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de l'Empire qui avaient accès auprès de lui n'avaient parié, un moment, de Constitution que dans leur propre intérêt, pour conserver des situations ou des dotations. Entre les souverains étrangers, l'empereur de Russie avait seul insisté, dans des vues de paix et de stabilité, pour des institutions que lui-même se gardait d'établir dans ses États. Si le roi de Prusse avait, l'année précédente, parlé ou laissé parler chez lui de liberté, ce n'était là qu'une machine de guerre qui ne devait pas survivre au renversement de la domination française. L'empereur d'Autriche était un souverain absolu et ne comprenait pas d'autre régime. L'Angleterre, fière de ses institutions parlementaires, mais ne trouvant pas que la France en fût digne, poussait Louis XVIII à reprendre l'autorité royale telle que l'avait pratiquée Louis XIV. L'opinion publique, seule, réclamait des garanties libérales avec quelque énergie; encore avait-elle été calmée par la déclaration de Saint-Ouen et elle mettait une grande confiance dans les intentions du roi.

Louis XVIII, cependant, n'avait point hâte d'aborder les problèmes, assez ardus dont on attendait de lui la solution. Installé aux Tuileries, il laissait passer les jours en réceptions ou en actes trèssecondaires et même un peu puérils. Il reconstituait sa maison civile et militaire sur le mode et avec les appellations de l'ancienne cour. On voyait, avec surprise, reparaitre un grand maître de France, un confesseur du roi, un premier panetier, un premier échanson, un premier tranchant, des juges et des hérauts d'armes, etc. Les costumes attribués à ces charges et la tournure singulière de ceux qui en étaient revêtus, ne prétaient pas moins que les titres même à l'esprit de raillerie naturel en France. Tout cela, d'ailleurs, était affaire d'intérieur de palais et n'alarmait pas beaucoup l'opinion. Une mesure plus fâcheuse fut celle de la reconstruction de la maison militaire. Ici, en effet, non-seulement on reprenait les vieilles dénominations de gardes du corps, de centsuisses, de mousquetaires, de chevau-légers, dont quelques-unes étaient restées impopulaires, mais on en faisait des corps privilėgiés, où des gentilshommes seuls étaient admis, et qui avaient la prééminence sur tous les autres corps militaires. L'esprit d'égalité, plus fort encore que l'esprit de liberté, en fut froissé et l'armée en fut profondément blessée.

En même temps, Louis XVIII ressuscitait, pour les princes de sa famille, les titres de colonels généraux de diverses armes.

§ VIII. PREMIER MINISTÈRE. Le 13 mai seulement, le roi fit un

acte vraiment sérieux : il organisa son premier ministère qui fut ainsi composé: Garde des sceaux, grand chancelier, M. Dambray, les honneurs du titre étant conférés à M. de Barentin, beau-père de M. Dambray, qui avait occupé ce poste sous Louis XVI; Affaires étrangères, M. de Talleyrand; Intérieur, l'abbé de Montesquiou; Guerre, général Dupont; Finances, l'abbé Louis; Marine et colonies, M. Malouet; Maison du roi, M. de Blacas. La police devenait une direction générale sous le comte Beugnot.

Il n'y avait là qu'un choix excellent, celui de l'abbé Louis, homme habile, intègre, qui avait coutume de dire à ses collègues : « Faites de bonne politique, je vous ferai de bonnes finances. » On ne lui fit pas toujours de bonne politique, il sut néanmoins mettre beaucoup d'ordre dans les finances et c'est à lui que la Restauration dut sa prospérité financière.

En revanche, le général Dupont était un choix déplorable; non que l'homme fût incapable, il avait été un des plus brillants officiers, un des futurs maréchaux de l'Empire; mais il avait eu dans sa vie une heure fatale, celle où, perdant la tête en un danger pressant, ne sachant plus voir ce que ses ressources lui permettaient de tenter encore pour en sortir, il avait signé la fameuse capitulation de Baylen, qui fit mettre bas les armes à tout un corps d'armée en rase campagne. Cela ne s'était pas vu jusqu'alors. Napoléon avait été furieux, avait accusé le général de trahison et fait procéder contre lui à une enquête sévère qui n'aboutit qu'à une destitution. « Dupont, disait-il plus tard, a été plus malheureux que coupable.» Mais l'accusation de trahison était restée sur le nom du général et sa nomination au ministère fut considérée par l'armée comme une offense et une humiliation.

