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pas libre là où la presse le serait, » mais un des députés répondit que « donner la liberté de la presse, c'est changer une pique en plume. »

M. Beugnot affirme dans ses Mémoires qu'aucun membre de la commission ne songea que cet article pût concerner les journaux, tant était nulle alors l'importance de la presse quotidienne.

Il y eut aussi discussion sur l'article portant que : « Toutes les « propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celles qu'on « appelle nationales. » Quelques membres auraient voulu faire une distinction entre la vente des biens du clergé qui n'était plus contestée et celle des biens confisqués sur les émigrés. L'article fut néanmoins adopté.

Aucun débat ne s'éleva sur l'article 14 conférant au roi le droit de faire des « ordonnances et règlements pour l'exécution des lois et pour la sûreté de l'État. » Il ne vint alors à l'idée de personne que ce droit pût aller jusqu'à suspendre les lois.

L'article réservant au roi l'initiative exclusive de la présentation des lois fut assez vivement discuté par quelques membres, qui réclamaient pour les deux assemblées le droit de proposer une loi qui leur paraîtrait utile. M. de Montesquiou objecta péremptoirement que le roi considérait l'initiative absolue comme une des attributions essentielles de la royauté. On transigea en déclarant, par voie d'amendement, que les Chambres auraient la faculté « de supplier le roi de présenter une loi; encore cette faculté fut-elle en

tourée de précautions minutieuses.

Le Sénat fit place à une Chambre des pairs, nommée par le roi, sans limite de nombre, avec ou sans condition d'hérédité, au gré du monarque. Les délibérations de cette chambre devaient être sans publicité; elle pouvait se constituer en Cour de justice pour juger les crimes de haute trahison, les attentats contre la sûreté de l'État.

Le Corps législatif devint la Chambre des députés des départements. Cette dénomination avait, dit-on, pour objet, dans la pensée du roi, d'empêcher que les députés prissent jamais une résolution semblable à celle que prirent les représentants des communes lorsque, le 20 juin 1789, ils se constituèrent en Assemblée nationale au Jeu de paume.

Selon le projet présenté par les commissaires royaux, les députés devaient être désignés par le roi, sur une liste double proposée par les colléges électoraux. C'était le système de l'Empire, sauf que le

roi était substitué au Sénat. M. de Montesquiou le soutenait par cet argument que « personne n'étant plus intéressé que le roi à une bonne-composition de la Chambre, le roi ne pourrait faire que de bons choix. >

Sans contester la justesse d'un tel raisonnement, on fit remarquer que si le roi, qui nommait déjà les pairs, choisissait aussi les députés, les deux Assemblées ne seraient que des commissions royales et que, dès lors, le régime représentatif n'existerait plus.

Le projet renvoyait à des lois ultérieures le soin de régler l'organisation des colléges électoraux. Plusieurs membres désirèrent que la question fût résolue dans l'acte constitutionnel. Mais on ne parvint pas à s'entendre, on décida d'en référer au roi. M. Dambray annonça, dans une séance suivante, que d'après les ordres du roi, la question devait être réglée par une loi future.

La commission eut à déterminer la durée du mandat des députés et à se prononcer entre le renouvellement intégral et le renouvellement partiel. M. Lainé fit triompher lẹ second en démontrant que, par ce mode, on évitait les grandes secousses d'élections générales et que l'opinion publique modifierait graduellement les dispositions de l'Assemblée. Il fit remarquer, d'ailleurs, que c'était le moyen de conserver la Chambre actuelle. On décida donc que les députés seraient nommés pour cinq ans et que l'Assemblée se renouvellerait, chaque année, par cinquième.

On fixa le cens d'éligibilité à 1,000 francs de contribution directe et l'âge à 40 ans. Les électeurs durent avoir 30 ans et payer 300 francs.

Le chiffre du cens d'éligibilité amena un incident notable. Un des membres de la commission, M. Faucon, qui le combattit, dit, en terminant: « Moi-même, je ne crains pas de me produire en exemple. Membre de l'Assemblée constituante, je n'ai pas cessé, depuis ce temps, de donner mon temps à mon pays, tant que j'ai pu le faire avec honneur; je me trouve président du Corps législatif, et, parce que quelques souvenirs honorables et une pauvreté noble sont tout ce qui me reste, je ne suis plus éligible. Je juge, par la douleur que je ressens, de celle que vont éprouver tous ceux qui me ressemblent. »>

Ces paroles causèrent une émotion pénible. Mais la majorité, loin d'incliner vers l'abolition du cens, était plus disposée à en trouver le chiffre trop modéré. Les mille francs furent volés.

La publicité fut établie pour les séances de la Chambre élective, avec cette réserve que cinq membres pouvaient réclamer et obtenir le comité secret. C'était une précaution inspirée par le souvenir de la pression exercée plusieurs fois par les tribunes publiques sur les assemblées de la Révolution. Une autre réminiscence du même temps. porta M. de Sémonville à proposer qu'aucune pétition ne pût être présentée par les signataires en personne; il rappela, à ce propos, l'invasion de la Convention nationale par les pétitionnaires du prairial. Malgré ce souvenir, tout personnel, Boissy d'Anglas com. battit la proposition, qui fut, néanmoins, adoptée.

Puisque l'initiative des lois était réservée au roi seul, il n'eût pas été logique de permettre aux députés de les altérer par voie d'amendement. Aussi, malgré l'opposition de plusieurs membres et de M. Beugnot lui-même, fut-il décidé qu'aucun amendement ne pourrait être discuté sans avoir été accepté ou, tout au moins, consenti par le roi.

Ce furent là, non pas toutes mais les principales questions débattues, et assez brièvement, dans les quatre premières séances de la commission. Il eût fallu plusieurs séances encore pour achever convenablement l'examen du projet apporté par M. de Montesquiou, de façon que l'acte constitutionnel pût être lu le jour de l'ouverture des Chambres.

