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usèrent largement des pouvoirs que leur conféraient les lois récemment votées. Nombre d'écrivains furent condamnés à la prison, à l'amende, des journaux supprimés, des librairies fermées. Ce fut une Saint-Barthélemi de presse.

§ IX. LETTRES ET SCIENCES. L'agitation politique ne nuisait pas alors à l'activité littéraire. Tandis que Delavigne soutenait sa répu– tation, que celle de Lamartine grandissait et se répandait dans toute l'Europe, un nouveau poëte se révélait à la France par un livre qui jetait un éclat aussi vif que soudain : Victor Hugo publiait son premier recueil Odes et Ballades, où, sans s'affranchir encore des formes classiques, il montrait des tendances vers des formes nouvelles. Le poëte n'avait que vingt ans, mais déjà il promettait un maître. Chateaubriand l'appelait l'enfant sublime; il ne devait pas tarder à accomplir les promesses de son coup d'essai.

Cousin, Villemain, Guizot, publiaient en volumes les leçons que l'autorité interdisait en Sorbonne, et rendaient à l'enseignement universitaire une splendeur depuis longtemps perdue.

Sylvestre de Saci, que l'abbé Frayssinous avait écarté du conseil de l'Université, fondait la Société asiatique, destinée à propager en France les études sur l'Orient.

Un habile ingénieur, Fresnel, inventant les phares à feu fixes et à réflecteur, rendait à la navigation un service important.

Il faut noter aussi les médecins français courant à Barcelone pour y combattre la fièvre jaune, dévouement qui coûta la vie à quelques-uns.

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§ 1. CONGRÈS DE VÉRONE.- Les Souverains réunis au congrès de Laybach avaient, en se séparant, décidé de se retrouver, au mois d'octobre, à Vérone, pour y régler définitivement les affaires de Naples et du Piémont. Lorsque vint l'époque de ce nouveau congrès, les choses d'Italie étaient descendues au second rang et primées par la question d'Espagne. Dans ce pays, la révolution était encore debout et victorieuse, mais en lutte avec le mauvais vouloir du roi, que les Cortès tenaient presque captif, et avec une

guerre civile occupant une partie des provinces du Nord. L'empereur de Russie était déterminé à étouffer la révolution là comme ailleurs; l'Autriche y semblait disposée, et la Prusse marchait alors à la suite de l'Autriche. La seule Angleterre, où Canning venait de succéder à Castlereagh, qui s'était coupé la gorge, repoussait hautement toute intervention étrangère dans les affaires intérieures d'une nation indépendante. Louis XVIII, au contraire, se croyait en droit d'intervenir, ne voulant pas, disait-il, « laisser relever les Pyrénées, abaissées par Louis XIV, » mais il n'admettait que l'intervention de la France, et à l'heure qu'elle jugerait convenable. Dans le cabinet français, il y avait deux tendances: M. de Villèle était opposé à la guerre; tous les autres membres, et surtout le vicomte de Montmorency, ministre des affaires étrangères, étaient pour la guerre immédiate.

Avant d'ouvrir le congrès à Vérone, M. de Metternich proposa de tenir à Vienne des conférences préliminaires pour essayer d'établir une entente entre les puissances. Le gouvernement français y envoya M. de Montmorency. Il partit le 1er septembre; le 7, une ordonnance royale donna à M. de Villèle la présidence du conseil des ministres, mesure qui froissa le ministre des affaires étrangères.

Le duc de Wellington, plénipotentiaire anglais, traversant Paris pour se rendre à Vienne, eut avec M. de Villèle, le 22 septembre, une entrevue où il exprima la pensée que la France était décidée à intervenir, exposa les difficultés d'une pareille guerre, et demanda au chef du cabinet si son gouvernement accorderait le passage sur le territoire français d'une armée étrangère de secours. M. de Villèle répondit que la France ne ferait la guerre que pour la défense de sa sûreté et de son honneur, qu'elle ne donnerait point passage à des troupes étrangères, et qu'elle n'interviendrait ni sur l'invitation, ni, bien moins encore, sur l'injonction des autres puissances. Le ministre communiqua cette conversation à M. de Montmorency, qui avait déjà reçu des instructions en ce sens

Les préliminaires de Vienne n'aboutirent pas, le congrès s'ouvrit à Vérone, le 15 octobre. A M. de Montmorency étaient adjoints Chateaubriand, M. de la Ferronnays et le duc de Caraman. Le 5 octobre, M. de Villèle avait adressé au chef de notre diplomatie des instructions très-détaillées et très-précises sur les diverses questions devant être traitées au congrès.