Les autres ministres étaient des médiocrités, politiquement peu significatives.

Le ministère de la maison du roi était encore une réminiscence d'autrefois qui serait restée sans importance avec tout autre que M. de Blacas; mais ce personnage, confident intime du roi, exerçait sur lui une influence très-considérable, dont il usait trop souvent pour gêner ou empêcher même les communications de ses collègues avec Louis XVIII.

§ IX. TRAITÉ DE PAIX DU 30 MAI 1814. - Tandis que ce ministère s'occupait d'administration intérieure, de réorganiser la marine et l'armée, de préparer le grand acte constitutionnel promis par la déclaration de Saint-Ouen, la diplomatie française et étrangère

s'occupait d'élaborer le traité qui devait rétablir les relations pacifiques de la France avec l'Europe. Par l'effet de la déplorable convention du 23 avril, le rôle de notre diplomatie était, en cette conjoncture, aussi facile que triste: elle n'avait qu'à subir les volontés des alliés. M. de Talleyrand, l'inspirateur de la funeste convention, le plénipotentiaire de la France au traité de mai 'était, par avance, désarmé contre toute exigence et n'avait plus quère qu'à mettre sa signature à la suite de celle des autres diplomates.

Aux termes du traité, la France reprenait ses limites du 1° janvier 1792, sauf quelques parcelles de territoires pour rectifier sa frontière du nord-est, sauf aussi une partie de la Savoie, le comtat Venaissin, Montbéliard et Mulhouse. Elle recouvrait les petites colonies de Pondichéry, la Guadeloupe, la Martinique, Cayenne, le Sénégal, Saint-Pierre et Miquelon, à la condition de n'y pas élever de fortifications et de n'y avoir qu'une force militaire suffisante pour le service de police. L'Angleterre rendait la Réunion (île Bourbon) et concédait le droit de pêche à Terre-Neuve, mais elle gardait notre grande et belle colonie de l'île de France, Sainte-Lucie et Tabago.

Le traité revenait un peu sur la cession, si étourdiment faite par le comte d'Artois de tout le matériel militaire et maritime existant dans les places et ports remis aux alliés. C'eût été une spoliation trop inique. Ils gardèrent tout ce qui se trouvait dans les places et ports rendus avant le 23 avril, y compris la flotte du Texel, entièrement construite sous le règne de Napoléon et aux frais de la France. Quant au matériel existant dans les places et forts rendus après le 23 avril, deux tiers devaient en être restitués à la France; l'autre tiers appartenait aux pays où les localités étaient situées. Sous une apparente générosité, il y avait là une perte immense pour la France.

Les parties contractantes renonçaient réciproquement à toutes répétitions pécuniaires et se rendaient leurs prisonniers.

Un congrès général des puissances était convoqué à Vienne, vers la fin de juillet, pour y régler l'organisation de l'Europe. La France devait y être représentée, mais elle s'engageait, par avance, à reconnaître les partages que se feraient les alliés des territoires enlevés à la France, et elle renonçait à toute espèce de réclamations pour dotations, donations, revenus de la Légion d'honneur et autres questions financières du même genre.

Les diplomates qui élaborèrent ce traité reçurent du Trésor français huit millions en gratifications.

Ce traité, signé le 30 mai, fut affiché dans Paris le 3 juin, veille du jour où Louis XVIII devait présider l'ouverture des Chambres. L'événement était trop prévu, trop inévitable pour surprendre personne. La population parisienne ne vit cependant pas sans une cruelle émotion ce monument officiel de l'abaissement de la patrie. La France subissait à son tour ce droit de la force que l'Empire avait si durement fait peser sur presque toute l'Europe; la nation, sans doute, n'avait pas souhaité cette domination européenne et c'était là surtout l'œuvre personnelle de Napoléon. Mais les peuples sont solidaires de leurs gouvernements et portent justement la peine des fautes et des crimes qu'ils laissent commettre en leur nom et avec leur puissance.

