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55. La Chambre des députés a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la Chambre des pairs, qui seule a le droit de les juger.

56. Ils ne peuvent être accusés que pour fait de trahison ou de concussion. Des lois particulières spécifieront cette nature de délits et en détermineront la poursuite.

De l'Ordre judiciaire.

57. Toute justice émane du Roi. Elle s'administre ea son nom par des juges qu'il nomme et qu'il institue1.

58. Les juges nommés par le Roi sont inamovibles.

59. Les cours et tribunaux ordinaires actuellement existants sont maintenus. Il n'y sera rien changé qu'en vertu d'une loi.

60. L'institution actuelle des juges de commerce est conservée. 61. La justice de paix est également conservée. Les juges de paix, quoique nommés par le Roi, ne sont point inamovibles.

62. Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels.

63. Il ne pourra en conséquence être créé de commissions et tribunaux extraordinaires. Ne sont pas comprises sous cette dénomination les juridictions prévôtales si leur rétablissement est jugé nécessaire2.

64. Les débats soront publics en matière criminelle, à moins que cette publicité ne soit dangereuse pour l'ordre et les mœurs; et, dans ce cas, le tribunal le déclare par un jugement.

65. L'institution des jurés est conservée. Les changements qu'une plus longue expérience ferait juger nécessaires ne peuvent être effectués que par une loi.

66. La peine de la confiscation des biens est abolie, et ne pourra pas être rétablie.

67. Le Roi a le droit de faire grâce et celui de commuer les peines. 68. Le code civil et les lois actuellement existantes qui ne sont pas contraires à la présente charte restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé.

Droits particuliers garantis par l'État.

69. Les militaires en activité de service, les officiers et soldats en retraite, les veuves, les officiers et soldats pensionnés, conserveront leurs grades, honneurs et pensions.

70. La dette publique est garantie. Toute espèce d'engagement pris par l'État avec ses créanciers est inviolable.

71. La noblesse ancienne reprend ses titres. La nouvelle conserve les siens. Le Roi fait des nobles à volonté; mais il ne leur accorde que des

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rangs et des honneurs, sans aucune exemption des charges et des devoirs de la société.

72. La Légion d'honneur est maintenue. Le Roi déterminera les règlements intérieurs et la décoration.

73. Les colonies seront régies par des lois et des règlements particuliers.

74. Le Roi et ses successeurs jureront, dans la solennité de leur sacre, d'observer fidèlement la présente Charte constitutionnelle.

Articles transitoires.

75. Les députés des départements de France qui siégeaient au Corps législatif lors du dernier ajournement, continueront de siéger à la Chambre des députés, jusqu'à remplacement.

76. Le premier renouvellement d'un cinquième de la Chambre des députés aura lieu au plus tard en l'année 1816, suivant l'ordre établi entre les séries.

La lecture de la Charte fut suivie de longs et chaleureux applau dissements. Le silence rétabli, Louis XVIII reçut des mains du chancelier la liste des personnages désignés pour composer la nouvelle Chambre des pairs. Il appela lui-même les noms des anciens ducs et pairs d'avant 1789, ceux des ducs héréditaires et à brevet. Le reste des pairs et les députés furent appelés par le chancelier. A l'appel de son nom, chaque membre jurait fidélité au roi, à la Charte constitutionnelle et aux lois du royaume.

La Chambre des députés était purement et simplement le dernier Corps législatif de l'Empire, moins un seul membre, M. Bonnet de Treyches, qui, ayant à la Convention nationale voté la mort de Louis XVI et prévoyant l'exclusion qui allait frapper ceux qu'on appelait « les régicides », avait donné sa démission.