En première ligne, il recommandait aux plénipotentiaires fran

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çais de ne pas se faire « rapporteurs des affaires d'Espagne, » c'està-dire de ne pas prendre l'initiative sur ces affaires, et de la laisser à une des autres puissances. Ils exposeront que la France, au moyen du cordon sanitaire établi sur la frontière des Pyrénées, à l'occasion de la fièvre jaune, et transformé, depuis, en corps d'observation, pour empêcher les violations de territoire, n'avait rien à craindre de l'Espagne; que si cette dernière lui déclarait la guerre, la France était en mesure d'y faire face sans secours étranger; qu'elle n'avait donc, comme les autres États, à s'occuper de l'Espagne que dans ses rapports avec la paix générale.

Sur la question du mode d'agir, relativement à l'Espagne, les plénipotentiaires devront indiquer, comme leur avis, que ce qu'il y aurait de plus sage et de plus utile serait que la France, étant la seule qui doive agir directement par ses troupes, sera seule juge de la nécessité de le faire, qu'en cas de guerre entre elle et l'Espagne, soit par suite d'atteintes à la sûreté du roi d'Espagne ou de sa famille, soit pour insulte au ministre français, ou enfin pour violation de territoire, les souverains étrangers déclareraient aussi la guerre à l'Espagne, et formeraient un corps d'observation destiné à venir au secours de la France, si elle le réclamait.

Dans les dernières années, les colonies espagnoles d'Amérique, et les colonies portugaises du Brésil, combattaient contre leurs métropoles, pour devenir ou demeurer indépendantes. Dans le cas où le congrès serait disposé à s'occuper de cette question, M. de Villèle voulait que l'Espagne et le Portugal fussent invités à faire connaître si et comment ils pourraient rétablir l'ordre, la paix et la sécurité de la navigation, compromise par une foule de pirates, d'offrir à ces deux pays la méditation des autres puissances pour y parvenir, et, en cas de refus, de reconnaître l'indépendance des États régulièrement constitués en Amérique, chaque puissance s'engageant à ne pas réclamer d'avantages particuliers. Cette prévision était dirigée contre l'Angleterre, que la France soupçonnait de vouloir prendre sous sa protection les nouveaux États, en assu rant à son commerce un traitement de faveur.

Quant à l'Italie, les négociateurs français devaient hâter le retrait des troupes autrichiennes à Naples et en Piémont, et tâcher d'obtenir la réconciliation de Charles-Félix, roi de ce dernier pays, avec le prince de Carignan (Charles-Albert), son héritier présomptif.

En ce qui touche l'Orient, il fallait travailler à renouer les relations diplomatiques, récemment rompues, entre la Russie et la

Porte, et appuyer le gouvernement russe dans les demandes de garanties qu'il pourrait faire au profit des populations chrétiennes. M. de Montmorency était, lui, partisan de la guerre. Il crut met tre d'accord son avis personnel avec ses instructions officielles, au moyen d'une de ces subtilités qu'offre le langage diplomatique. Il fit juste ce qu'il devait ne pas faire, et prit l'initiative des ouvertures, exposa la question dans un écrit qu'il lut aux autres plénipotentiaires, dont il les laissa même prendre copie, et se crut en règle, parce que cet écrit, au lieu de s'appeler, soit memorandum, soit note verbale, s'appelait un dire. M. de Villèle ne cacha pas son mécontentement, mais la faute était faite.

