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le Comité directeur. Ce comité était tout simplement le Comité des Indépendants, qui avait provoqué la formation, dans les départements, d'autres comités électoraux avec lesquels il correspondait et échangeait des renseignements, mais auxquels il n'expédiait pas, comme on le disait entre royalistes, des candidatures par la poste.

Le véritable comité directeur, c'était la masse des fonctionnaires trop zélés de 1815, maintenus en place par le ministère, qui continuaient à manifester leur ardeur par des condamnations de presse, des poursuites politiques, par des vexations de toute nature; c'était le ministère qui ne savait réprimer ces intempérantes ardeurs que par des mutations avec avancement, et qui, au lieu de voir dans les élections partielles la marque de la répulsion qu'éprouvait de plus en plus le pays pour les gens et les actes de violence, ne voulait y voir que la menace d'une opposition factieuse.

C'est à ce dernier point de vue que, sous l'influence de la note secrète, les souverains, encore réunis à Aix-la-Chapelle, considérérent les élections; ils en furent alarmés et firent part de leurs sentiments au duc de Richelieu qui promit de se rapprocher des royalistes et de réformer la loi électorale.

CHAPITRE VIII

Ouverture de la session. - Changement de ministère. nale au duc de Richelieu.

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Récompense natioLes Messéniennes. Proposition Barthélemy.

Loi sur la presse. Fin de la session.

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§ I. OUVERTURE DE LA SESSION. - L'opinion publique pressentait quelque résolution de ce genre; elle crut en trouver l'annonce ou la menace dans le passage suivant du discours que prononça le roi à l'ouverture de la session, le 10 décembre : « Je compte sur votre concours pour repousser les principes pernicieux qui, sous le masque de la liberté, attaquent l'ordre social, conduisent par l'anarchie au pouvoir absolu, et dont le funeste succès a coûté au monde tant de sang et tant de larmes. >>

A côté de cette allusion, peut-être douteuse, le discours royal contenait d'heureuses assurances sur l'abondance des récoltes, le retour de la prospérité générale, et constatait la facile application de la loi du recrutement. Surtout, il mentionnait en bons termes

et avec une juste fierté, l'évacuation complète du territoire, qui était alors effectuée, et la rentrée de la France parmi les grandes puissances.

C'était là, en effet, le grand succès, le durable honneur du ministère présidé par le duc de Richelieu, mais c'en était aussi le dernier acte. A cette date même, le cabinet était en pleine dissolution. § II. CHANGEMENT DE MINISTÈRE. La question électorale était la cause déterminante de cette dissolution. Le duc de Richelieu, qui s'était engagé envers les souverains, qui, personnellement, s'inquiétait du terrain gagné, chaque année, à la Chambre par ceux qu'fl regardait comme les ennemis de la dynastie, ne voyait d'autre remède au mal que des modifications à la loi électorale. Il les voulait en vue de donner plus d'influence aux grands propriétaires et au gouvernement, allant, en ces deux points, tout à fait à l'encontre de l'opinion publique, plus confiante envers des députés appartenant à la classe moyenne, et qui voyait de mauvais œil le nombre croissant des fonctionnaires dans l'Assemblée chargée de contrôler les actes et la marche du gouvernement.

M. Decazes était opposé à tout changement dans la loi électorale. Pour laisser au roi toute liberté de décision, les deux ministres lui remirent leurs démissions; tous leurs collègues suivirent cet exemple. Louis XVIII alors donna mission au duc de Richelieu de composer un nouveau cabinet où ne figurait pas M. Decazes.

Il était plus facile de dissoudre le ministère que d'en former un dans les conditions où se plaçait le duc de Richelieu. Résolu à tenir la promesse qu'il avait faite aux souverains, le duc voulait mettre obstacle à la marche des idées révolutionnaires, mais il ne voulait pas se mettre dans les mains des exagérés royalistes qui, d'ailleurs, ne constituaient pas, dans la Chambre, une majorité. D'autre part, les membres modérés, qui avaient si récemment voté la loi électorale, se refusaient à entrer dans une combinaison dont la raison d'être se trouvait précisément l'abrogation de cette loi. Après bien des pourparlers stériles, bien des négociations infructueuses, le duc de Richelieu remit au roi les pouvoirs dont il avait été investi. Le roi les transmit aussitôt à M. Decazes qui, plus heureux ou moins scrupuleux, réussit à composer un cabinet. Gardant pour lui le ministère de l'intérieur et la direction réelle du cabinet, il en donna la direction nominale au général Dessoles, qui eut la présidence du conseil avec le portefeuille des affaires étrangères. Gouvion Saint-Cyr conserva celui de la guerre. Le baron Louis rentra au mi

