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Vêpres siciliennes au second théâtre français (Odéon). Des écrivains se révélaient ou se formaient dans le Censeur, la Minerve, la Bibliothèque historique, recueils, avec ou sans périodicité, qui, depuis le retour du gouvernement parlementaire et dans le silence forcé des journaux quotidiens, traitaient toutes les questions soumises aux Chambres. D'autres écrivains escarmouchaient dans des brochures. Béranger commençait le règne de la chanson à laquelle il devait donner bientôt tant d'influence et de lustre. Le nom d'Augustin Thierry se signalait par la propagande des doctrines de son maître Saint-Simon. Lamennais, tout en soutenant l'Église dans le Conservateur, publiait le premier volume de l'Indifférence en matière de religion. Geoffroy Saint-Hilaire faisait paraître sa Philosophie anatomique qui montrait le règne animal soumis tout entier à la loi de l'unité de composition. La famille de madame de Staël publiait, après la mort de cette femme célèbre, ses considérations sur la Rẻvolution française. Des fragments de Poésies d'André Chénier étaient mis au jour. Broussais donnait son Examen des doctrines médicales. Avec le tableau de Géricault, le naufrage de la Méduse, apparaissait une nouvelle école de peinture.

Dans le domaine de la pure spéculation théorique, Saint-Simon, déjà annoncé par Augustin Thierry, trouvait, non sans peine, un éditeur pour les premières brochures où il exposait les doctrines dont la réalisation pratique ne devait être tentée que vers les dernières années de la Restauration. Une de ces brochures lui valut un procès en cour d'assises, terminé par un acquittement.

Malgré la rareté et le prix élevé des journaux, les débats législatifs étaient suivis par le public avec une ardeur curieuse. Le réveil de la vie politique n'était pas moindre dans toutes les classes de la population que dans les Assemblées; les hommes, à qui la législation en vigueur refusait l'exercice des droits civiques, ne se montraient pas moins soucieux des affaires publiques que ceux qui étaient investis de ces droits, et la communauté des sentiments effaçait les démarcations légales.

Si ces débats étaient passionnés, violents, emportés dans les enceintes législatives, c'est-à-dire là où devraient régner toujours le calme et la modération, on ne doit pas s'étonner de retrouver les mêmes passions, les mêmes emportements au dehors et qu'il en résulte parfois des mouvements tumultueux,

De même que le parti royaliste se croyait en droit de faire passer ses prétentions dans les lois, il se croyait le devoir de guérir la

France des erreurs détestables que lui avait inculquées la Révolution et de la ramener aux bonnes mœurs d'avant 1789. L'accomplissement de cette tâche avait pour résultat immédiat de transporter en toutes choses et en tous lieux l'antagonisme entre la nation d'autrefois et la nation d'aujourd'hui. Il se manifestait dans les colléges, où les enfants des familles royalistes se rencontraient avec ceux des familles libérales et y faisait éclater des querelles, des révoltes fréquentes. Dans les écoles plus élevées, si des professeurs étaient blâmés, poursuivis à cause de doctrines émises dans leur enseignement, les étudiants prenaient fait et cause pour eux, protestaient publiquement, entraient en collision avec la police et il fallait fermer la Faculté de droit de Paris ou la Faculté de médecine de Montpellier. Les missions, organisées, multipliées depuis trois ans pour réchauffer la foi éteinte, parcouraient les villes et les campagnes. contraignant les autorités à leur faire escorte, violentant les habitudes prises, suscitant le fanatisme, provoquant des troubles et laissant derrière elles des ferments de discorde et de haine. Le mouvement normal et continu que comporte la vie d'un peuple libre se compliquait, s'aggravait de l'irritation produite par cette lutte entreprise contre l'esprit et les mœurs de la France nouvelle.