Cette solennité avait été, par ordonnance royale, fixée au 4 juin, et l'on était au 26 mai. M. Beugnot désirait et espérait une prorogation de quatre jours. Mais, ce même jour, 26, le chancelier Dambray signifia à la commission qu'il fallait que tout fût terminé le lendemain 27.

C'était un ordre donné par l'empereur Alexandre, qui, voulant, ainsi que le roi de Prusse, partir aussitôt après la signature du traité de paix, exigeait que le travail constitutionnel fût fini avant son départ.

La commission hâtà donc la conclusion de sa tâche et la compléta dans la séance du 27.

Il restait à régler deux points qui n'étaient pas du ressort de la commission.

Le premier était de savoir comment on appellerait le document constitutif. M. Dambray, partisan des vieilles formules, proposait Ordonnance de réformation. On lui démontra que, même suivant l'ancien droit monarchique, le mot n'était pas applicable au cas présent. M. Ferrand voulait dire Acte constitutionnel. M. Beugnot

objecta que le mot constitution impliquait le concours des représentants du peuple et qu'il s'agissait ici d'un acte émanant de la volonté seule du roi; remontant dans le passé, plus loin encore que M. Dambray, il proposa le nom de Charte, qui fut adopté par le roi.

L'autre point était relatif à la date que devait recevoir la Charte. Si Louis XVIII était rappelé au trône par la nation, son règne venait seulement de commencer. S'il succédait héréditairement, en vertu de l'ancien droit royal, à Louis XVII, successeur lui-même de Louis XVI, le règne actuel en était à sa dix-neuvième année. Mais, pouvait-on ainsi considérer comme non avenu tout ce qui s'était passé en France, de 1792 à 1814?

Ces discussions avaient lieu dans le cabinet même et en présence du roi. Louis XVIII ne fit pas connaître sa résolution sur le second point débattu.

L'empereur de Russie quitta Paris le 2 juin; le roi de Prusse partit le 3. Les autres princes ou chefs militaires les avaient précédés. Louis XVIII était donc libre de la présence des étrangers dans sa capitale lorsqu'il ouvrit, le 4 juin, la session des Chambres législatives.

§ XI. OUVERTURE DES CHAMBRES. D'après un ancien usage monarchique, des lettres closes avaient été envoyées aux députés et aux anciens sénateurs qui devaient assister à la séance royale, dans la salle du Corps législatif, au palais Bourbon, où un trône avait été disposé pour cette cérémonie.

Louis XVIII entra, entouré des princes de sa famille, sauf le tomte d'Artois, malade à Saint-Cloud; il fut accueilli par les acclamations usitées en pareil cas et en pareil lieu, s'assit sur le trône, et, d'une voix assurée, lut le discours suivant :

«Messieurs, lorsque, pour la première fois, je viens dans cette enceinte m'environner des grands corps de l'État, des représentants d'une nation qui ne cesse de me prodiguer les plus touchantes marques de son amour, je me félicite d'être devenu le dispensateur des bienfaits que la divine Providence daigne accorder à mon peuple.

« J'ai fait avec la Russie, l'Autriche, l'Angleterre et la Prusse une paix dans laquelle sont compris leurs alliés, c'est-à-dire tous les princes de la chrétienté. La guerre était universelle, la réconciliation l'est pareillement.

Le rang que la France a toujours occupé parmi les nations n'a

été transféré à aucune autre et lui demeure sans partage. Tout ce que les autres États acquièrent de sécurité accroît également la sienne, et, par conséquent, ajoute à sa puissance véritable. Ce qu'elle ne conserve pas de ses conquêtes ne doit donc pas êre regardé comme retranché de sa force réelle.

« La gloire des armées françaises n'a reçu aucune atteinte. Les monuments de leur valeur subsistent et les chefs-d'œuvre des art. nous appartiennent désormais par des droits plus stables et plus sacrés que ceux de la victoire.

« Les routes du commerce, si longtemps fermées, vont être libres. Le marché de la France ne sera plus seul ouvert aux productions de son sol et de son industrie; celles dont l'habitude lui a fait un besoin, ou qui sont nécessaires aux arts qu'elle exerce, lui seront fournies par les possessions qu'elle recouvre. Elle ne sera plus réduite à s'en priver ou à ne les obtenir qu'à des conditions ruineuses. Nos manufactures vont refleurir, nos villes maritimes vont renaître et tout nous promet qu'un long calme au dehors et une félicité durable au dedans seront les heureux fruits de la paix.

« Un souvenir douloureux vient toutefois troubler ma joie. J'étais né, je me flattais de rester toute ma vie le sujet du meilleur des rois et j'occupe aujourd'hui sa place! Mais, du moins, il n'est pas mort tout entier, il revit dans ce testament qu'il destinait à l'instruction de l'auguste et malheureux enfant auquel je devais succéder. C'est les yeux fixés sur cet immortel ouvrage, c'est pénétré des sentiments * qui le dictèrent, c'est guidé par l'expérience et secondé par les conseils de plusieurs d'entre vous que j'ai rédigé la Charte constitutionnelle dont vous allez entendre la lecture et qui assoit sur des bases solides la prospérité de l'État.

« Mon chancelier va vous faire connaître avec plus de détails mes intentions particulières. »

Ce discours méritait et obtint un succès que M. Dambray amoindrit maladroitement dans une sorte de commentaire où il reprit le mot Ordonnance de réformation, et disait que les deux Assemblées n'avaient que des pouvoirs expirés et incertains, et où il injuriait la Révolution.

Après lui, M. Ferrand donna lecture de la Charte, dont voici le texte :

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