nistere des finances, en remplacement de M. Roy. M. de Serre, président de la Chambre des députés, devint garde des sceaux. M. Molé quitta la marine, où fut appelé le baron Portal. Le général Law de Lauriston fut nommé ministre de la maison du roi. Le ministère de la police était supprimé. L'Ordonnance royale organisant le ministère parut, le 24 décembre, et ferma l'année 1818. § III RÉCOMPENSE NATIONALE AU DUC DE RICHELIEU. Le 11 janvier 1819, le général Dessolles, président du conseil, déposait sur le bureau de la Chambre des députés un projet de loi ayant pour objet d'ériger en faveur du duc de Richelieu, à titre de récompense nationale, pour être attaché à sa pairie et transmissible au même titre, un majorat de 50,000 francs de revenu, composé d'immeubles choisis par le roi dans les domaines de la liste civile.

En ceci, le gouvernemeut n'avait pas su avoir le mérite de l'ini tiative et s'était laissé devancer par un pair, M. de Lally-Tolendal, et un député, M. Delessert, qui, l'un le 30 décembre, l'autre le 31, avaient, dans leur Chambre respective, proposé de conférer à l'exprésident du conseil une récompense nationale. Le 4 janvier, le duc de Richelieu avait écrit au président de chacune des deux Assemblées une lettre où il refusait de voir ajouter, à cause de lui, quelque chose aux charges pesant sur la nation. « Si, disait-il, dans le cours de mon ministère, j'ai eu le bonheur de rendre quelque service à la France, et dans ces derniers temps, de concourir à l'affranchissement de son territoire, mon âme n'en est pas moins attristée de savoir ma patrie accablée de dettes énormes. Trop de calamités l'ont frappée, trop de citoyens sont tombés dans le malheur, et il y a trop de pertes à réparer pour que je puisse voir s'élever ma fortune en de telles conjonctures. L'estime de mon pays, la bonté du roi, le témoignage de ma conscience me suffisent. »

Le projet de loi avait été présenté malgré cette lettre. Le gouvernement, aussi bien que tous les membres des deux Chambres, savaient que le duc de Richelieu, après avoir réglé les plus graves, les plus considérables intérêts de la fortune publique, se retirait du ministère dans la plus honorable pauvreté. Il n'avait guère d'autres ressources qu'une rente de sept à huit mille francs, achetée, er? son nom par ses deux sœurs, avec le prix de la vente des bijoux qu'il avait reçus en présents diplomatiques et qu'elles lui avaient demandés comme pour s'en servir à leur toilette. Le projet ne semblait donc pas devoir donner lieu à un débat, où la personne du duc fût mise en cause. Mais les ultra-royalistes ne lui pardonnaient

ni sa participation à l'Ordonnance du 5 septembre, ni la loi électorale, ni la loi du recrutement, ni, et moins encore peut-être, le dé. part des troupes étrangères. Ils combattirent le projet, d'abord en contestant que la Chambre eût le droit de voter une récompense à un ministre, ce qui impliquerait le droit de voter la chute ou le blâme d'un autre; puis ils dirent que le duc de Richelieu partageait avec ses collègues le mérite des faits accomplis sous sa présidence, t qu'il ne serait pas juste de le récompenser seul.

Les députés indépendants » admettaient, en principe, la récompense proposée, mais ils en critiquaient l'attribution, sous forme de majorat, sur les biens de la couronne, ce qui était contraire à la loi. Ce point de droit public amena une vive controverse au sujet des institutions de la France nouvelle, opposées à celles de la France ancienne. Les royalistes faisaient l'apologie de celles-ci; celles-là trouvèrent un défenseur énergique dans un orateur qui débutait à la tribune, Manuel. La difficulté fut tournée au moyen d'un amendement qui déclarait les biens du majorat reversibles au domaine de l'État, à défaut d'héritier direct en ligne masculine et légitime. Le duc de Richelieu n'ayant pas d'enfants, la récompense demandée pour lui se transformait ainsi en une allocation viagère. La loi fut votée, le 29 janvier, par 121 voix contre 95; la rancune des ultras était implacable.

