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dans le pays entier un immense retentissement et valurent au maréchal une grande popularité.

L'antagonisme des « deux nations » reparut avec plus de violence encore et d'acharnement dans la discussion du titre de la loi relatif à l'avancement des officiers. Non-seulement tous les hommes appelés sous le drapeau pouvaient arriver à tous les grades, « avoir, suivant un mot attribué au roi, le bâton de maréchal dans leur giberne, » ce qui choquait au plus haut point les adorateurs de l'ancien régime aux yeux desquels des gentilshommes seuls avaient le droit de porter l'épée et l'épaulette. Quoi! ils seraient exposés à avoir pour égaux, pour supérieurs même, des fils de leurs paysans, de leurs fournisseurs, et ils devraient obéir à ces chefs parvenus! Ces gens-là oubliaient que, depuis vingt-cinq ans, des fils de paysans, de marchands, d'artisans avaient donné à la France des généraux aussi illustres que les plus illustres de la monarchie.

Mais, ce n'était pas tout et la loi allait bien plus loin encore. Elle mettait des conditions à l'avancement des officiers qui ne pouvaient être promus à un grade supérieur qu'après avoir passé un temps déterminé dans le grade inférieur; elle permettait aux élèves des écoles militaires d'obtenir d'emblée l'épaulette, mais elle réservait deux tiers des sous-lieutenances de la ligne aux sous-officiers, donnait des droits à l'ancienneté et ne dispensait de la condition de temps que pendant la guerre et pour des actions d'éclat, mises à l'ordre du jour de l'armée.

Toutes ces dispositions, que l'on trouvait fort sages, révoltaient les royalistes quand même, qui y voyaient une atteinte, un attental à la prérogative royale, un avilissement pour la noblesse. Le roi tenait de sa naissance et des traditions monarchiques le droit de conférer les grades à son gré, comme il nommait à tous les emplois civils; la Charte lui reconnaissait ce droit puisqu'elle lui attribuait le commandement des armées de terre et de mer. Le projet de loi violait la Charte aussi bien que les traditions ; donc il était inconstitutionnel et devait être rejeté.

Ces hommes étaient plus royalistes que le roi, car le projet avait été soumis au roi qui l'avait accepté et en avait ordonné la présentation. Donc : ou le monarque ne jugeait pas sa prérogative compromise ou il y renonçait volontairement en ce point. Dans l'un ou l'autre cas, les partisans de l'omnipotence royale devaient se soumettre. Mais ils ne l'entendaient pas ainsi et prétendaient défendre le droit du roi, même contre le roi à qui ils ne reconnaissaient que

la faculté d'y renoncer pour lui-même, par des ordonnances n'engageant que lui seul, non par des lois qui obligeraient ses succes

seurs.

Là encore ils étaient sincères, soit. Mais si la sincérité peut excuser l'aveuglement, elle ne le justifie pas. Ces fanatiques du passé se refusaient à voir que quelque chose s'était accompli en France de 1789 à 1817 dont il fallait bien tenir compte et grand compte. La France aussi était sincère et elle avait de son côté la raison et la justice, quand elle voulait conserver des droits qu'elle avait bien légitimement conquis par un quart de siècle de luttes, de souffrances, de gloire et de revers même. Si elle pouvait consentir à faire aux nécessités du moment des sacrifices de liberté, elle était bien fondée à ne vouloir pas y ajouter des sacrifices d'égalité qui ne profiteraient qu'à des préjugés surannés, à la satisfaction de privilégiés que, depuis vingt-cinq ans, elle avait toujours vus dans les rangs de ses ennemis.

La lutte fut vive, ardente, passionnée; tous les orateurs de la droite et de la gauche y prirent une part active; le maréchal Gouvion Saint-Cyr y parla deux fois avec une grande autorité et un grand succès. La discussion ne fut close que le 5 février : le scrutin donna 147 voix pour le projet de loi et 92 contre. L'opposition royaliste avait engagé toutes ses forces.

Le 9 février, la loi fut portée au Luxembourg où les débats ne s'ouvrirent que le 27 et se prolongèrent jusqu'au 9 mars, non moins vifs et acharnés qu'au Palais-Bourbon. C'est encore au maréchal Gouvion Saint-Cyr que revint le mérite de la victoire la loi fut adoptée par 96 voix contre 75.

