de signe de reconnaissance aux affiliés. Des distributions en avaient été faites, sans grand mystère, dans des réunions chez un marchand de vins, cour de la Sainte-Chapelle. A une de ces réunions, il avait été question d'un projet pour faire sauter les Tuileries; mais ce propos, repoussé par tout l'auditoire, avait été tenu par un individu appartenant à la police, nommé Scheltein, que l'on ne sut ou ne voulut pas retrouver, malgré les instances des accusés, malgré l'ordre formel donné par le président des assises.

Ouverts le 27 juin, les débats se prolongèrent jusqu'au 6 juillet. D'après la déclaration du jury, Plaignier, Carbonneau et Tolleron

furent condamnés à la peine des parricides; huit autres accusés, dont une jeune femme, à la déportation; huit, de dix à six ans de détention et au carcan; un à cinq ans de prison.

Le 27 juillet, Plaignier, Carbonneau et Tolleron furent conduits à l'échafaud pieds nus, une chemise blanche sur leurs habits, la tête couverte d'un voile noir; chacun d'eux eut le poing coupé avant d'être décapité.

Le 31, les condamnés au carcan subirent leur peine sur la place du Palais de justice; il y avait parmi eux un chef de bataillon en demi-solde, M. Descubes de Lascaux, et un membre de la Chambre des représentants des Cent Jours, M. Gonneau.

Les Patriotes de 1816 (c'est le nom historique de cette conspiration, inhumės à l'ancien cimetière de la Charité, aujourd'hui compris dans celui du Montparnasse, partagent une même et modeste tombe avec les quatre sergents de la Rochelle.

§ VI. MARIAGE DU DUC DE BERRY. - Pendant la durée de ce procès, la cour célébrait par des fêtes le mariage du duc de Berry, fils cadet du comte d'Artois, qui avait épousé, le 19 juin, la princesse Caroline de Naples, fille du roi des Deux-Siciles Ferdinand, par l'ordre duquel Murat avait été fusillé, le 13 octobre 1815, pour avoir essayé un retour du 20 mars.

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§ VII. LA CONGREGATION. — On parlait déjà beaucoup de la Congrégation, sorte d'association mystérieuse et un peu mystique, destinée à devenir presque un pouvoir politique. Originairement, ce ne fut qu'un groupe de catholiques qui, au temps où l'exercice public du catholicisme n'était pas sans danger, se réunissaient en secret pour en voir célébrer les offices dans une salle du séminaire des Missions étrangères, rue du Bac. Le cercle s'étendit un peu, et ceux qui le composaient se rendirent, entre eux, les services que comportaient les circonstances. La réunion passa bientôt sous la direction d'un jésuite qui, obéissant aux statuts de son ordre, en forma une congrégation, c'est-à-dire une association de gens 'appartenant pas à la Compagnie, mais en professant et en propageant la doctrine, et surtout la servant; c'est ce qu'on appelle aussi jésuites de robe courte. Le retour des Bourbons aida au développement de cette association, qui ne tarda pas à compter parmi ses affiliés des gens de cour, le comte d'Artois, le roi lui-même, puis des fonctionnaires de tout ordre, des membres des deux Chambres et à acquérir ainsi une certaine influence politique. Elle eut naturellement pour auxiliaire le clergé, dont elle entreprit de faire triompher les intérêts dans les

deux Chambres en lui faisant restituer ses biens non vendus. Elle provoqua ou aida toutes les mesures favorables à l'extension de l'influence cléricale, seconda les missions qui, sous prétexte de planter des croix dans les campagnes, divisaient les populations en deux camps hostiles l'un à l'autre.

Le ministre de l'intérieur, M. Lainé, se heurta à cette influence lorsqu'il voulut s'opposer à ce que, contrairement au Concordat, les processions eussent la faculté de sortir des églises et de parcourir les rues de Paris. Le roi donna tort au ministre et les habitants furent tenus de tendre et décorer les façades des maisons sur le passage des processions.

Cette influence de la Congrégation et des cléricaux ou, comme on disait alors, du parti prêtre, fut une des principales causes de l'impopularité de la Restauration.

Ce fut un embarras pour le gouvernement lui-même, qui se voyait entravé quand il voulait marcher dans le sens de l'opinion publique et se sentait menacé d'être débordé s'il inclinait à faire quelques concessions à des hommes qui exagéraient son propre prince, mais avec lesquels, après tout, il était en communauté de vue ՀԱՍ beaucoup de points.

CHAPITRE VI

Ordonnance du 5 septembre. - Élections. Loi électorale.

Liberté ind viduelle, Journaux. — Budget. — Occupation étrangère. — Agitations inté rieures, disette. - Élections partielles.

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§ I. ORDONNANCE DU 5 SEPTEMBRE. — Les étrangers suivaient avec une curiosité inquiète cette lutte entre le sentiment général de la nation et un groupe d'hommes qui, en minorité dans le pays mais en majorité dans les Chambres, prétendaient imposer leurs idées à la France entière, contre sa volonté, et employaient l'arme parlementaire qu'ils tenaient du gouvernement pour le contraindre à servir leurs passions. L'issue de la lutte, dans un temps donné, n'était ni douteuse, ni difficile à prévoir: la nation secouerait le joug qu'on voulait faire peser sur elle, mais la Restauration y périrait; qui pouvait calculer quelles seraient les conséquences européennes d'una nouvelle révolution en France! Malgré le respect dû à l'indépen dance d'un gouvernement, les souverains étrangers étaient trop in'éressés dans la question pour ne pas faire parvenir à Louis XVIII

au moins des avis qu'ils pouvaient, d'ailleurs, se croire autorisés à donner par la part qu'ils avaient eue au rétablissement des Bourbons. Ils appelèrent l'attention du roi sur les dangers où l'exposait l'emportement des royalistes trop zélés.