Cet état de malaise préoccupait les cabinets étrangers et ils y voyaient la cause de l'agitation qui existait chez eux-mêmes au lieu d'attribuer cette agitation à leurs propres gouvernements. En 1813, Ies souverains avaient trouvé bon de surexciter les idées de liberté pour soulever leurs États, l'Allemagne particulièrement, contre la France. Après la victoire, ils avaient trouvé tout aussi bon d'oublier leurs promesses et ils s'étonnaient que les peuples s'en souvinssent. Pour en revendiquer l'accomplissement, des sociétés secrètes. s'étaient formées dans les universités allemandes. Une d'elles, le Tugenbund, avait porté sentence de mort contre un écrivain allemand, Kotzebue, accusé de trahir la cause nationale. Un étudiant d'léna, Karl Sand, exécuteur de la sentence, avait, au mois de mars 1819, assassiné Kotzebue et s'était frappé du même poignard. Arrêté, guéri de sa blessure, condamné à mort, il avait subi sa peine avec la fermeté d'un fanatique et était devenu le martyr de la liberté allemande. Une tentative du même genre, commise sur un autre personnage officiel avait fait croire à une vaste conspiration. Les souverains ouvrirent à Carlsbad des conférences diplomatiques où furent adoptées des mesures destinées à comprimer l'esprit révolutionnaire en Allemagne.

§ IX. ÉLECTIONS. Le renouvellement partiel amenait la sortie d'une troisième série de députés dans laquelle se trouvaient 25 royalistes, 15 ministériels, 14 libéraux. Les élections, faites le 11 septembre, amenèrent environ 30 nouveaux libéraux, ce qui en porta le chiffre total à 90. Parmi les élus se trouvaient MM. Lambrechts, Méchin, Labbey de Pompières, les généraux Foy et Demarçay. L'élection la plus remarquée fut, à Grenoble, celle de Grégoire, ancien conventionnel, ancien évêque constitutionnel.

Cette élection avait provoqué, dans la presse royaliste, une explosion un peu factice et déloyale, car Grégoire n'avait été élu, au second tour de scrutin, que par un appoint de voix royalistes qui, au candidat ministériel, avaient préféré le candidat de l'extrême opposition, dans le dessein avoué d'en tirer un argument contre la loi électorale.

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§ I. CHANGEMENT DE MINISTÈRE. Si le quatrième renouvellement partiel devait donner les mêmes résultats que les trois premiers, l'opposition libérale allait devenir prépondérante dans l'Assemblée. Y avait-il là un danger pour la dynastie? La légitimité constitutionnelle était-elle inconciliable avec des allures franchement libérales? M. Decazes le crut, et, peut être fut-il entraîné à le croire par la persuasion que l'évolution indispensable ne pouvait être accomplie par lui-même. C'est la pente trop habituelle des gouvernements de croire qu'en cas de dissentiment entre eux et les gouvernés, c'est du côté de ceux-ci qu'est le tort, du côté de ceux-là la raison, et qu'au lieu de s'en prendre aux fautes des hommes, il faut s'en prendre aux vices, par fois imaginaires, des institutions.

M. Decazes se décida donc à changer la loi électorale, dans laquelle lui, ses amis, les souverains étrangers et Louis XVIII voyaient l'unique cause de tout le mal. Lorsqu'il sonda, à ce sujet, ses collègues, il vit tout de suite que trois d'entre eux ne s'y prêteraient pas : c'étaient Gouvion Saint-Cyr, le général Dessoles et le baron

Louis qui, tous trois, jugeaient dangereux de toucher à la loi élec◄ torale. M. Decazes entama alors de secrètes et longues négociations. tant avec des hommes de la droite qu'avec le duc de Richelieu, en vue d'arriver à la composition d'un cabinet qui pût tenter la révision de la loi électorale avec l'appui d'une suffisante majorité dans la Chambre. Après bien des pourparlers, il crut enfin y avoir réussi et, le 20 novembre, une ordonnance royale nommait MM. de La Tour-Maubourg, Pasquier et Roy, ministres de la guerre, des aff ires étrangères et des finances, en remplacement de Gouvion Saint-Cyr, du général Dessoles et du baron Louis, démissionnaires. Les autres ministres restaient dans le conseil dont la présidence était dévolue à M. Decazes avec lequel ils allaient détruire la loi qu'ensemble ils avaient proposée ou soutenue.

