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Une première réunion eut lieu chez un étudianten médecine, nommé Bazard, où se trouvèrent MM. Buchez, Flottard, Cariol, Guinard, Sigond, Corcelle fils, Sautelet, Rouen, Limpérani. Là, fut décidée la fondation de la nouvelle société qui était ainsi organisée : Vingt associés formaient une vente (de l'italien venta, réunion) particulière qui élisait un président, un censeur, un député. Vingt députés formaient une vente centrale. Les députés des ventes centrales nommaient la haute vente et seuls étaient en communication avec elle. Chaque carbonaro s'engageait à garder le secret, à se pourvoir d'un fusil de munition et de cinquante cartouches et à verser une cotisation mensuelle d'un franc. Si, dans quelques ventes, on ajouta un serment sur des poignards, ce fut une fantaisie locale ou individuelle que les statuts ne prescrivaient pas.

Il fallait plus que des jeunes gens, alors inconnus, pour propager activement l'association; il fallait pouvoir citer des hommes dont le nom et la notoriété attirassent des recrues. C'est à quoi s'occupèrent les fondateurs et ils parvinrent à obtenir, pour la Haute-Vente, l'adhésion du général Lafayette et de son fils, de MM. Dupont (de l'Eure), Voyer-d'Argenson, Manuel, Corcelle père, Jacques Koechlin, de Schonen, Mauguin, Barthe, Mérilhou, Cauchois-Lemaire et Arnold Scheffer. Lafayette accepta la présidence, mais le directeur effectif et actif fut Bazard.

En fort peu de temps, une cinquantaine de Ventes furent organisées à Paris. On songea alors à faire de la propagande en province. Buchez et Koechlin allèrent en Alsace, Rouen et Dugied dans l'Ouest, Arnold Scheffer dans le Midi.

A Saumur, Rouen et Dugied trouvèrent une société secrète, déjà formée, sous le nom de Chevaliers de la liberté, qui se fondit aussitôt avec la Charbonnerie. De là, ils se rendirent à Nantes, où ils organiserent rapidement les Ventes. Arnold Scheffer, dans le Midi, n'eut pas moins de succès.

Les fondateurs de la Charbonnerie tendaient à la République; mais, parmi leurs adhérents, se trouvaient bon nombre de bonapartistes, ce qui faillit amener des dissidences. La mort de Napoléon y mit fin. On convint que, les Bourbons renversés, on convoquerait une Assemblée Constituante ayant mission de choisir le gouvernement de la France.

§ II. CONGREGATION.

Tandis que l'élément révolutionnaire se préparait ainsi au combat, la contre-révolution ne négligeait pas les moyens de se propager. A côté, et sous la direction de la Congré

gation, ayant son siége aux Missions étrangères, s'étaient formées la Société des bonnes œuvres, qui s'occupait des hôpitaux et des prisons; la Société des bonnes études, qui s'occupait des écoles et faisait des cours; la Société des bons livres, qui publiait des ouvrages où l'on combattait l'esprit révolutionnaire.

Au-dessus de la Congrégation et en faisant partie, il y avait un groupe de personnages qui donnait à l'ensemble l'impulsion politique, et qui, lui-même, recevait ses inspirations du comte d'Artois. Le frère du roi, l'héritier de la couronne, se trouvait ainsi le chef et le directeur d'une entreprise que repoussait l'immense majorité du pays sur lequel il devait régner bientôt.

§ III. ÉLECTIONS.

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Les élections pour le renouvellement d'un cinquième de la Chambre, qui se firent le 1er et le 10 octobre, ne furent pas favorables au ministère; un de ses membres, M. Siméon, et plusieurs de ses amis ne furent pas réélus; la gauche gagna quelques voix, tandis que la droite acquit de nouveaux auxiliaires.

§ IV. SESSION DE 1822.-L'ouverture de la session eut encore lieu au Louvre. Le roi constata l'excellence de ses relations avec les autres États, se félicita de l'accroissement de la prospérité publique, ce qui était vrai, et de l'apaisement des passions et des esprits, ce qui était moins conforme à la vérité. Il garda le silence sur de nouveaux projets de lois dont on s'attendait à trouver l'annonce dans son discours. (5 novembre.)