La perspective d'une longue paix semblait une sorte de compensation aux revers de la guerre. Cette paix alors, la France pouvait l'envisager sans rougir, car si les dernières armées avaient dû céder au nombre, du moins elles avaient glorieusement disputé, pied à pied, le territoire national et n'avaient reculé que de victoire en victoire. La France était tombée, mais tombée avec une grandeur digne d'elle.

§ X. LA CHARTE. En même temps que le traité du 30 mai, se préparait l'acte constitutionnel promis par la déclaration de Saint-Ouen. Aux termes de la déclaration, « ce travail devait être fait par le roi avec une commission choisie dans le sein du Sénat et du Corps législatif. » On avait généralement c mpris que la commission serait nommée par les deux assemblées Le roi ne l'entendit pas ainsi; après s'être concerté avec MM. de Montesquiou et Beugnot, il désigna lui-même, par un arrêté non rendu public, les membres de la commission qui furent :

Trois commissaires royaux, MM. de Montesquiou, Ferrand et Beugnot;

Neuf sénateurs, MM. Barbé-Marbois, Barthélemy, Boissy d'Anglas, de Fontanes, Garnier, de Pastoret, de Sémonville, maréchal Sérurier, Vimar;

Neuf députés, MM. Blanquart de Bailleul, Bois-Savary, ChabaudLatour, Clausel de Coussergues, Duchesne de Villevoisin, Duhamel, Faget de Baure, Félix Faucon, Lainé.

Le roi voulait, en outre, que le travail de la commission demeurât secret, qu'elle se réunit sous la présidence et à l'hôtel de

M. Dambray, chancelier, avec M. Beugnot pour secrétaire. En annonçant à ce dernier sa nomination, le roi lui recommanda le secret le plus absolu vis-à-vis de M. Talleyrand sur le travail de la commission.

Dans une réunion préliminaire des trois commissaires royaux, l'abbé de Montesquiou fit lecture d un projet, incomplet et incorrect, qu'il ne présenta que comme un simple programme.

Le 22 mai, la commission tint sa première séance générale. La liscussion porta principalement sur le premier article du projet : « Le gouvernement français est monarchique et héréditaire de mâle en mâle, à l'exclusion perpetuelle des femmes. » M. de Montesquiou fit remarquer que cet article semblait nier le droit héréditaire du roi tout en le reconnaissant; or, ce droit antérieur et supérieur à l'acte en discussion, n'avait pas à être reconnu. Boissy d'Anglas répondit qu'il n'y avait pas d'inconvénient à proclamer en fait ce qui existait en droit. M. de Fontanes mit fin à cette casuistique par une harangue qui concluait ainsi : « Un pouvoir supérieur à celui des peuples et des monarques fit les sociétés et jeta ́sur la face du monde des gouvernements divers.. Le sage les res pecte et baisse la tête devant cette auguste obscurité qui doit couvrir le mystère social comme le mystère religieux. »

De telles paroles fermèrent un débat où, au fond, il ne s'agissait de rien de moins que de la souveraineté royale et de la souveraineté nationale.

Le projet des commissaires royaux portait : « Article 5: La re«ligion catholique, apostolique et romaine est la religion de « l'État. Article 6 Néanmoins, chacun professe sa religion « avec une égale liberté et obtient pour son culte une égale pro<< tection. »

MM. Boissy d'Anglas et Chabaud-Latour, protestants l'un et 'autre, firent remarquer que cette disposition des articles n'accordait aux cultes dissidents qu'une simple tolérance. M. Garnier demanda que les mots Religion de l'État fussent effacés comme vides

de sens.

La commission se borna à faire de l'article 6 l'article 5 et réciproquement, en conservant la religion de l'État.

Le roi ne fut pas satisfait de cette solution, mais ne voulut pas qu'on rouvrit le débat.

L'article relatif à la liberté de la presse passa sans grande difficulté. M. de Fontanes déclara, il est vrai, qu'il ne se sentirait

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