Cinquante-trois des sénateurs de l'Empire étaient éliminés de la liste des nouveaux pairs. Sur ce nombre, vingt-trois appartenaient à des territoires ayant cessé d'être français. Les trente autres comprenaient les anciens conventionnels qui avaient voté la mort de Louis XVI, ceux que l'on considérait comme républicains, ceux enfin que, à cause de leurs fonctions sous l'Empire, on soupçonnait, bien gratuitement, d'un attachement trop personnel à la dynastie. déchue. On y remarquait, avec étonnement, des hommes comme Lambrechts, qui avait été un des plus ardents promoteurs de la déchéance de Napoléon, et six maréchaux, Brune, Davout, Jourdan, Masséna, Soult et Victor, dont l'exclusion ne semblait pas motivée quand les quatorze autres étaient admis à la pairie.

Les cent cinquante-quatre pairs étaient nommés à vie.

Avant la prestation du serment, M. Ferrand avait donné lecture de quatre ordonnances royales portant: 1° que nul étranger ne siégerait dans les Chambres sans avoir obtenu du roi des lettres de grande naturalisation; 2° que les anciens sénateurs recevraient une pension de 36,000 francs; 3° que le palais du Luxembourg était affecté au service de la pairie; 4° que la session des Chambres commencerait immédiatement, que les députés conservaient leur traitement et siégeraient au palais Bourbon.

Louis XVIII rentra vers cinq heures aux Tuileries, salué sur son passage par de longues acclamations.

Telle fut la séance royale du 4 juin 1814, qui inaugura véritablement en France l'essai de la monarchie constitutionnelle. L'effet général en fut excellent, mais, dès ce jour même, à l'intérieur comme au dehors du palais Bourbon, se manifestèrent les deux courants d'opinion qui devaient lutter avec persévérance, avec ardeur, pendant toute la durée de la Restauration.

Tous ceux qu'avait fatigués le despotisme outré de Napoléon, qui avaient conservé, sinon les idées républicaines, au moins les aspirations libérales du début de la Révolution, se sentaient délivrés par la Charte et, sans en méconnaître les imperfections, y trouvaient le moyen de produire et de faire triompher pacifiquement les tendances de l'opinion publique. On faisait bon marché et du préambule de la Charte, rédigé par M. Beugnot, avec une singulière ignorance de l'histoire, et du discours de M. Dambray, tout émaillé de vieilles réminiscences. On ne s'arrêtait qu'au texte même de l'acte constitutionnel, on y trouvait le gouvernement parlementaire, avec le libre consentement de l'impôt, par une assemblée émanant de l'élection, la liberté de la presse, la liberté des cultes, l'admissibilité de tous les citoyens aux fonctions publiques.

Si ce n'était pas là tout ce qu'on pouvait ambitionner, c'était un ensemble de puissants moyens pour arriver à mieux. L'immense majorité de la nation s'en contentait et les royalistes éclairés y voyaient de grandes chances de stabilité pour la maison de Bourbon.

Mais, parmi les royalistes, il y avait une fraction qui ne voulait entendre à aucune transaction avec la Rivolution. C'étaient, pour la plupart, de vieux émigrés de 1790, qui s'en étaient allés à Coblentz croyant revenir, après une quinzaine de jours, avec les

Autrichiens; c'est ceux-là dont Alexandre disait : « Ils sont incorrigés et incorrigibles » et que l'opinion appelait déjà les ultra. Ils voyaient dans la Charte une véritable trahison, une désertion des droits et des devoirs de la royauté. Loin de consacrer la vente des biens nationaux, il fallait, selon eux, rendre ces biens aux vrais propriétaires spoliés; il eût fallu réserver les fonctions publiques à la noblesse seule, à la véritable, à la vieille noblesse; au lieu de laisser les « révolutionnaires » en possession de la liberté de la presse, on eût dû les effrayer en rétablissant les lettres de cachet; enfin, la liberté des cultes était un sacrilége; le clergé catholique devait être rétabli dans son ancienne suprématie, sauf à tolérer peut-être le culte réformé. Ce fut une clameur d'indignation; Louis XVIII que, la veille, on saluait du nom de Désiré, n'était plus qu'un roi jacobin.