La discussion de l'adresse en réponse à la harangue royale fut orageuse. La droite était résolue à faire tomber le ministère. Il avait contre lui une grande fraction parlementaire, la presse royaliste qui, seule, avait licence de tout dire, tout le parti royaliste, la cour, le comte d'Artois, et, ce qui était plus redoutable, une femme qui, depuis près d'un an, avait pris sur le roi un ascendant tel que quand elle venait le trouver dans son cabinet (trois fois par semaine), ordre était donné de n'y laisser pénétrer personne, pas même les ministres, à moins d'extrême urgence: c'était madame du Cayla, que le roi fit comtesse et à qui il donna un magnifique domaine à Saint-Ouen.

On s'était compté dans les scrutins pour la nomination du bureau; la Chambre s'était partagée également entre les deux candidats à la présidence: 133 suffrages à M. de Villèle, 133 à M. Ravez. Celui-ci avait été nommé, sur le refus de l'autre. La droite ne possédait donc pas assez de voix pour renverser le cabinet. Afin d'y

arriver, elle s'entendit avec la gauche. La droite promit une phrase libérale pour demander les lois complémentaires de la Charte, et promit de voter contre la prolongation de la censure, que le ministre devait demander. La gauche s'engageait à voter un paragraphe accusant la conduite du ministère dans les conférences de Laybach. Ce paragraphe était ainsi rédigé : « Nous nous félicitons, sire, de vos relations constamment amicales avec les puissances étrangères, dans la juste confiance qu'une paix si précieuse n'est point achetée par des sacrifices incompatibles avec l'honneur de la nation et avec la dignité de la couronne. »>

De quelle nature étaient les « sacrifices » auxquels on faisait allusion? Rien ne l'indiquait, rien ne pouvait l'indiquer. Il fallait, en effet, que les royalistes parussent reprocher au gouvernement d'avoir sacrifié la monarchie à la liberté, et les libéraux d'avoir sacrifié les peuples aux rois.

C'était une équivoque peu digne d'une grande Assemblée, et si elle pouvait être acceptée par la droite, alliée des jésuites, elle ne devait pas l'être par la gauche, qui repoussait la casuistique d'Escobar et la maxime que la fin justifie les moyens. La gauche voulait faire tomber le ministère indécis du duc de Richelieu, auquel elle préférait un ministère d'ultras, qui lui semblait devoir amener plus promptement une crise décisive. C'était une politique d'aventure et de colère, funeste peut-être au pays, mais qui pouvait encore se défendre. Alors, il fallait laisser la droite faire seule sa besogne, sauf à l'aider par le vote, là où les votes pouvaient loyalement se rencontrer, non par une phrase dont l'ambiguïté calculée pouvait faire croire que chaque côté disait le contraire de ce qu'il voulait dire.

L'équivoque, d'ailleurs, ne put subsister dans le débat p blic. M. de la Bourdonnaye, pour la droite, le général Foy, pour la gauche, vinrent chacun préciser le sens que leurs amis donnaient au paragraphe Le garde des sceaux vint, après eux, demander à la Chambre pour laquelle des deux interprétations elle entendait se prononcer; mais la Chambre ne répondit qu'en criant; Aux voix! la clôture! et le paragraphe fut voté par 176 voix contre 98, dans la séance du 26 novembre.

Le roi était fort mécontent de l'adresse, et l'on crut qu'il prononcerait la dissolution de la Chambre, puisque le ministère ne se retirait pas après un tel échec. Le 30, la Chambre fut convoquée pour recevoir une communication ministérielle. Le président an

nonça que l'intention du roi était que l'adresse lui fût présentée, le soir même, par le président, accompagné seulement de deux des secrétaires. C'était ordinairement avec une députation de l'Assemblée que le président allait porter l'adresse au roi et lui en donner lecture.

Le soir, en effet, M. Ravez se rendit, avec deux secrétaires, aux Tuileries. Le roi prit l'adresse, sans lui laisser le temps de la lire, la posa sur sa table et dit : « Je connais l'adresse que vous me présentez... Dans l'exil et la persécution, j'ai maintenu mes droits, l'honneur de ma race et celui du nom français. Sur le trône, entouré de mon peuple, je m'indigne à la seule pensée que je pusse jamais sacrifier l'honneur de ma nation et la dignité de ma couronne... J'aime à croire que la plupart de ceux qui ont voté cette adresse n'en ont pas pesé toutes les expressions. S'ils avaient eu le temps de les apprécier, ils n'eussent pas souffert une supposition que, comme roi, je ne veux pas caractériser, comme père, je voudrais oublier... »

Une dissolution était la conséquence logique de telles paroles; mais le ministère n'osait pas plus dissoudre la Chambre qu'il ne voulait se retirer lui-même.

