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et à se mettre à la tête de l'opposition, comme font les princes anglais.

Cet écrit produisit une grande sensation, mais il fut généralement désaprouvé. Le ministère le poursuivit comme provoquant à un changement de dynastie. Par une rigueur insolite, l'auteur fut arrêté préventivement.

Le 12 janvier, Cauchois-Lemaire comparut devant le tribunal correctionnel. Son défenseur, M. Chaix-d'Est-Ange, alors avocat libéral, soutint que son client avait simplement engagé le duc à faire ce qu'avait fait, sous Louis XVIII, le comte d'Artois. Cauchois-Lemaire fut condamné à quinze mois de prison et 2000 francs d'amende; les éditeurs eurent trois mois de prison. La cour royale confirma le jugement.

Le gouvernement désignait ainsi lui-même le duc d'Orléans comme pouvant devenir le chef d'une dynastie nouvelle.

§ XIII. SESSION De 1829. Le roi ouvrit la session, le 27 janvier, par un discours dont l'ensemble satisfit généralement et dans lequel on ne remarqua qu'une phrase annonçant la présentation de lois sur l'administration des départements et celle des communes.

La discussion de l'adresse, dans les deux Assemblées, ne présenta d'autre incident notable qu'une déclaration très-formelle, très-éclatante d'attachement à la Charte que fit le prince de Polignac à la Chambre des pairs. Par malheur, ce personnage avait pris une attitude politique telle, que l'opinion publique n'eut pas confiance dans ses déclarations.

Le prince de Polignac, ambassadeur de France à Londres, était venu à Paris sur l'ordre du roi, qui désirait lui donner la succession de M. de la Féronnays; mais le ministère tout entier s'opposa à ce que le prince entrât, à un titre quelconque, dans le cabinet; l'ambassadeur dut retourner à son poste. Il avait, du moins, profité de son passage à Paris pour réconcilier les deux fractions de la droite et les unir dans une haine commune contre le ministère Martignac. Il résultait de là un groupe compact de quatre-vingt-dix voix, qui, en se portant d'un côté ou de l'autre, devait y déterminer la majorité.

Le 9 février, M. de Martignac déposa à la Chambre des députés les deux projets de lois annoncés par le discours du trône.

Jusqu'alors, tout relevait de l'autorité royale: ministres, préfets, sous-préfets, maires, conseils généraux, d'arrondissement et municipaux. C'était l'organisation impériale.

Le projet de loi soumettait à l'élection tous les conseils, mais à une élection singulièrement restreinte. Pour les conseils municipaux, les électeurs étaient pris parmi certaines catégories de notables et les plus imposés, sans que le nombre en pût excéder trente dans les communes de cinq cents habitants et au-dessous ; ce nombre s'augmentait de deux électeurs par cent habitants dans les communes plus peuplées. Les électeurs des conseils d'arrondissement et des conseils généraux étaient pris parmi les plus imposés, à raison d'un électeur par cent habitants pour les premiers, et d'un électeur par mille pour les seconds. C'était constituer des minorités privilégiées : le ministère redoutait le reproche de favoriser la démocratie.

Il n'y échappa cependant pas. La droite s'indigna de ce qu'elle regardait comme une concession à l'esprit révolutionnaire, repoussa hautement le principe même de l'élection, et déclara qu'elle voterait contre la loi.

L'opinion libérale trouvait le projet insuffisant, illusoire, et, comme elle était en majorité dans la commission d'examen, elle introduisit des amendements considérables, notamment celui qui appelait aux élections locales les censitaires des élections législatives, un autre qui en excluait les ministres des divers cultes, s'ils n'étaient électeurs à un autre titre, et un troisième qui supprimait les conseils d'arrondissement, pour y substituer les conseils de canton.

Le ministère repoussa ces amendements comme excessifs. La gauche, qui venait de faire une concession en faisant retirer, par Labbey de Pompières, sa proposition d'accusation contre le ministère Villèle, persista dans ses exigences. A deux scrutins consécutifs, le ministère se trouva battu, par une double manœuvre de la droite. Irrité, il retira immédiatement le projet de loi.

Cet incident mit fin aux négociations entamées entre le ministère et la gauche, qui reprit son rôle d'opposition. On accusa de la rupture les impatiences de quelques libéraux qui espéraient entrer au ministère ou au Luxembourg, surtout le général Sébastiani. On accusa aussi l'opiniâtreté de Martignac à refuser toute concession. Les torts furent certainement partagés ; mais que fût-il arrivé d'un accord plus solide? Charles X aurait-il consenti à admettre aupres de lui des hommes de la gauche, et combien de temps les aurait-il gardés? Lorsque, le 14 mai, le roi nomma Portalis aux affaires étrangères en même temps que premier président de la Cour de

cassation, et M. Boudeau à la justice, son parti était déjà pris et le ministère Polignac était prêt dans la pensée du roi.

La session ne fut plus, pendant deux mois, occupée que de l'examen et de la discussion du budget, qui donna lieu aux escarmouches habituelles. Le 31 juillet, la session fut close.

Dans une des dernières séances, un député qui devait acquérir une grande renommée d'orateur, le général Lamarque, signalant les inquiétudes causées par des bruits de coups d'État, rappela qu'en Angleterre aussi on avait essayé de violer la Constitution : « Vous savez, dit-il, quels en furent les résultats... Débris échappés à tant de naufrages, nous ne voudrons pas tenter encore une funeste expérience; elle ne nous a que trop appris que les peuples aussi ont leurs coups d'État. » Violemment interrompu par les cris de la droite, Lamarque reprend avec plus d'énergie : « Je dis que les peuples aussi ont leurs coups d'État, et que, bouleversant la terre jusque dans ses entrailles, ils ne laissent sur le sol que de sanglantes ruines... »

Ainsi, les avertissements prophétiques n'auront pas manqué à Charles X au commencement de la session, la lettre de CauchoisLemaire, à la fin l'évocation faite par Lamarque. Les avertissements de ce genre n'ont jamais été écoutės.