Après un mois de négociations, où M. de Metternich montra la duplicité la plus perfide, parlant à la Russie contre la France, à la France contre la Russie, on parvint à signer, le 19 novembre, un procès-verbal dont les bases avaient été arrêtées le 31 octobre, et dont voici le texte :

« Les plénipotentiaires d'Autriche, de France, de Prusse et de Russie, ayant jugé nécessaire de déterminer les cas dans lesquels les engagements pris avec la cour de France, par les cours d'Autriche, de Prusse et de Russie, dans le cas d'une guerre déclarée ou provoquée par le gouvernement actuel de l'Espagne, deviendraient obligatoires pour les puissances qui y ont pris part, sont convenus de préciser l'application desdits engagements dans les termes suivants.

« Art. 1o. Les trois cas dans lesquels les engagements éventuels entre les quatre puissances signataires du présent procès-verk al deviendraient immédiatement obligatoires, sont: 1° celui d'une attaque à main armée de la part de l'Espagne contre le territcire français, ou d'un acte officiel du gouvernement espagnol, provoquant directement à la rébellion les sujets de l'une ou de l'autre puissance; 2° celui de la déchéance prononcée contre S. M. le roi d'Espagne, d'un procès intenté à son auguste personne, ou d'un attentat de même nature contre les princes de sa famille; 3° celui d'un acte formel du gouvernement espagnol portant atteinte aux droits de succession légitime de la famille royale.

<«< Article 2. Attendu qu'indépendamment des cas ci-dessus specifiés et définis, il peut s'en présenter que l'une ou l'autre des cours signataires du présent acte regarderait comme étant de la même valeur et comme devant emporter les mêmes effets que ceux qui sont désignés à l'article premier, il est arrêté que si tel cas non spécifié ou tout autre cas analogue venait à se réaliser, les ministres

des hautes cours alliées accrédités près de S. M. T. C. se réuniraient avec le cabinet de France pour examiner et déterminer si le cas en question doit être considéré comme rentrant dans la classe des casus fœderis prévus et définis et exigeant, comme tel, l'appli › cation directe des engagements pris par les hautes puissances. ▸

M. de Villèle avait prévu le cas où la France pourrait avoir à reclamer le concours armé des trois autres cours, et, dans sa pensée, ce cas était celui d'une intervention de l'Angleterre, par les armes, en faveur de la révolution espagnole. Il ne lui était pas venu à l'idée que les autres puissances se trouvassent jamais dans le cas de réclamer de la France la réciprocité, c'est-à-dire d'entraîner la France dans une guerre de l'une d'elles contre l'Espagne, située si loin de leurs frontières. Cette idée fut produite, à la dernière heure, par les négociateurs des trois cours; Chateaubriand et M. de la Ferron-nays la repoussèrent, MM. de Montmorency et de Caraman la trouvèrent très-juste; mais, comprenant le mauvais effet qu'elle ferait en France, ils demandèrent et obtinrent de la dissimuler par des artifices de rédaction. Elle est, effectivement, écrite assez obscurément dans le protocole et l'article premier du procès verbal, mais il ne devait pas être difficile de l'en faire jaillir au besoin.

Au procès verbal était jointe la substance des instructions que les quatre cours devaient envoyer à leurs représentants à Madrid. Le duc de Wellington était resté étranger à l'adoption du procès verbal. Quand, le 20, on présenta cet acte à sa signature, il répondit par une note, où le gouvernement anglais, déclarant que les résolutions du congrès étaient incompatibles avec les principes de l'Angleterre en ce qui touche les affaires intérieures des autres pays, et plus propres à compromettre qu'à assurer la sécurité des personnes que l'on voulait protéger. Il refusait donc son concours aux Duissances alliées et s'abstiendrait, auprès de l'Espagne, de toute démarche pouvant le rendre solidaire de ce qui s'était fait à Vé

one.

M. de Montmorency trouva très-violentes les notes préparées pour es ministres des trois cours à Madrid. On lui répondit qu'on avait voulu les faire telles, que chaque cour les adresserait à son ministre à Paris, que si le roi de France en voulait envoyer une semblable à son représentant, l'envoi des autres serait retardé jusqu'à ce que celles de la France fussent prêtes. Dans le cas contraire, celles-ci seraient expédiées sur-le-champ et les trois ministres quitteraient immédiatement Madrid.

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