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Broglie, de La Vauguyon, de La Rochefoucauld-Liancourt, s'associerent à la protestation de leur collègue. Le parti des royalistes était bien arrêté : l'Assemblée fixa au 26 le débat sur la prise en considération.

Lors de ce débat, la proposition fut attaquée avec force par le général Dessolles qui signala, dans tout le pays, les partis soulevés, la confiance ébranlée, l'agitation la plus violente des esprits se propageant dans tous les départements. MM. de Larochefoucauld-Liancourt, de Choiseul, Lanjuinais, Boissy d'Anglas, Barbé-Marbois, démontrèrent que, vouloir toucher à la loi des élections, c'était exposer le pays à des troubles et à des périls dont on ne pouvait mesurer la portée. La majorité n'écouta rien, et vota la proposition, par 98 voix contre 55, dans la séance du 2 mars.

Le surlendemain, 4 mars, la majorité, pour ne laisser aucun doute sur l'intention de son vote du 2, rejeta un projet de loi adopté par l'autre Chambre, et ayant pour objet une simple mesure de comptabilité, en transportant du 1er janvier au 1er juillet l'ouverture de l'année financière.

Le ministère ou plutôt le roi, car c'était de Louis XVIII que venait ici l'initiative, n'avait pas attendu ce second acte d'hostilité pour prendre un parti. Le 4 mars même, une ordonnance royale brisait la majorité du Luxembourg par une promotion de soixante pairs, au nombre desquels se trouvaient quinze de ceux qui avaient été éliminés après les Cent-Jours.

Cette mesure, que l'opinion publique accueillit comme une nouvelle sanction donnée à l'Ordonnance du 5 septembre, ne pouvait entraver la marche régulière de la proposition Barthélemy, qui vint en discussion, au Palais-Bourbon, le 20 mars.

La lutte recommença avec plus d'ardeur, plus de passion, plus d'acharnement, entre les partisans et les adversaires de la proposition, c'est-à-dire du ministère. Au fond, c'était l'antagonisme qui reparaissait toujours et partout entre l'ancien régime et le nouveau, entre la contre-révolution et la Révolution. Dans le cours du débat, M. de Villèle prétendit que les listes électorales du Gard avaient été falsifiées, et il en citait pour preuve que le nombre des électeurs, en 1818, se trouvait très-supérieur au nombre de 1815. M. de Sainte-Aulaire, président du collège du Gard, rappela qu'en 1815, les protestants s'étant présentés pour voter, treize d'entre eux avaient été égorgés, sans que, depuis, les assassins eussent été punis. En 1818, l'administration avait donné aux protestants toute sécurité pour

leurs personnes, et ils étaient venus au scrutin. « S'il y a eu des assassins, demanda M. de Villèle, pourquoi n'ont-ils pas été punis?» Le surlendemain, M. de Serre, garde des sceaux, dans un discours contre la proposition, releva l'interpellation de M. de Villèle, et rappela, à son tour, que, partout où les assassins avaient été poursuivis, ils avaient été ou acquittés ou dérisoirement punis, soit par la complicité des magistrats, soit par la terreur que les amis, restés libres, des assassins, inspiraient aux gens qui auraient pu témoigner contre les coupables. M. de Serre aurait pu ajouter qu'en 1815 les amis de M. de Villèle étaient au pouvoir, et que, loin de réprimer les assassinats, ils avaient demandé le rappel à l'ordre contre un député, M. Voyer d'Argenson, qui y avait fait une simple allusion.

Ce même jour, 23 mars, la Chambre des députés repoussa la proposition des pairs par 150 voix contre 94.

Comme l'avaient prédit MM. Barbé-Marbois et Dessolles, l'annonce de la proposition Barthélemy causa un grand émoi dans toute la France. On vit reparaître à Nimes et en d'autres villes du Midi, les bandes d'assassins de 1815, il y eut des cris de mort ou des farandoles menaçantes, des rixes, et il ne fallut rien de moins que l'apparition de la force militaire pour empêcher des massacres. Dans les autres régions, l'émotion se manifesta par l'envoi de plus de cent mille pétitions à la Chambre des députés pour demander le maintien de la loi électorale. Le rejet de la proposition et la fournée des soizante pairs, choisis dans l'opinion libérale, calmèrent ce commencement d'agitation.

