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SECTION IV

RÈGNE DE CHARLES X

Du 29 septembre 1824 au 30 juillet 1830

CHAPITRE PREMIER

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Le nouveau roi. - Suppression de la censure. Premiers actes. Ouverture des Chambres. - Lettres, arts, industrie. Extérieur. Nouvelles lois congrégations de femmes, sacrilége. — Indemnité des émigrés.

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SI. LE NOUVEAU ROI. Louis XVIII ne laissait pas de regrets dans la masse de la population, qui n'avait jamais eu une grande sympathie pour ce roi impotent, à la tenue bizarre, n'ayant aucune des qualités qui plaisent à la foule, dont le règne, résultat de l'invasion, avait débuté par la terreur blanche, et finissait par la prépondérance de la congrégation et de l'esprit sacerdotal, chose particulièrement odieuse à la France, où vivait toujours l'esprit de Voltaire.

Si, durant les dernières années de ce règne, le comte d'Artois prenait une part effective à la marche du gouvernement, à l'élévatiion et à la chute des ministères, c'était là une affaire d'intérieur, connue des hommes politiques, mais ignorée de la généralité du public. Le souvenir de la vie galante du comte, avant 1789, était plus répandu que la connaissance de ses habitudes actuelles. Il avait un certain renom de loyauté et même de caractère chevalevesque, il avait dans les manières une grâce aisée, et dans ses allures une facilité qui semblait de l'élégance à côté de la lourdeur d'un roi infirme.

L'avénement de Charles X rencontrait dans la disposition générale des esprits cette confiance qui manque rarement à un nouveau règne. La confiance s'accrut encore quand on apprit qu'à la réception officielle des pairs et des députés, il avait dit :

« J'ai promis, comme sujet, de maintenir la Charte et les institutions que nous devons au roi dont le ciel vient de nous priver; aujourd'hui que le droit de ma naissance a fait tomber le pouvoir

entre mes mains, je l'emploierai tout entier à consolider, pour le bonheur de mon peuple, le grand acte que j'ai promis de maintenir. »

Maintenir et observer la Charte, l'opinion publique alors n'exigeait rien de plus. Aussi, cette déclaration du nouveau roi fut-elle accueillie avec une grande satisfaction, que vinrent augmenter les premiers actes de Charles X, le rétablissement de la faculté de droit de Grenoble et des grâces accordées à des hommes condamnés pour participation aux conspirations de 1822, ou aux affaires d'Espagne. On s'étonna bien de quelques mesures en disparate avec les mœurs nouvelles: le titre de Dauphin et Dauphine, donné au duc et à la duchesse d'Angoulême, celui de Madame à la duchesse de Berry, de Mademoiselle à la fille de cette princesse, mais on mit cela sur le compte de l'étiquette de cour. Dans la concession du titre d'Altesse royale au duc d'Orléans, qui n'était jusque là qu'une « Altesse sérénissime, » on voulut voir un témoignage de reconciliation avec le duc, contre lequel on connaissait les sentiments peu bienveillants de Louis XVIII.

ACTES.

Un acte

§ II. SUPPRESSION DE LA CENSURE; PREMIERS plus important mérita à Charles X la faveur publique. Il devait, pour la première fois, passer en revue, le 30 septembre, les légions de la garde nationale de Paris. Le matin de ce jour, le Moniteur publia une ordonnance royale rapportant celle du 15 aoû précédent, qui avait rétabli la censure. La nouvelle s'en répandit très-rapidement. La population, pressée sur le passage du cortège royal, et les légions rangées dans le champ de Mars, firent au ro un accueil enthousiaste, dont il se montra très-heureux. Il avait d'autant plus le droit de l'être que c'était lui qui, contre la majorité du conseil des ministres, avait voulu rendre la liberté à la presse.

On lui faisait honneur aussi, on lui savait bon gré d'une parole dite au champ de Mars. Dans un moment où le roi se trouvait seul, entouré par la foule, les lanciers d'escorte voulaient le dégager en écartant les curieux avec la hampe des lances. Le roi les avait retenus par ces mots : « Soldats, pas de hallebardes. » Cette parole était-elle plus authentique que celle qui fut prêtée au même prince en 1814?

Toujours est-il qu'il ne fallut pas davantage pour faire à Charles X une popularité rapidement formée, et qui devait s'évanouir presque aussi rapidement. On eût eu moins d'illusion si l'on eût mieux connu le prince.

La première déception fut causée par le maintien du ministère. Royalistes et libéraux avaient cru que le roi en changerait, ceuxci pour se rattacher à la Charte, ceux-là pour s'unir à l'opposition royaliste. Le mécompte de ces derniers fut peut-être le plus vif. parce qu'ils avaient été plus fondés à attendre ce changement de la part de celui qu'ils avaient toujours considéré comme leur chef.

Deux faits influencèrent fâcheusement l'opinion publique; l'un était une erreur de la population, l'autre une faute du ministère.

Le 18 novembre, le curé de Saint-Laurent refusa les prières de l'église à un acteur fort aimé du public, nommé Philippe. Le cercueil fut enlevé par les amis du défunt, qui l'emportèrent par les boulevards en criant: Aux Tuileries. On se souvenait qu'en pareil cas, Louis XVIII avait envoyé un de ses aumôniers dire l'office des morts pour mademoiselle Raucourt. Sur le boulevard Montmartre, la force armée barra le passage aux porteurs et à la foule. Des délégués obtinrent de se rendre aux Tuileries, où ils furent reçus par M. de Damas, qui transmit leur requête au roi. Charles X les envoya à M. Corbière, qui refusa absolument de contraindre le caré à recevoir le corps. Il fallut donc le diriger vers le cimetière.