Cette loi, à laquelle l'opinion, on peut dire la reconnaissance publique, a attaché le nom du maréchal Gouvion Saint-Cyr, a régi l'organisation militaire de la France pendant plus d'un demi-siècle, car les plus essentielles de ses dispositions ont passé dans la législation ultérieure. Elle n'était pas parfaite, sans doute; cependant, elle a donné les armées qui ont fait les expéditions d'Espagne, de Morée, d'Alger, les guerres d'Algérie, de Crimée, d'Italie; elle avait formé celles qui ont défendu la France en 1870 et si, dans cette néfaste campagne, la patrie a succombé, ces troupes sont restées dignes encore des éloges que donnait Gouvion Saint-Cyr à ses anciens compagnons d'armes.

§ III. CONCORDAT

Le projet de Concordat, imaginé par M. de acas, dont l'objet ostensible était de faire revivre quelques pres

criptions du Concordat de François I et d'augmenter le nombre des siéges épiscopaux, dont l'intention secrète était d'abroger implicitement le Concordat de 1802 qui avait reconnu et consacré l'usurpation, fut présenté à la Chambre des députés. Il souleva une telle réprobation dans l'Assemblée et dans le pays que, pour éviter un échec éclatant, le ministère jugea prudent de le retirer.

§ IV. LIQUIDATION ÉTRANGÈRE. — Les traités de 1815 condamnaient la France à payer aux étrangers des indemnités, dont le chiffre restait à fixer, pour dommages causés par les guerres survenues depuis 1792. La rapacité germanique se donna là libre cours. Un principicule allemand réclama la solde d'un petit corps de reîtres fourni par un de ses aïeux à Henri IV. On avait compté sur 300 à 400 millions; la note présentée s'élevait à 1,500 millions. Le gouvernement français se déclara hors d'état de faire face à de pareilles exigences. L'intervention d'Alexandre modéra les appétits, le chiffre total fut réduit à 300 millions. Les Chambres votèrent silencieusement les mesures financières destinées au payement de cette somme. § V. LIBÉRATION du territoire. Ces attristants souvenirs de l'invasion de 1815, réveillés en 1818, furent heureusement compensés en cette même année. Aux termes des traités de 1815, l'occupation d'une partie du territoire français par des troupes étrangères ne devait pas durer plus de cinq ans et pouvait cesser après la troisième année, si les souverains alliés jugeaient que l'état intérieur de la France rendit cette mesure praticable. Déjà, l'année précédente, l'armée étrangère avait été réduite de 30,000 hommes. M. le duc de Richelieu tenait à honneur de ne pas quitter le pouvoir sans avoir complétement libéré le sol de la France et c'est en vue de ce patriotique résultat qu'il s'était efforcé d'éviter tout conflit intérieur.

La troisième année d'occupation se terminait en 1818. Le duc de Richelieu entreprit les négociations diplomatiques qui devaient amener l'examen de la question d'évacuation. L'Angleterre se montrait disposée à y consentir, la Prusse et l'Autriche y étaient récalcitrantes. Le duc de Richelieu invoqua encore le concours d'Alexandre qui décida ces deux États. On convint de se réunir et on se réunit effectivement, dans les derniers jours de septembre, à Aix-la-Chapelle où les quatre souverains et leurs représentants tinrent des conférences dépourvues de tout apparat diplomatique. Le 2 octobre, ut adoptée, à l'unanimité des voix et sans aucun débat, une résolution ainsi conçue :

Les troupes composant l'armée d'occupation seront retirées du

territoire français le 30 novembre prochain. Les places fortes, occupées par lesdites troupes, seront remises dans l'état où elles se trouvaient au moment de l'occupation. La somme destinée à pourvoir à la solde, à l'équipement et à l'habillement des troupes sera payée jusqu'audit jour, 30 novembre, sur le même pied qu'elle l'a été depuis le 1er décembre 1817. »

Le 8 octobre, les actes diplomatiques destinés à convertir cette convention en traité étaient préparés et le 9 le traité était signé par le duc de Richelieu, pour la France; le prince de Metternich, pour l'Autriche; Robert Stuart, Castlereagh et Wellington, pour l'Angleterre; le prince de Stahrenberg, pour la Prusse; les comtes Nesselrode et Capo d'Istria, pour la Russie.

