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serait pas obligé d'avoir recours, chaque année, à toutes les séductions du pouvoir pour se maintenir : « Il n'est pas, ajouta-t-il, un seul membre de cette Chambre, quelle que soit son opinion, qu consentît à redonner à la France et l'Europe le spectacle, ou, pour mieux dire, l'affligeante, l'humiliante répétition de nos dernières élections. Je veux parler des manœuvres odieuses, pratiquées par des agents subalternes du pouvoir, manœuvres dont tout le monde a connaissance et dont l'opinion a déjà fait justice. Encore deux ou trois élections influencées d'une pareille manière, et des fonctionnaires publics tombent dans la dégradation, et le gouvernement représentatif devient une véritable dérision... »

...

C'était un ami qui parlait; le ministère ne répondit rien.
Le 7 mai, 117 voix contre 67 adoptèrent la loi.

La veille, 6 mai, M. de Villèle avait présenté à la Chambre haute le projet de loi voté par les députés pour la conversion des rentes. Le rapport fut fait le 21; la discussion commença le 24. Ouverte par un discours de M. Roy contre le projet, elle dura neuf jours sans sortir des arguments produits des deux côtés à l'autre Chambre et fut close par un discours de M. de Quélen, archevêque de Paris, qui entraîna des pairs encore indécis. Le 3 juin, la loi fut rejetée par 128 voix contre 94.

Ce même jour, 3 juin, la Chambre des députés entamait la discussion de la loi de septennalité.

C'est Royer-Collard qui prit le premier la parole; il repoussa d'abord le renouvellement intégral... « Les élections annuelles, dit-il, sont une des plus importantes concessions de la Charte. L'élection est le seul droit politique qui reste aujourd'hui à la nation; plus ce droit est exercé, plus il offre de garanties, el la combinaison ingénieuse de l'élection annuelle avec le renouvellement fractionnaire, est peut-être la seule condition sous laquelle le gouvernement représentatif puisse s'établir et durer en France... Mais avons-nous le gouvernement représentatif?... »

L'orateur répondait en montrant que, d'épreuve en épreuve, l'élection passait de la nation au pouvoir, que celui-ci composait à son gré le corps électoral, et, ainsi, formait réellement la Chambre.

Royer-Collard repoussait aussi la durée de sept ans et il rappelait à l'appui, que, depuis un demi-siècle, il n'y avait pas un système, pas un ministère, pas une vérité, pas une réputation politique ayant duré sept ans. «< Que serons-nous, que serez-vous, dans

...

sept ans ?... » Ni la Chambre, en effet, ni la loi, ni le gouvernement même des Bourbons ne devaient durer sept ans.

Quelques députés, partisans en principe de la septennalité, proposèrent que la Chambre actuelle, élue sous le régime de la quinquennalité, ne durât que cinq ans ; l'amendement fut repoussé.

Le 8 juin, la loi fut adoptée par 292 voix contre 87.

Dans la même séance, le ministère annonça que le gouvernement retirait la loi sur les crimes commis dans les églises.

Après l'échec de la conversion des rentes au Luxembourg, l'opinion publique, fort hostile à cette loi, crut que M. de Villèle allait sortir du ministère. Chateaubriand était même allé dire au président du conseil : « St vous croyez devoir vous retirer, je me retire avec vous. » On fut donc fort surpris lorsque, le 6 juin, une ordonnance royale confia l'intérim des affaires étrangères à M. de Villèle, en remplacement du vicomte de Chateaubriand. L'ordonnance ne qualifiait pas le vicomte de « démissionnaire » et ne contenait pas la formule usitée : « appelé à d'autres fonctions. »>