Cette affaire causa une vive émotion provenant de cette erreur que le clergé, étant rétribué par l'État, doit ses prières à qui les lui demande. Le Courrier français fit observer avec justesse que cette exigence n'était pas plus fondée que ne le serait celle qui voudrait obliger les citoyens à subir les cérémonies de l'Église, parce que la religion catholique était la religion de l'État.

La faute ministérielle fut une ordonnance du 1er décembre qui, en réorganisant l'état-major général de l'armée, mit à la retraite 167 officiers généraux. Peut-être le ministre n'avait-il voulu, comme le disait le préambule de l'ordonnance, que réaliser une économie. Il avait alors la main malheureuse. En effet, la mesure ne frappait guère que des généraux datant de la République et de l'Empire, dont plusieurs avaient été reçus et bien accueillis par le roi, en venant offrir des services qu'ils étaient encore fort en état de rendre. Au contraire, tous les émigrés revenus en 1814, et nommés officiers généraux, sans avoir servi, ou n'ayant servi que contre la France, se trouvaient hors d'atteinte, faute de la durée légale de services. Le public vit là une nouvelle preuve d'hostilitė contre la France de la Révolution: il ne se trompait vraisemblablement pas.

Déjà, quelques semaines auparavant, le ministère avait blessé l'opinion en retirant une pension de 3,000 francs au mathématicien Legendre, qui, dans une élection académique, avait refusé sa voix au candidat du ministère.

Dans le même temps, de vives préoccupations étaient excitées par le projet attribué au ministère de représenter devant les Chambres, une loi pour indemniser les émigrés, la loi des communautés religieuses et la loi du sacrilége. Le clergé voulait quelque hose de plus, il revendiquait la tenue des registres de l'état civil.

On apprenait en même temps qu'en Espagne les choses allaient de mal en pis. Ferdinand lâchait la bride à son propre arbitraire et aux fureurs de ses partisans. Une tentative de révolte du général Valdés fut littéralement noyée dans le sang. Les représentations du gouvernement français étaient hautainement ou même dédaigneusement écartées.

Cependant la France conservait là un corps d'armée; c'était lui qui avait repris Tarifa à Valdès. Le trésor français avait la charge très-lourde de l'entretenir.

Le 5 décembre, une ordonnance royale renforça le banc des évêques à la Chambre des pairs en y faisant asseoir trois nouveaux prélats.

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§ III. OUVERTURE DES CHAMBRES. Les Chambres étaient convoquées pour le 22 décembre. Ce fut une question de savoir si la séance royale se tiendrait au palais Bourbon, comme dans les premières années du règne précédent, ou au Louvre, comme pendant la maladie de Louis XVIII. On décida que ce serait au Louvre : le roi devait recevoir chez lui.

Le discours du trône était habilement composé; le roi en fit lecture avec bonne grâce et fut, en finissant, salué de vives acclamations.

Cependant, après réflexion, le succès de la harangue royale perdit de l'effet qu'elle avait produit à l'audition. On remarqua que la Charte n'y était pas nommée, bien que Charles X n'eût pas hésité à prononcer ce nom en recevant les pairs et les députés après la mort de son frère. On commenta ainsi les deux paragraphes suivants :

« La juste sécurité que nous donnent nos rapports extérieurs favorisera le développement de notre prospérité intérieure. Je seconderai ce mouvemement salutaire en vous faisant proposer

successivement les améliorations que réclament les intérêts sacrés de la religion et les parties les plus importantes de notre législation...

« Je veux que la cérémonie de mon sacre termine la première session de mon règne. Vous assisterez à cette auguste cérémonie. Là, prosterné au pied du même autel où Clovis reçut l'onction sainte, et en présence de Celui qui juge les peuples et les rois, je renouvellerai le serment de maintenir et de faire observer les institutions octroyées par le roi mon frère..... »

On savait que la loi du sacrilége devait être représentée et l'on en voyait l'annonce dans ce que disait le discours des « intérêts sacrés de la religion »; mais, en rapprochant ces mots de ceux qui les suivaient immédiatement, on se demandait s'il n'y fallait pas voir l'intention de rendre à l'Église la tenue, tant réclamée par elle, des actes de l'état civil. Rien, d'ailleurs, ne vint justifier cette conjecture.

L'omission du nom de la Charte et l'expression obscure d'institutions faisaient craindre quelque entreprise contre l'acte constitutionnel, par application des théories précédemment émises sur le droit illimité et imprescriptible du roi. Si une telle intention était cachée dans les paroles royales, l'effet ne s'en manifesta que plusieurs années après.

Le discours annonçait aussi l'indemnité des émigrés; on s'y attendait; seulement on ne devinait pas comment l'indemnité pourrait, ainsi que le promettait le roi, être réalisée « sans augmenter les impôts, sans nuire au crédit. »>

Ainsi, aux premiers jours de l'hiver, se flétrissaient et tombaient les belles illusions que l'avènement du nouveau roi avait fait éclore aux premiers jours de l'automne.

§ IV. LETTRES, ARTS, INDUSTRIE. Si la liberté souffrait dans le domaine politique, le libre génie de la France se développait partout ailleurs. Lamartine, qui avait donné, l'année précédente, son beau recueil des Nouvelles Méditations, publiait, en 1824, la Mort de Socrate et témoignait aussi de sa sympathie pour la Grèce renaissante par le Dernier Chant du pèlerinage de Childe Harold. I écrivait ce chant, tandis que le grand poëte anglais dont il continuait le poëme mourait pour la liberté grecque (19 juin) dans cette petite bourgade de Missolonghi, dont le nom allait devenir immortel par une héroïque résistance, digne des plus beaux temps de la Grèce antique. M. Mignet publiait son Histoire de la Révolu

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