On pourrait croire que l'approche de la libération du territoire fut saluée avec joie par tous les Français; il n'en fut pas ainsi. Les royalistes à outrance, qui voyaient dans l'occupation étrangère une protection pour eux, furent consternés par la nouvelle de l'évacuation. Sur l'ordre du comte d'Artois, un des principaux agents royalistes de 1814 et 1815, M. de Vitrolles, rédigea un mémoire, connu sous le nom de note secrète où, sans solliciter ouvertement la prolongation de l'occupation, l'auteur prétendait démontrer que le départ des troupes alliées devait livrer la France aux passions révolutionnaires. Il concluait à ce que, avant de retirer leurs soldats, les souverains obtinssent de Louis XVIII qu'il changeât son système de gouvernement en changeant de ministère.

Le recours à l'intervention étrangère n'avait rien de contraire aux traditions royalistes. Les catholiques de la Ligue avaient appelé le catholique Philippe II, le calviniste Henri IV recevait les secours de la protestante Élisabeth; Condé et Turenne avaient successivement combattu les Espagnols pour Louis XIV et les avaient commandés contre lui; Louis XVI avait appelé les Autrichiens en France; les émigrés avaient pris du service au compte de la coalition; Louis XVIII était rentré aeux fois en France grâce à la présence, sinon à la volonté des alliés. Tous ces émigrés, revenus avec des idées d'avant 1789, n'avaient aucun scrupule sur ce point et ne se doutaient pas que la France de la Révolution comprenait tout autrement le devoir envers la patrie.

Du reste, si la note secrèle fit du bruit, elle demeura sans effet. La parole du duc de Richelieu suffit à rassurer les souverains d'Aixla-Chapelle. Mais la tentative des ultras n'était pas de nature à leur ramener l'opinion publique.

Le 1 novembre, les diplomates étrangers, signataires du traité du 9 octobre, remirent au duc de Richelieu une note où ils lui annonçaient, au nom de leurs souverains, que « ayant mûrement examiné l'état intérieur de la France, et rassurés sur l'affermissement de sa tranquillité, ils priaient S. M. T. C. d'unir désormais ses conseils et ses efforts à ceux des autres cours, en invitant son représentant à prendre part à leurs délibérations présentes et futures dans tout ce qui aurait rapport au maintien de la paix et à l'exécu tion des traités. » Le 15, un protocole et une déclaration, signés par le duc de Richelieu et par les ministres étrangers, mirent fin à l'isolement où la France se trouvait depuis 1814 et la firent rentrer dans ce qu'on appelle le « concert européen. » Mais, en même temps, les ministres étrangers signaient, entre eux, deux traités dont l'un confirmait celui du 30 novembre 1815, et l'autre réglait les contingents à fournir et les positions militaires à occuper par chaque puissance dans le cas « d'un nouveau bouleversement révoJutionnaire en France. »>

Ces traités montrent que la France, saccagée, pillée, occupée pendant quatre ans par l'étranger, profondément divisée entre des partis inconciliables, sans armées, sans alliés, était encore assez redoutable, par la seule force des idées de la Révolution, pour épouvanter la coalition européenne. Ces précautions diplomatiques devaient, d'ailleurs, rester vaines : quand la Révolution, provoquée, se releva en France et chassa les Bourbons, l'Europe laissa passer la justice de la France.

§ VI. ÉLECTIONS. Pendant que se réglait à Aix-la-Chapelle, ce grand événement diplomatique et politique, les électeurs français procédaient, dans 7 départements, à 52 élections pour remplacer la série sortante et, dans trois autres départements, à la nomination de trois députés pour remplir des vacances. Une ordonnance royale du 26 septembre avait convoqué les colléges pour les 20 et 26 octobre. Sur les 55 députés sortis, il y avait 16 royalistes, 36 ministériels, 3 indépendants. Les élections amenèrent 4 royalistes, 28 ministériels, 23 indépendants. Ceux-ci étaient donc seuls en progrès quand leurs adversaires perdaient des voix. Parmi les nouveaux élus, se trouvaient le général Lafayette, Manuel, le général Grenier.

Les royalistes furent effrayés et irrités. Ils ne voulurent voir dans ce résultat que l'effet d'une sorte de conspiration électorale, organisée sur toute la France par un pouvoir mystérieux qu'on appelait

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