§ II. OUVERTURE DE LA SESSION. Louis XVIII ouvrit la session le 29 novembre. L'opinion publique attendait avec une certaine anxiété le discours royal. Sans connaître exactement les projets du gouvernement, on savait en gros que les dispositions de la future loi électorale ne modifiaient pas seulement la loi actuelle mais devaient atteindre aussi des articles de la Charte. L'attente publique ne fut pas déçue; en effet, le roi, après avoir parlé des inquiétudes répandues, du besoin de repos et de stabilité, disait : « J'ai senti que, s'il est une amélioration qu'exigent ces grands intérêts (les destinées de mon peuple et de ma famille) ainsi que le maintien de nos libertés et qui ne modifierait quelques formes réglementaires de la Charte que pour mieux assurer sa puissance et son action, il m'appartient de les proposer.

...

« Le moment est venu de fortifier la Chambre des députés et de la soustraire à l'action annuelle des partis en lui assurant une durée plus conforme aux intérêts de l'ordre public et à la considération extérieure de l'État : ce sera le complément de mon ouvrage. »

C'était là le point décisif du discours du trône. Il annonçait clairement qu'au renouvellement annuel et partiel devait être substitué le renouvellement intégral à échéance plus ou moins longue. Cette annonce jeta une certaine froideur dans l'Assemblée, et les cris de Vive le Roi! qui saluèrent le départ du monarque furent, pour la première fois, mêlés de cris de: Vive la Charte!

Le 6 décembre, la Chambre eut à s'occuper de l'élection de Grégoire. La commission en proposait l'annulation par un motif de légalité. La Charte prescrivait que la moitié seulement des élus d'un département pût n'y pas être domiciliée. Or, des quatre députés de

l'Isère, un seul, le premier élu, y avait son domicile; le second, le troisième, le quatrième avaient le leur en d'autres départements. Le bénéfice légal devait donc être acquis au second et au troisième, tandis que l'élection du quatrième devait être annulée. Le quatrième, c'était Grégoire.

C'était là un argument de droit irréfutable et qui devait suffire à ceux qui voulaient simplement écarter Grégoire. Mais les royalistes tenaient moins à l'exclusion qu'au mode d'exclusion et étaient résolus à faire un éclat, un scandale. M. Lainé proposa que Grégoire fût repoussé pour cause d'indignité et, comme on lui demandait quelle loi prononçait l'indignité, il répondit par un de ces appels à la passion des majorités qui remplacent si souvent la raison absente. Manuel lui rappela qu'avec des expédients oratoires de ce genre les Girondins avaient été tour à tour proscripteurs et proscrits. La discussion se perdait dans la confusion et les colères lorsque M. Courvoisier fit observer qu'avant tout il fallait prononcer sur la validité des opérations électorales. M. Ravez reprenant cette idée demanda que le président mit simplement aux voix l'admission de Grégoire, ce qui fut fait; la non-admission fut décidée.

La droite demeura irritée; elle n'avait voulu que frapper d'une flétrissure le député a régicide ». La qualification était inexacte : Grégoire n'avait pas eu de vote à émettre dans le procès de Louis XVI, étant alors en mission loin de Paris. Si l'on pouvait relever contre lui des paroles violentes, prononcées en un temps où la violence était universelle, on ne pouvait lui reprocher aucun acte d'inhumanité. A la Convention, il n'avait jamais répudié ni son caractère ni son costume sacerdotal, il avait employé son influence à préserver de la dévastation les monuments des arts; c'était même lui qui avait créé le mot vandalisme et son nom était associé à la plupart des grandes fondations scientifiques de la Convention. A la vérité, il avait été comte et sénateur sous l'Empire; mais M. Pasquier, ministre du roi Louis XVIII, avait autrement servi l'Empire comme préfet de police. Combien, parmi ceux qui l'appelaient injustement régicide s'étaient inclinés en solliciteurs devant un autre régicide, ministre aussi de Louis XVIII, Fouché, duc d'Otrante.

La gauche essaya de maintenir la discussion sur le terrain légal et ne défendit pas Grégoire contre les injures des gens de 1815, tant on avait peur encore de passer pour Révolutionnaire.

§ III. SYSTÈME DE BASCULE. Le ministère ne disposait dans

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