Ceux qui parlaient ainsi n'étaient qu'une infime minorité, mais ils entouraient le comte d'Artois, avaient accès aux Tuileries et quelques-uns d'entre eux figuraient parmi les plus intimes conseillers du roi. La puissance qu'ils ne possédaient pas par le nombre, ils la suppléaient par les influences occultes, par les intrigues de cour et de cabinet.

Le roi avait donné à ces royalistes et à lui-même une satisfaction puérile en datant la Charte de la dix-neuvième année du règne. Louis XVIII régnait donc depuis 1795 sans interruption. C'est conformément à ce principe bizarre que, dans des llistoires de France publiées en ce temps, la République et l'Empire sont compris dans le règne de Louis XVIII. L'opinion publique se borna à rire de cette fantaisie royale.

Aussitôt que le roi eut quitté le palais Bourbon, chacune des deux Chambres tint séparément séance pour délibérer une adresse en réponse au discours du trône. Celle des pairs fut rédigée el votée avec une servilité digne de l'ancien Sénat. Celle des députés donna lieu à une discussion où l'on se plaignit avec vivacité que le roi n'eût pas obser la déclaration de Saint-Ouen en n'appelant pas les deux assemblées à participer à la constitution, qui eût été ainsi un acte consenti par tous les pouvoirs publics au lieu d'être une simple Charte octroyée et qu'à cause de cela on pouvait prétendre être révocable. L'adresse porta la trace de cette discussion: «... C'est, disait-elle, en accueillant les principales dispositions présentées par les différents corps de l'État, c'est en écoutant tous les vœux, que Votre Majesté a formé cette Charte qui, par le con

cours de toutes les volontés, raffermit à la fois les bases du trône et les libertés publiques. » Puis, l'adresse terminait en exprimant l'intime confiance que l'assentiment des Français donnerait à cette Charte tutélaire un caractère tout à fait national. »>

Ainsi, dès le jour même et à la suite de la séance royale, se faisait, sous la forme la plus respectueuse, le premier pas dans la marche qui devait éloigner l'un de l'autre le gouvernement des Bourbons et la nation.

Gouvernement royal.

CHAPITRE II

Mesures religieuses. Loi sur la presse. Budget de 1814.- Liste civile.— Biens d'émigrés. — Congrès de Vienne. — 1815. Invasion de Napoléon.

§ I. GOUVERNEMENT ROYAL. — L'état de paix entraînait forcément une grande réduction des forces militaires de terre et de mer. C'était une douloureuse nécessité qu'eussent subie avec résignation les soldats congédiés et les officiers mis en demi-solde, si les ministres de la guerre et de la marine n'eussent semblé prendre à tâche d'aggraver cette dure nécessité par des mesures iniques. Tandis que le premier renvoyait des cadres 14,000 officiers de tous grades, il y réintégrait une foule d'émigrés, non paş avec leurs grades d'avant 1789, mais avec ceux qu'ils avaient conquis en servant l'étranger, même contre la France. Il froissait les soldats restés sous le drapeau, le drapeau blanc, en retirant les numéros des régiments pour y substituer des noms de fantaisie, dont quelques-uns désignaient des corps privilégiés : Régiments du Roi, de la Reine, du Dauphin (il n'y avait ni reine ni dauphin), des grenadiers royaux de France, etc. Il mécontentait les chefs supérieurs en substituant aux titres de généraux de division et de brigade, les dénominations surannées et dépourvues de sens de lieutenants généraux et de maréchaux de camp. En outre, le ministre introduisait dans les cadres nombre de jeunes gentilshommes n'ayant jamais fait la guerre, qui remplaçaient des officiers éprouvés, pleins de vigueur, ayant gagné leurs épaulettes sur les champs de bataille.

Le ministre de la marine agissait de même à l'égard de la flotte. Anciens émigrés, anciens combattants de Quiberon venaient occuper la place d'officiers qui avaient pris part aux luttes maritimes

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