Un des membres du cabinet, M. Decazes, voyait nettement le péril; il voyait aussi le moyen de le conjurer : c'était la dissolution de la Chambre et l'appel à de nouvelles élections; il y était, pour son compte, très-décidé et attendait le moment favorable pour obtenir du roi cette mesure extrême. Le duc de Richelieu y était tout à fait opposé. Cependant, voyant approcher l'époque de la rentrée des Chambres, connaissant les projets de réaction à outrance que préparaient, sans mystère, les ultras, il finit par se ranger à l'avis de M. Decazes et y amener ses autres collègues. Il fallait vaincre les répugnances du roi; on y parvint à l'aide du duc de Wellington, qui eut une conférence avec lui, et de l'empereur Alexandre, qui écrivit à Louis XVIII. Voyant l'initiative de son autorité menacée par les tendances envahissantes de la majorité, le roi signa la célèbre Ordonnance du 5 septembre, qui fut un véritable coup d'État, mais un coup d'État pacifique et constitutionnel; la prérogative royale domina la prérogative parlementaire, mais, par une rare exception, ce fut au profit de la liberté.

Rappelant, dans le préambule, ce qu'il avait dit lors de l'ouverture des Chambres « qu'à côté de l'avantage d'améliorer, il y a le danger d'innover, » le roi déclarait vouloir conserver intacte la Charte constitutionnelle et, en conséquence, réduire le nombre des députés au chiffre fixé par la Charte. Cette réduction ne pouvant s'opérer légalement que par les Chambres, de nouvelles élections étaient convoquées pour former une Chambre des députés.

L'ordonnance portait : « Aucun des articles de la Charte ne sera revisé. La Chambre des députés est dissoute. Les colléges électoraux d'arrondissement se réuniront le 25 septembre, les colléges de département le 4 octobre. La session s'ouvrira le 4 novembre. »

L'acte d'autorité royale fut accueilli comme un immense bienfait, et c'en était bien réellement un, car en déclarant qu'aucun article de la Charte ne serait revisé, le roi faisait tomber tous les projets de retour à l'ancien régime si hautement proclamés par les royalistes radicaux ; il rassurait tous les intérêts alarmés et inaugurait une ère de liberté relative, fort appréciée à la suite des violences dont on venait d'avoir le spectacle. Aussi la joie publique fut-elle grande, comme elle l'est toujours en France pour une œuvre courageuse et

libérale. M. Royer-Collard ne l'exagérait pas lorsqu'il disait que le ministre auteur d'une pareille ordonnance méritait des statues. C'eût été un honneur prématuré. M. Decazes a certainement bien mérité de la patrie en provoquant l'acte du 5 septembre; mais il l'avait pas l'étoffe d'un grand homme d'État et il prouva trop tôt qu'il n'était pas du bois dont se font les Richelieu. Peut-être, avec plus de ténacité et de persévérance, eût-il fait durer la monarchie constitutionnelle jusqu'au jour où elle aurait paisiblement abouti à la République, sans passer par les secousses de trois révolutions et les désastres d'une nouvelle invasion; il aurait conquis une gloire éternelle, tandis qu'il n'a eu que l'honneur d'une seule journée.

La joie publique n'eut d'égale que la fureur des royalistes. Ce fut une explosion de rage: M. Decazes était un traître ! Louis XVIII un jacobin, un révolutionnaire! Les journaux du parti, condamnés au silence par la censure de M. Villemain, semblaient étrangers au mouvement général. Mais ce qu'il ne leur était pas permis de dire éclata avec bien plus de retentissement dans la brochure de Chateaubriand la Monarchie selon la Charte. L'auteur l'avait composée et fait imprimer avant l'Ordonnance du 5; il y faisait l'apologie de toutes les violences de la majorité et demandait que toutes les premières places de l'État fussent confiées aux véritables amis de la monarchie. Il se contentait de sept par département : « un évêque, 'un commandant, un préfet, un procureur du roi, un président de la Cour prévôtale, un commandant de gendarmerie et un comman⚫ dant des gardes nationales. » Le Censeur lui fit remarquer qu'il en oubliait un huitième, « le bourreau. »>

La brochure allait être mise en vente quand parut l'Ordonnance. Chateaubriand en arrêta la publication et y ajouta un post scriptum où, en termes des plus violents, il présentait l'acte du 5 septembre comme une œuvre révolutionnaire, accomplie pour donner satisfaction aux passions révolutionnaires et arrachée au roi par des ministres révolutionnaires. Ce mot avait encore la vertu d'épouvanter les imaginations faibles. Le ministère, redoutant l'effet de la brochure, la fit saisir. Ce fut, comme toujours, le moyen assuré de lui donner plus d'importance: tout le monde voulut la lire et la lut. Pour punir l'auteur, le ministère lui fit retirer le titre de ministre d'État, mais lui laissa le traitement (12,000 fr.) attaché à ce titre. § II. ÉLECTIONS. SESSION DE 1816-1817. Les élections eurent lieu aux époques fixées. Sur 259 députés, 168 avaient fait partie de la Chambre précédente, dont cent environ dans la majorité; c'était

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