Le 3 décembre, il présenta deux projets de lois, l'un aggravant les délits et les pénalités de presse, l'autre demandant la prorogation de la censure. Ces deux projets furent, avant toute discussion, l'objet de débats préliminaires où le ministère fut attaqué, par det hommes de la droite, avec une violence qui rappelle celles qu'eut à supporter M. Decazes après l'assassinat du duc de Berry. A la suite de plusieurs échecs, le cabinet se décida enfin à donner sa démission.

SV. MINISTÈRE VILLÈLE. Le 15 décembre, le Moniteur annonça

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l'avénement d'un nouveau ministère : M. de Villèle était nommé aux finances, M. Corbière à l'intérieur, M. de Peyronnet à la justice, le duc de Montmorency aux affaires étrangères, le duc de Bellune à la guerre, le comte de Clermont-Tonnerre à la marine; le général Lauriston restait ministre de la maison du roi.

Le duc de Montmorency était le chef de la Congrégation; M. de Peyronnet, encore peu connu, procureur général dans l'affaire du 19 août, s'était fait remarquer par sa rigueur; il avait, d'ailleurs, un autre titre il avait contribué à faire prononcer la séparation de corps entre madame du Cayla, la favorite du roi, et son mari.

En même temps, M. Delavau fut nommé préfet de police, et

M. Franchet directeur de la police du royaume. MM. Pasquier, Portal, Siméon, Roy, furent élevés à la pairie; M. de Latour-Maubourg nommé gouverneur des Invalides, et, tous les cinq, ainsi que M. de Serre, appelés au conseil privé.

§ VI. PROCÈS DE PRESSE. L'année avait commencé par trois procès de presse intentés à MM. Cauchois-Lemaire, de Jouy et l'abbé de Pradt. Les trois prévenus furent acquittés par le jury. Un peu plus tard, M. Cauchois-Lemaire reparut devant le jury pour répondre de divers délits résultant de brochures dont plusieurs avaient été antérieurement publiées et non poursuivies. Ces dernières furent écartées par la cour. Le jury ayant admis la culpabilité pour les autres, Cauchois-Lemaire fut condamné à un an de prison et 2,000 fr. d'amende.

Le 28 août, Paul-Louis Courier vint, à son tour, devant la cour d'assises de la Seine, sous l'inculpation d'outrage aux mœurs, pour avoir, dans une brochure intitulée Simple discours, et publiée à propos de la souscription qui avait acheté le château de Chambord pour l'offrir au duc de Bordeaux, rappelé certains scandales des mœurs royales et représenté les cours comme le centre de toutes les corruptions. Déclaré coupable, Courier fut condamné à deux mois de prison. Ce fut pour lui l'occasion d'un nouveau pamphlet, plus âpre encore que le premier, où il rendit compte de son procès. On n'osa pas, cette fois, le poursuivre.

L'année se termina par un autre procès de presse qui eut encore plus de retentissement que celui de Courier, ce fut le procès de Béranger (9 décembre), contre lequel le ministère public avait mélangé l'accusation d'outrage aux mœurs à celle d'excitation à la désobéissance aux lois. L'affluence était énorme au Palais-de-Justice, car la popularité de Béranger était déjà très-grande. L'accusation, soutenue, avec beaucoup d'emphase, par M. de Marchangy, fut combattue, avec une verve caustique, par M. Dupin. Le chansonnier fut condamné, pour outrage à la morale publique et religieuse, à trois mois d'emprisonnement.

§ VII. INSURRECTION GRECQUE. Cette même année 1821 vit commencer l'insurrection qui devait, plus durable et plus heureuse que celles d'Italie et d'Espagne, aboutir à l'indépendance de la Grèce. Née dans les montagnes d'Albanie et d'Illyrie, sous le commandement d'Alexandre Ypsilanti, elle fut propagée, par son frère Démé→ trius, en Morée, d'où les Turcs furent chassés. La Porte se vengea par des actes cruels, faisant pendre les patriarches de Constanti

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