§ VI. LOI SUR LA PRESSE. La législation alors existante sur la presse, prorogée d'année en année, n'avait qu'un caractère provisoire, et chaque poursuite nouvelle en montrait les imperfections allant jusque au scandale. Ainsi, tout récemment, au mois de janvier, l'imprimeur et les éditeurs d'un journal avaient été condamnés pour la publication d'un écrit qui n'avait été qu'imprimé, et dont un seul exemplaire avait été donné par l'imprimeur au directeur général de la librairie, et sur la prière de ce fonctionnaire. Le gouvernement devait, tout à la fois, mettre un terme à cet élat de choses, donner satisfaction à l'opinion libérale et se montrer indulgent envers la presse qui le soutenait contre les aggressions furieuses des royalistes.

Le 22 mars, M. de Serre, garde des sceaux, présenta à la Chambre des députés trois projets de loi concernant la presse. Le pre

mier traitait des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication; le second, de la poursuite et du jugement des crimes et des délits commis par la voie de la presse; enfin, le troisième, des journaux et écrits périodiques. Bien que se rapportant à une matière commune, les trois projets étaient distincts, et furent discutés séparément.

Le premier vint le 10 avril. Deux dispositions furent le principal objet du débat. L'une était l'article 8, qui punissait « toute atteinte à la morale publique et aux bonnes mœurs. » Les ultra-royalistes présentèrent divers amendements, ayant tous en vue de protéger la religion en général ou la religion catholique en particulier. La Chambre finit par mettre dans l'article: la morale publique et religieuse. Avec ces deux mots, on peut atteindre toute discussion sur les dogmes religieux, et le fait s'est vu plus d'une fois.

L'autre disposition était relative à l'imprimeur. Le projet de loi ne contenait rien sur ce point. La Chambre décida que l'imprimeur serait poursuivi dans le seul cas où il aurait agi sciemment. La discussion se prolongea jusqu'au 21 avril; la loi fut votée par 143 voix contre 58.

A la Chambre des pairs, où la loi fut portée le 15 mai, les mêmes tentatives se reproduisirent pour y introduire un caractère religieux. Les pairs ecclésiastiques signèrent une protestation contre l'absence d'une protection suffisante pour les intérêts et les droits de la religion. La loi n'en fut pas moins adoptée, le 15. Elle fut promulguée le 17 mai.

Dans le second projet de loi l'effort du débat porta aussi sur deux articles : l'application du jury aux crimes commis par la voie de la presse, et la preuve des faits dans les cas de diffamation envers les fonctionnaires ou les personnes ayant agi dans un caractère public. L'attribution au jury fut attaquée par tous les députés magistrats, comme la preuve contre les fonctionnaires, fut combattue par tous les fonctionnaires qui commençaient à encombrer l'Assemblée. Les deux dispositions passèrent à la suite d'une discussion longue, brillante élevée où se firent remarquer Royer-Collard, Benjamin Constant et surtout le garde des sceaux, M. de Serre, qui éleva toujours le débat à une grande hauteur et dont, malheureusement, l'esprit libéral n'a pas souvent inspiré les magistrats chargés d'appliquer la loi préparée par ses soins et expliquée par sa parole.

Dans la séance du 27 avril, 125 voix contre 87 adoptèrent cette deuxième loi.

A la Chambre des pairs, qui en fut saisie le 5 mai, l'article 20 (preuve de la diffamation envers les fonctionnaires) donna seul lieu à discussion. Au Luxembourg, comme au Palais-Bourbon, il y avait nombre de personnes qui, ayant agi et parlé diversement à différentes époques, désiraient se mettre à l'abri des révélations, des récriminations auxquelles leur vie publique pouvait prêter : ils essayaient d'abriter leur intérêt personnel sous une apparence d'intérêt public. Ils ne réussirent pas plus dans une assemblée que dans l'autre. La loi fut adoptée le 22 mai.