C'était M. de Villèle qui, spontanément et contre le conseil de quelques amis, avait, après la démission du duc de Montmorency, proposé au roi la nomination de Chateaubriand, bien que celui-ci fût partisan de la guerre d'Espagne dont, alors, le président du conseil ne voulait pas. M. de Villèle croyait qu'un homme si puissant par la plume et la parole devait être un utile auxiliaire dans la pratique du gouvernement. Il n'en était rien et M. de Villèle ne tarda pas à s'en apercevoir. Chateaubriand avait autant d'incapacité que de vanité. Plusieurs fois, il compromit, il contre-carra, ouvertement ou en dessous, la politique du chef du cabinet. Il y eut entre eux des froissements, des irritations qui s'aggravèrent lors de la conversion des rentes, par suite de l'attitude de Chateaubriand; celui-ci, en effet, ne cachait pas son hostilité à la loi, et si, au vote, il la soutint de son suffrage, il l'avait précédemment ruinée par ses propos. M. de Villèle était résolu à se séparer d'un collègue embarrassant. Chateaubriand fut écarté du pouvoir à l'heure où il espérait bien en prendre la direction; il devint, dès ce jour, l'ennemi déclaré de M. de Villèle.

La détermination du président du conseil était plus que fondée; nais, dans l'exécution, les convenances seules, à défaut de la grande réputation littéraire du collègue disgracié, prescrivaient à M. de Villèle d'agir envers Chateaubriand d'une manière moins brutale qu'il ne le fit. Chateaubriand eut raison de se plaindre d'avoir été

non pas remplacé, mais chassé. M. de Villèle était habituellement plus adroit. Peut-être subit-il, en cette circonstance, avec son propre ressentiment, l'action d'une influence féminine alors toute-puissante sur l'esprit du roi.

Dans la soirée du 6 juin, Bertin de Vaux, propriétaire du Journal des Débats, alla trouver M. de Villèle et lui proposa de donner à Chateaubriand, comme dédommagement, l'ambassade de Rome. Le ministre s'y refusa. « Alors, lui dit Bertin, dès demain, la guerre commencera et les Débats, qui ont renversé les ministères Decazes et Richelieu, n'auront pas plus de peine à renverser le ministère Villèle. C'est possible, répliqua M. de Villèle, mais vous avez renversé les premiers en faisant du royalisme. Pour renverser celui dont je fais partie, il faudra que vous fassiez de la Révolution. »

Le propriétaire des Débats tint parole; le journal fit une guerre incessante au ministère dans des articles où l'on reconnaissait l'inspiration sinon la plume de Chateaubriand.

Dans le courant de mai, les deux Chambres avaient adopté une loi sur le recrutement qui donna lieu à de vives discussions, auxquelles prit une part active le maréchal Gouvion St-Cyr. C'était lui qui avait préparé et assuré le succès de la loi de 1818. Or cette loi était modifiée en quelques points par la loi nouvelle, mais celle-ci était surtout considérée comme l'annonce d'un prochain et complet remaniement de l'autre loi dans un sens peu libéral, et les orateurs du côté droit donnaient raison à ces prévisions. La loi cependant fut votée. Toutefois, cette victoire fut largement compensée par l'échec d'une loi concernant les communautés religieuses. Le gouvernement voulait obtenir le pouvoir d'autoriser les congrégations religieuses de femmes par simple ordonnance royale au lieu de recourir à une loi. La Chambre des pairs repoussa le projet par une simple majorité de deux voix, à la grande surprise et à la plus grande irritation du ministère.

Une discussion sur les marchés Ouvrard ne tourna pas à l'avantage du ministère, qui, pour satisfaire les Chambres et le public, dut nommer une commission d'enquête chargée d'examiner l'affaire dans tous ses détails.

La session s'acheva par le vote du budget et fut close le 4 août. § III. MODIFICATIONS MINISTÉRIELLES. Le même jour, la désignation d'un successeur de Chateaubriand amena un remaniement dans le cabinet. M. de Damas quitta le ministère de la guerre pour prendre celui des affaires étrangères et fut remplacé par M. de

Clermont-Tonnerre, qui céda la marine à M. de Chabrol, directeur général de l'enregistrement. Ce dernier poste fut donné à M. de Martignac.

M. de Lauriston, ministre de la maison du roi, nommé grand veneur et ministre d'État, eut pour successeur M. de Doudeauville, dont le fils, M. de la Rochefoucauld, devint directeur des BeauxArts, détachés de la maison du roi c'était le prix dont les ministres étaient forcés de payer l'appui de la favorite royale. Elle avait signifié sa volonté à M. de Villèle en lui disant : « Je vous offre la paix ou la guerre... » M. de Villèle avait été réduit à répondre: « J'obéis. » Mieux eût valu se retirer du pouvoir que de s'humilier ainsi devant une intrigante sans élévation, sans cœur et sans esprit. L'évêque d'Hermopolis devint ministre des affaires ecclésiastiques et de l'instruction publique.