A la Chambre des pairs, la loi fut adoptée, presque sans discussion, par 83 voix contre 45, le 2 février.

Le duc de Richelieu, justement froissé de la conduite des royalistes, persista dans sa résolution première: il affecta le montant de la récompense à la fondation d'un hospice dans sa ville natale, Bordeaux. C'eût été une heureuse fortune pour lui d'abandonner alors, sans retour, la vie politique. Environné de l'estime de tous, honoré de la reconnaissance publique, si le duc de Richelieu n'em. portait pas la renommée d'un grand homme d'État, il gardait, ce qui vaut mieux, ce qui est plus rare dans la classe dont il était, le renom d'un bon citoyen. La nation ne le rendait pas responsable des traités de 1815: on savait qu'il les avait subis avec la douleur d'un vrai patriote, avec l'amertume d'un homme dont le nom historique n'avait pas accoutumé de signer des traités amoindrissant la France. C'était aussi un de ces hommes qui portent dans les affaires publiques la même inflexible probité que dans les affaires privées, et de tels hommes devenaient plus rares que jamais.

§ IV. LES MESSÉNIENNES.

Au moment de l'évacuation du terri

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toire, parurent, imprimés pour la première fois, trois petits poëmes d'un écrivain encore à peu près inconnu, les Messéniennes, par Casimir Delavigne. Les deux premiers, intitulés par l'auteur Élégies, avaient pour sujet Waterloo et la Dévastation des musées. Composés en 1815, ils n'avaient pu trouver d'imprimeur, et, pendant pius de deux ans, circulèrent en nombreuses copies manuscrites. Après le départ des étrangers, un éditeur se risqua à les publier, accompagnés d'un troisième, qui était un appel à tous les Français pour réparer les maux de la guerre.

On peut, après cinquante ans, contester le génie poétique de l'auteur et sourire parfois à l'expression un peu emphatique de sa pensée, mais on y sent encore un souffle patriotique qui, alors, sous le coup de la défaite, sous les plaies saignantes de l'invasion, répondait directement aux émotions publiques et agissait puissamment sur les cœurs. Les Messéniennes eurent un succès immense : la France les sut par cœur et les répéta du Nord au Midi; elles furent la première consolation de la patrie abaissée, le premier sursum corda lancé aux vaincus parmi les cris de triomphe des vainqueurs : ce n'est une médiocre gloire ni pour Casimir Delavigne, ni pour les lettres françaises, d'avoir donné le signal du relèvement patriotique. Depuis, si ce sentiment eut ses excès, si le chauvinisme (comme on l'a appelé) passa quelquefois la mesure du bon goût, n'a-t-on pas reculé trop loin en sens contraire?...

§ V. PROPOSITION BARTHÉLEMY. - Les royalistes, tenus en échec à la Chambre des députés, avaient, dans la Chambre des pairs, unterrain plus favorable pour leurs attaques contre le ministère. Sûrs de leur influence, ils déterminèrent un des membres les plus médiocres de la pairie, M. de Barthélemy, qui avait été membre du Directoire de la République, à proposer à la Chambre (20 février 1819) de prendre une résolution, en vertu de laquelle le roi serait humblement supplié de présenter un projet de loi tendant à faire éprouver à l'organisation des colléges électoraux les modifications dont la nécessité pouvait paraitre indispensable. »

Vainement M. Decazes, à la tribune, déclara que cette proposition était « la plus funeste » qui pût sortir de la Chambre, vainement M. de Barbé-Marbois s'écria: « Du Rhin aux Pyrénées, tout était tranquille, et demain ce calme aura disparu, si la Chambre paraît accueillir la proposition; elle doit la repousser d'une manière éclatante, si elle ne veut pas jeter partout le trouble et l'alarme » ; vainement MM. de Lally-Tollendal, Garnier, Boissy d'Anglas, de

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