La presse royaliste n'hésitait pas, d'ailleurs, à appeler elle-même une lutte à outrance. Le Drapeau blanc disait, le 22 juillet: « Plus de nuances intermédiaires; il ne peut plus exister que deux bannières ennemies... Républicains, attaquez, si vous l'osez. Royalistes, attaquons s'ils n'osent pas engager la lutte, et qu'ils soient écrasés sous les pas des combattants, ceux qui auront la téméraire lacheté de se porter entre les deux armées sans prendre un parti......... »

Voilà quels défis on échangeait à la dernière heure de la session.

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§ I. MINISTÈRE POLIGNAC. Le Moniteur du 9 août annonça la formation d'un nouveau ministère, ainsi composé affaires étrangères le prince Jules de Polignac; guerre, le comte de Bourmont; intérieur, le comte de La Bourdonnaye; justice, M. Courvoisier, procureur général à Lyon; finances, le comte de Chabrol; marine, le vice-amiral de Rigny; affaires ecclésiastiques et instruction publique, le baron de Montbel.

C'était une véritable déclaration de guerre jetée à l'opinion publique, et la chose fut acceptée comme telle. Ceux qui vivaient alors ne peuvent avoir oublié, et ceux qui sont venus depuis ne sauraient imaginer quelle explosion d'indignation et de colère souleva la France d'un bout à l'autre, à la lecture du Moniteur. Ce fut une de ces heures rares et décisives, où le cœur de tout un peuple bat les mêmes pulsations et inspire les mêmes résolutions. La trêve du ministère Martignac était rompue, la bataille allait venir. Quand et comment? on ne le savait encore, mais on la tenait pour prochaine, inévitable; on voulait laisser à l'ennemi le perilleux honneur de tirer le premier : on ne reculerait pas au moment suprême.

Le ministère Polignac fut peut-être étonné lui-même de l'effet sinistre produit par son apparition. S'il devait, par la logique fatale des choses, conduire à la bataille, il n'en avait pas conscience, il n'en avait pas même, à cette heure, l'intention, le désir; il se croyait un ministère de défensive plutôt que d'agression. Il n'était pas sorti en bloc d'une subite volonté royale. Charles X n'avait voulu bien résolument que la présence du prince de Polignac; il eût volontiers gardé M. de Martignac, s'il eût consenti à rester, et M. Roy, qui eût accepté si M. de Martignac ne fût pas parti. Les autres membres du cabinet avaient été choisis, après essais de diverses combinaisons qui durèrent plusieurs jours. M. de La Bourdonnaye fut choisi, comme chef de la droite et sans souvenir de ses projets et de ses harangues sanguinaires de 1815. En appe

lant le comte de Bourmont à la guerre, on ne songea pas davantage à sa conduite la veille de Waterloo, et on ne se douta pas de l'effet que ce nom produirait sur l'armée aussi bien que sur l'opinion publique. MM. de Rigny et Courvoisier furent nommés sans avoir été consultés ils étaient l'un à Lyon, l'autre à Moulins. On les considérait, avec MM. de Chabrol et de Montbel, comme des hommes de conciliation. Tous deux apprirent leur nomination par le Moniteur; M. Courvoisier se rendit à Paris à petites journées; M. de Rigny vint plus rapidement, pour apporter un refus que n'ébranlèrent pas les instances du roi; il fut remplacé à la marine par le baron d'Haussez.

Il n'y avait pas de président du conseil; ainsi l'avait exigé La Bourdonnaye, comme condition sine qui non de son acceptation. Mais, dès le premier jour, le public qualifia le nouveau cabinet : Ministère Polignac, non-seulement parce que ce personnage en était considéré comme le chef réel, mais parce que son nom semblait la plus expressive signification de la politique pour laquelle on croyait ce ministère formé. Le prince, cependant, répudiait alors, dans toutes les occasions, la pensée d'un coup d'État et d'aucune entreprise illicite ou violente. Sur la foi de calculs présentés par l'ancien président de la Chambre, M. Ravez, sur la classification du parti dans l'Assemblée, le roi et le prince de Polignac comptaient disposer d'une majorité certaine et suffisante pour gouverner suivant les formes légales et régulières. Le courant devait les emporter.

Que le ministère Polignac fût accueilli par les manifestations les plus hostiles de la presse libérale, il n'y avait pas à s'en étonner; ce qui marque mieux la gravité et le péril du changement de politique, c'est le langage attristé, amer et irrité, à la fois, tenu par le Journal des Débats qui, alors même qu'il servait le plus ardemment les colères de Chateaubriand contre M. de Villèle, avait toujours fait profession d'attachement aux Bourbons. « Ainsi, s'écriait-il, le 10 août, le voilà encore brisé ce lien d'amour qui unissait le peuple au monarque! Voilà encore la cour avec ses vieilles rancunes, l'émigration avec ses préjugés, le sacerdoce avec sa haine de la liberté, qui viennent se jeter entre la France et son roi!... Ceux qui gouvernent maintenant les affaires voudraient être modérés qu'ils ne le pourraient pas. Les haines que leurs noms réveillent dans tous les esprits sont trop profondes pour n'être pas rendues... Que feront-ils cependant? Iront-ils chercher un appui

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