§ IV. LA CENSURE RÉTABLIE. Quelques jours après, le 16 août, éclate soudainement une ordonnance royale qui rétablit la censure des journaux; l'acte était motivé sur ce que « la jurisprudence des Cours (judiciaires) admettait pour les journaux une existence de droit, indépendante de leur existence de fait et qui fournissait ainsi les moyens d'éluder la suspension et la suppression des journaux. »

Voici à quoi faisait allusion ce considérant. Un journal intitulé l'Aristarque, qui avait cessé de paraître avant la loi actuelle, avait repris le cours de sa publication. Le gouvernement le fit saisir et poursuivre pour défaut d'autorisation. Le journal prétendit que, né sous le régime où l'autorisation n'était pas exigée, interrompu par sa propre volonté, il pouvait reparaître sans autorisation. La Cour royale accueillit ce système et acquitta le journal. Le ministère public se pourvut en cassation. La Cour snprême confirma la décision de la cour royale, par un arrêt rendu le 15 août. C'est le lendemain que parut l'ordonnance rétablissant la censure.

Un autre procès, antérieur à celui-ci et non moins désagréable au ministère, ne fut pas étranger à l'ordonnance. Par suite de ventes plus ou moins fictives d'actions de la Quotidienne, la plus grande part de propriété de ce journal était passée des mains de M. Michaud à celles d'agents du ministère. M. Michaud, ayant refusé de se laisser déposséder, fut expulsé de ses bureaux par la force armée. Il porta l'affaire devant les tribunaux, qui le maintinrent en pleine possession de la Quotidienne.

Plus tard, les ministres expliquèrent leur ordonnance par les inquiétudes que donnait la santé de Louis XVIII.

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SV. MORT DE LOUIS XVIII. Le roi, en effet, s'affaiblissait de plus en plus et tout annonçait une fin prochaine. Le 25 août, jour de sa fête, il voulait encore tenir la réception accoutumée. Le dépérissement s'aggrava de jour en jour. La famille royale voulait qu'il reçût les secours de la religion, mais personne n'osait aborder ce sujet avec lui. Pour un pareil soin et dans un tel moment, on ne craignit pas de recourir à cette femme de position équivoque, que des gens de cour et d'Église avaient introduite auprès du vieux roi. Ce fut elle qui le décida. La vie persista encore quelques jours; Louis XVIII mourut le 16 septembre.

Aussitôt, le comte d'Artois, devenu le roi Charles X, alla résider à Saint-Cloud; il avait préalablement averti les ministres que son intention était qu'ils restassent avec lui.

Le 23 septembre, le corps de Louis XVIII fut transporté à SaintDenis. Le cortége, assez mal ordonné, fut, de plus, rompu par une averse torrentielle. Les funérailles furent célébrées dans la vieille abbaye, le 21 octobre, avec le cérémonial de l'ancienne monarchie.

Louis XVIII avait 69 ans. A son compte, il régnait depuis 29 ans ; mais, au compte de l'histoire, depuis dix années seulement. C'était un esprit étroit, médiocre, n'ayant quelque velléité de grandeur ou de dignité que quand il s'inspirait des souvenirs de sa race, mais se laissant plus souvent aller à la vanité d'une apparente érudition littéraire, qui se contentait, en général, de citations d'un seul poëte latin.

On lui a attribué une fixité d'idées politiques qu'il n'a jamais eue, sauf en ce qui touchait sa légitimité. Il a subi les influences politiques de M. de Blacas, de M. Dambray, de M. Decazes, pour tomber, en fin de compte, sous une influence de toute façon honteuse. Peutêtre, si M. Decazes eût été plus hardi, eût-il pu donner à Louis XVIII l'honneur de fonder, pour un temps indéfini, la monarchie constitutionnelle. Depuis, on a fait à ce roffun mérite d'être mort sur le trône et aux Tuileries. Ce fut là certainement son ambition et il y a réussi. Mais ce sont les fautes de ses successeurs qui en ont fait une apparente habileté.

སྶ

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