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Sur le troisième projet, dont la discussion commença le 1a mai, l'institution d'un cautionnement fut, à peu près, le seul sujet de controverse. Le 5 mai, 153 voix contre 45 en décidèrent l'adoption qui eut lieu aussi le 28 à la Chambre des pairs.

Par l'effet de cette dernière loi, les journaux n'étaient plus soumis à la censure ni à l'autorisation préalable. Dès le 1er mai, le ministère de l'intérieur avait annoncé aux journaux que la censure ne fonctionnait plus.

La liberté de la presse a, depuis cette époque, comparu bien souvent devant les législateurs et subi bien des vicissitudes, car les gouvernements, même ceux qui sont venus par elle, ne savent pas encore vivre avec elle; d'autres discussions ont eu autant d'éclat, autant de force que celles de 1819, mais non davantage. Il reste à celles-ci cette singularité que jamais un ministre n'a parlé de la presse avec une estime aussi haute, une aussi grande largeur de vues, un aussi noble et fier langage que l'a fait M. de Serre. Pour la première fois, sinon pour la seule, un ministre, parlant au nom du gouvernement, ne traitait pas la presse en ennemie. Ni alors, ni depuis, aucun orateur de l'opposition, fût-ce la plus libérale, n'a vepoussé l'intrusion de la religion dans la loi avec plus de fermeté, de raison et de force que ne le fit le garde des sceaux de 1819. Si, à côté de la morale publique, il laissa inscrire la morale religieuse, ce fut après avoir bien établi que ce mot n'avait pas de sens, que c'était une simple rédondance et que l'article ainsi rendu ne servirait jamais à gêner la libre discussion des dogmes et des doctrines. M. de Serre a pu voir, dans la suite, qu'il avait compté trop sur l'impartialité des magistrats et trop peu sur les subtilités de la casuistique judiciaire.

L'extrême droite, si ardente, en 1818, à défendre la liberté de la

presse, garda, en 1819, un silence absolu : elle se savait incapable de rompre l'accord établi, sur ce point, entre la gauche et le ministère, et elle avait à ménager des alliés qui ne voulaient aucun bien à la presse.

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§ VII. FIN DE LA SESSION. La discussion du budget occupa les séances de la chambre pendant le mois de juin et la première quinzaine de juillet. Diverses questions, à la fois politiques et financières, firent éclater la rupture de l'alliance temporairement conclue entre le ministère et ceux des députés appelés jusqu'alors « indépendants » et que l'on désignait maintenant par la qualification de « libéraux. » Ces députés avaient déjà éprouvé un vif mécontentement contre M. de Serre qui, à propos d'une pétition pour le retour des bannis, avait dit que le roi pourrait rappeler ceux qui auraient témoigné du repentir, mais « quant aux régicides, jamais!... » La séparation allait devenir, chaque jour, plus profonde.

Le 17 juillet, la session fut close par ordonnance royale.

§ VIII. ÉTAT INTÉrieur. - L'année 1819 fut pour la France une année exceptionnelle de prospérité matérielle. La nation était redevenue maîtresse de son territoire; des récoltes abondantes permettaient de réparer les pertes de l'année précédente; le commerce reprenait son essor, l'industrie se développait; toutes les sources de la richesse se rouvraient; la France, enfin, se relevait rapidement des désastres causés par l'invasion. Aidé par cette prospérité, le gouvernement remettait l'ordre dans les finances et en régularisait tous les services, en quoi le secondaient activement les Chambres où les fonctionnaires n'étaient pas encore en nombre démesuré et où une opposition attentive surveillait sévèrement l'emploi des deniers de l'État.

Cette renaissance dans le domaine des choses matérielles n'excluait pas alors l'activité dans les domaines de la politique et des choses de l'intelligence. Une exposition des produits de l'industrie nationale montrait que ni le goût ni le génie français ne s'étaient altérés pendant de longues guerres; en même temps, la propagation de l'enseignement primaire, la multiplication des écoles d'instruction mutuelle prouvaient, dans la partie la moins cultivée de la population, le désir de s'élever par le développement intellectuel.

Les sciences, les arts, les lettres, participaient à ce mouvement général. Au grand et patriotique succès des Messéniennes, Casimir Delavigne en ajoutait un d'un autre genre, celui de sa tragédie de

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